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Au Tessin, pays aux passions plus vives, l'agitation est restée à l'état chronique. Des difficultés plus graves surgirent à Neuchâtel.

Cette ancienne principauté de Neuchâtel, possédée à titre héréditaire par le roi de Prusse, avait été définitivement incorporée par le congrès de Vienne à la Suisse, à laquelle ne la rattachaient que des liens d'alliance d'une nature particulière. Elle forme le vingt et unième canton de la Confédération. Sa situation hybride avait provoqué des troubles déjà en 1833. Le 1er mars 1848, à l'instar de Paris, Neuchâtel proclama la république. Le prince dépossédé n'avait fait entendre que de platoniques protestations à l'Europe, quand son zèle fut dépassé par celui de ses partisans.

Dans la nuit du 2 au 3 septembre 1856, un chef royaliste, le comte Frédéric de Pourtalès, après s'être assuré le concours de nombreux amis, s'empara du château de Neuchâtel et de l'important village du Locle. Mais les royalistes ne surent pas conserver leur conquête et, le 4 septembre, les républicains reprenaient le château avant même l'arrivée des troupes fédérales suisses. Par point d'honneur, le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV, ne pouvait renoncer à ses droits, ni surtout abandonner ceux de ses anciens sujets qui s'étaient compromis pour lui. Il recourut à la médiation de Napoléon III, alors l'arbitre de l'Europe, pour obtenir tout au moins la délivrance de quatorze royalistes arrêtés à la suite de l'échauffourée. Mais la Confédération fit des objections et elle députa à Paris le général Dufour, de Genève, bien connu de l'empereur, qui avait été autrefois capitaine d'artillerie en Suisse. Ce n'était pas de médiation qu'il s'agissait, mais bien d'une guerre. On arma des deux côtés. La Prusse pouvait mettre sur pied 300 000 hommes; la Suisse 200 000 seulement, mais animés de profondes convictions patriotiques. Ce fut avec confiance que l'Assemblée fédérale donna, à la fin de décembre 1856, le commandement suprême au vainqueur du Sonderbund, le général Dufour, et 30 000 hommes furent échelonnés aux frontières d'Allemagne, - le long du Rhin, de Bâle à Romanshorn.

L'intervention de l'ancien citoyen d'Argovie, Napoléon III,

et l'esprit de conciliation de l'ex-prince de Neuchâtel, FrédéricGuillaume IV, arrêtèrent le conflit. Rassurée par les promesses verbales de l'empereur des Français, qui se portait garant de l'indépendance absolue du canton de Neuchâtel, l'Assemblée fédérale renonça à intenter un procès aux conjurés royalistes; elle donna l'ordre de libérer les prisonniers et même de licencier les troupes (16 janvier 1857). Une conférence de quatre puissances neutres s'étant réunie à Paris au mois de mars, elle obtint du roi de Prusse la renonciation à ses droits de souveraineté à Neuchâtel. Le 9 juin 1857, ratification générale était accordée au protocole final et l'affaire se termina pour l'honneur de tous ceux qui s'y trouvaient impliqués.

La neutralité suisse depuis 1848. Question de Savoie. -La question de Neuchâtel avait failli mettre la Suisse aux prises avec les puissances étrangères. Depuis 1848 cependant, la Confédération a chaque jour mieux compris ses devoirs de neutralité. Ce qui a pu l'entraver dans cette tâche, c'est l'abus du prétendu droit d'asile qu'elle exerce à l'égard des réfugiés politiques. Ce droit d'asile, que l'on peut considérer plus comme un devoir de protection qu'un droit, s'arrête là où, cessant d'être une œuvre d'humanité à l'égard des proscrits, il devient un moyen dont les agitateurs se servent pour se lancer dans de nouvelles tentatives de troubles. Il ne doit pas ètre permis à d'égoïstes brouillons, venus de l'étranger, de compromettre l'indépendance du pays, qui leur donne l'hospitalité, en l'exposant aux représailles des voisins. A cet égard la Suisse n'est pas tenue à des devoirs, ni à des sacrifices plus grands que les autres

nations.

Le gouvernement central, créé à la suite des révolutions du milieu du siècle, ne fut pas toujours aidé dans l'observation des devoirs de la neutralité par tous les cantons; certains gouvernements locaux favorisaient les agitateurs. Malgré tout, le Conseil fédéral parvint à faire respecter dans le pays les principes du droit international. Il sut empêcher la violation du territoire suisse dans des crises redoutables, telles que la révolution de Lombardie, en 1848, et l'insurrection badoise et palatine de 1849. Il déclina les offres intéressées d'alliance du roi Charles-Albert,

HISTOIRE GÉNÉRALE. XII.

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obtint le désarmement et l'internement des garibaldiens et des mazzinistes, réfugiés en Suisse, en levant des milices pour protéger les frontières contre le passage des bandes révolutionnaires ou des armées impériales. Dans le grand flot des réfugiés politiques, il ne laissa passer que ceux qui lui promirent le respect des institutions nationales et repoussa les autres. Napoléon III, parvenu lui-même au trône par des procédés révolutionnaires, n'en devait pas moins protester contre ce droit d'asile dont il avait profité jadis. Après 1852, Mazzini, plus populaire dans la Suisse française, devait causer bien des ennuis au peuple chez lequel il s'était réfugié.

A la période relativement calme de 1848 à 1856 succèdent les temps troublés de 1856 à 1864. La Suisse en effet se trouva directement intéressée à la guerre d'Italie et à l'annexion de la Savoie par la France. A la veille de l'ouverture des hostilités entre la France et la Sardaigne, d'une part, et l'Autriche, de l'autre, le Conseil fédéral réclama des belligérants le respect de la neutralité. On le lui promit. Considérant que la Savoie du nord participe à la neutralité suisse, il déclara en outre que l'occupation de ce pays était un droit en faveur de la Suisse et non un devoir pour elle. Dans la région suisse qui confine aux lacs italiens, toute violation de territoire fut réprimée, et les garibaldiens, aussi bien que les Autrichiens fugitifs qui s'y présentèrent, furent énergiquement désarmés, internés ou renvoyés à condition de ne plus servir dans cette guerre. Enfin les préliminaires de Villafranca, de juillet 1859, et la paix, signée à Zurich, mirent fin à ces hostilités dangereuses pour la sécurité helvétique.

Une question très grave ne tarda pas à surgir. La Savoie du nord, c'est-à-dire les anciens pays de Chablais, Faucigny et Genevois, jusqu'au sud des lacs de Savoie, avait été définitivement neutralisée par le congrès de Vienne à l'avantage, soit de la Suisse, soit du roi de Sardaigne. A la suite de la transformation politique de l'Italie et de l'annexion de la Savoie à la France, la Confédération estima que cette région devait lui être remise, afin que la situation internationale de la Suisse et sa neutralité restassent telles que les avaient créées les traités de 1814 et

de 1815. Au mois de mars 1860, le Conseil fédéral adressa à ce sujet une note conforme aux puissances signataires du congrès de Vienne et la fit appuyer par l'envoi de missions extraordinaires, entre autres celle du physicien genevois Auguste de la Rive à Londres. Napoléon III lui-même n'avait pas mal pris les observations que le général Dufour et le ministre plénipotentiaire Kern avaient été chargés de lui soumettre à Paris; mais une note de son ministre Thouvenel sembla réduire à néant les prétentions suisses. Enfin le puissant empereur consentit à déclarer que la France s'engageait à respecter la neutralité politique du nord de la Savoie, en même temps que l'affranchissement douanier de la zone, dans les limites fixées par les traités précédents.

Cependant il existait en Suisse un parti assez exalté pour réclamer la solution du conflit par la voie des armes. Les meneurs étaient les chefs des sociétés patriotiques l'Helvétie et le Grutli, le conseiller fédéral Staempfli à Berne, le conseiller d'État Fazy à Genève et ses amis radicaux. Le 30 mars 1860, quelques Genevois appartenant à ce parti firent, dans le dessein de surprendre Thonon, une folle équipée qui se termina de la façon la plus ridicule. Au mois d'avril, la Savoie vota son annexion à l'empire français, qui en prit possession au mois de juin 1860. Des rapports de bon voisinage reprirent d'une façon durable et se trouvèrent cimentés par de nouveaux accords, tels que le partage si longtemps insoluble de la vallée jurassienne des Dappes, en 1862, et surtout le traité de commerce franco-suisse du 28 juin 1864. L'observation de la neutralité du nord de la Savoie, qui tient à cœur aux Suisses, est une des meilleures preuves d'amitié que la France peut donner à ses voisins.

Certains incidents troublèrent encore l'horizon de la politique fédérale pendant deux ou trois ans. La théorie des nationalités, conçue par Napoléon III, constituait une menace pour la Confédération, où se rencontrent trois races distinctes, et les revendications italiennes, notamment en 1862, ont pu lui donner des inquiétudes. Les réfugiés italiens, les réfugiés polonais sont venus lui causer de nouveaux embarras. Toutefois, à partir

de 1864, une ère de tranquillité relative a commencé à régner dans la Suisse. Ses conseillers belliqueux de 1860 ont été remplacés, entre autres Staempfli à Berne et Fazy à Genève. Ce dernier, qui n'avait pas été réélu en 1861 au Conseil d'État de son canton, fut définitivement évincé en 1864 par son concurrent Chenevière, qui assura à l'ancien parti conservaleur, appelé indépendant, enfin démocratique, une existence telle qu'il n'a cessé depuis lors de balancer à Genève l'influence du radicalisme. Ce ne fut pas, il est vrai, sans provoquer, de la part des radicaux, l'échauffourée du 22 août 1864, après laquelle le gouvernement fédéral s'appliqua à apaiser les esprits, un peu, il est vrai, au détriment de la justice qui devait être rendue aux victimes.

Bien que la Suisse ne dût pas être touchée par les guerres qui éclatèrent dans le monde civilisé de 1864 à 1870, elle continua à réaliser de grands progrès dans la pratique des principes de la neutralité. Émancipée de toute tutelle extérieure, elle disposa de forces suffisantes pour les faire respecter. La constitution de 1848 ayant interdit les capitulations militaires avec les puissances étrangères, le Conseil fédéral obtint, en 1859, le licenciement des régiments suisses de Naples. Si le service étranger fournissait la Suisse d'officiers éprouvés, la Suisse, en le supprimant, gardait en revanche pour elle-même tous ses soldats, de sorte que son armée est devenue la meilleure garantie de sa sécurité. En cas de guerre entre les puissances voisines, elle se trouve assez forte pour arrêter chez elle le passage des belligérants, pour interdire la contrebande de guerre, pour empêcher les enrôlements, pour interner, non seulement les fuyards et les déserteurs, mais encore des armées en retraite qui voudraient se rabattre sur son territoire. Elle est apte à remplir ainsi les obligations que le droit international européen peut seul exiger d'elle. Et elle l'a prouvé dans la guerre francoallemande de 1870-1871. Après avoir, à la veille des hostilités, notifié aux puissances son état de neutralité, elle a mis sur pied des forces suffisantes sous les ordres du général Herzog, qui remplaça le général Dufour à la tète de l'armée fédérale. Le 1er février 1871, cette armée reçut aux frontières les troupes en

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