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teur. A la suite de ces incidents, la nécessité de créer une police fédérale s'est fait sentir et un procureur général de la Confédération a été nommé en dépit des protestations des socialistes.

Aux complications politiques s'ajoutent les embarras d'ordre. économique. L'excès de la production législative, l'agitation des politiciens, les revendications des socialistes sont pour inspirer un certain malaise dans les affaires. En 1878 déjà, on constate que l'armée coûte trop, que les postes et les douanes rapportent peu. Le krach des bourses étrangères a des répercussions fatales dans le pays. Des compagnies de chemins de fer, des villes même sont en voie de se ruiner. Il faut réorganiser ces compagnies; la Confédération et les cantons doivent s'imposer des sacrifices pour terminer la ligne du Gothard. Le protectionnisme commercial menace la production nationale. L'Allemagne, qui inaugure le système des tarifs élevés, donne aussi l'exemple en prêchant le socialisme d'État et la Suisse étudie les moyens de l'appliquer chez elle.

Pendant la période 1891-1900, le parti socialiste parvient à réaliser quelques-uns de ces desseins. Des associations puissantes propagent dans le pays les doctrines nouvelles, si alléchantes; celle du Grutli, qui organise des cours professionnels et dispose de nombreuses caisses de secours, compte 60 000 adhérents; la Ligue des travailleurs et le Pius-Verein collaborent à la même œuvre. Après le congrès d'Olten, du 7 avril 1890, la fédération ouvrière suisse s'est fondée et elle est arrivée à faire accepter la création d'un secrétariat ouvrier, avec deux agents, l'un pour la Suisse allemande, l'autre pour les pays romands.

Les mesures de protection à l'égard des ouvriers avaient été déjà votées en vertu de la constitution de 1874. La loi du 1er juillet 1875 établit la responsabilité des compagnies pour les accidents survenus au cours de l'exploitation des chemins de fer et des bateaux à vapeur; le 23 mars 1877, le principe s'est étendu aux fabriques; le 25 juin 1881 et le 26 avril 1887, la responsabilité des patrons a été fixée par la loi. Enfin le 21 novembre 1890, une loi nouvelle a rendu obligatoire l'assurance des salariés contre les accidents et la maladie. Aujourd'hui les chambres se disposent à promulguer une triple loi portant sur

l'assurance contre les maladies, l'assurance contre les accidents et l'assurance militaire, qui grèvera le budget fédéral d'une dépense annuelle, évaluée à huit millions de francs.

A ces dispositions justes, mais coûteuses, destinées à améliorer le sort des travailleurs, d'autres succèdent à seule fin d'enrichir l'État aux dépens des commerçants, des capitalistes, des sociétés par actions. Dès 1891 un tarif douanier très élevé entrave les transactions commerciales, et le produit des douanes excite à tel point certains appétits cantonaux qu'en 1894 une campagne s'organise pour en donner une part à chacun des États confédérés. Cette campagne, qui a reçu le sobriquet de Beutezug, échoue devant le vote populaire. Les banques par actions subissent de formidables assauts. Leur droit d'émission est de plus en plus attaqué, et, en 1891, le principe du monopole des billets de banque au profit de la Confédération a été voté. Toutefois, en 1897, le peuple a rejeté un projet de création d'une banque d'État unique; les partisans de cette institution n'en font pas moins étudier un projet de banque centrale conçu dans des dispositions plus conciliantes. Plus âpre encore est la lutte engagée avec les compagnies de chemins de fer, propriétaires des réseaux suisses. Le rachat des chemins de fer par la Confédération, souvent proposé, a fini par être voté le 20 février 1898. Une loi sur la comptabilité avait déjà placé les compagnies sous la tutelle de l'État.

Le socialisme triomphant met à la mode des prétentions plus grandes. Les ouvriers, d'accord avec d'autres partis pour réclamer le referendum obligatoire et l'élection du Conseil fédéral par le peuple, demandent en outre la création de syndicats obligatoires, l'institution de médecins et pharmaciens officiels, et de nombreux monopoles au profit de l'État, sur la vente des tabacs, sur celle des céréales, ainsi que cela existe déjà pour les spiritueux. D'après ces principes, l'autorité publique se met en devoir de monopoliser les services industriels, ceux du gaz, de l'électricité, des tramways, des forces motrices. Les cantons et les communes s'en disputent la propriété jusqu'à ce que la Confédération mette tout le monde d'accord en l'accaparant pour elle-même.

Avec ces divers projets, les rachats des chemins de fer, les entreprises officielles substituées aux entreprises privées, la delte publique s'accroît. Les villes suisses doivent dans leur ensemble 300 millions; les cantons autant; la Confédération devra un milliard. Les dépenses volées, on compte, pour les payer, d'abord sur l'augmentation des droits de douane, puis, en dernier ressort, sur le contribuable. Après l'impôt proportionnel, l'impôt progressif s'établit un peu partout, et il peut arriver que dans tel canton l'État prenne au particulier jusqu'au

tiers de son revenu annuel.

A leur tour les anarchistes s'encouragent dans leur œuvre absurde et criminelle. En mai 1898, les ouvriers italiens, si nombreux en Suisse, ont provoqué des troubles à l'occasion de l'émeute de Milan. Au mois de juillet, une grève a obligé l'État de Genève à mettre ses troupes sur pied, et, au mois de septembre, l'assassinat de l'impératrice d'Autriche, perpétré par un vulgaire étranger italien, a souillé le sol de cette terre hospitalière.

État présent de la Suisse. Son rôle international. — La période de transformation politique et sociale que traverse la Suisse pourrait avoir un aspect inquiétant. Le pays se trouvet-il menacé par des commotions intérieures ou par les secousses du dehors? Les traditions du pays, le cantonalisme, les idées libérales semblent battues en brèche sous la poussée de la démocratie socialiste. Les monopoles d'État s'établissent. L'abus de la réglementation, de la bureaucratie, du militarisme mécontentent le peuple, qui vit sous un régime presque tyrannique. La nation est tiraillée en sens contraires il y a conflit entre les intérêts protectionnistes et ceux du commerce libre-échangiste, entre les vieux cantons conservateurs et les villes socialistes, entre les particularistes et les centralisateurs, entre l'esprit welche et l'esprit germanique, les Bourgondes et les Allémanes.

Mais on peut se rassurer en constatant que ces divers éléments s'équilibrent en Suisse plus qu'ils ne se combattent, parce qu'au-dessus de l'esprit de parti règne un ardent amour de la patrie, qu'éclairent un solide bon sens et une expérience

HISTOIRE GÉNÉRALE. XII.

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républicaine vieille de six siècles. Les traditions historiques de l'antique Confédération, fondée en 1291, ne tombent pas dans l'oubli. La configuration même du sol, la forme de ses vallées, que séparent d'inaccessibles montagnes, cantonnent le pays aussi bien au point de vue politique qu'au point de vue géographique. La nécessité du système fédératif s'impose à l'administration nationale. Ce sont ces montagnes qui donnent aussi au pays son caractère propre et son unité ethnologique. La Confédération suisse, c'est l'État alpestre par excellence. Les habitants d'un pays dont l'altitude moyenne est de 1 300 mètres, où un vingtième d'entre eux est établi à un niveau supérieur à mille mètres, ont forcément un genre de vie qui les distingue du reste de l'Europe. La Suisse est un Montenegro plus grand.. Les montagnes, comme ailleurs la mer, sont une sauvegarde pour l'indépendance nationale, et encore la Confédération trouve dans ses montagnes non seulement une base solide de défense militaire, mais une fortune unique, grâce au développement des forces motrices, dont les puissants cours d'eau alpestres sont la

source.

Le peuple suisse mérite sa place au soleil parce qu'il obéit à la loi moralisatrice du travail. Il présente un riant tableau d'activité laborieuse, et sa population, qui en un siècle a monté de deux à plus de trois millions d'habitants, ne compte guère de paresseux. L'agriculture y est pourtant pénible à cause des montagnes, où le terrain cultivé est rare, où la vie est âpre, où souvent les cataclysmes se produisent. L'autorité centrale lutte tant qu'elle peut contre les dangers des avalanches par d'intelligents travaux de reboisement. Malgré la dureté des Alpes, le 50 0/0 du pays est occupé par des champs cultivés; le 19 0/0 par les forêts, nombreuses surtout dans les Grisons; le 1 0/0 par des vignobles, source de richesse pour les pays de Tessin, Neuchâtel, Vaud et Valais.

La vie industrielle est autrement remarquable. Elle fait des progrès gigantesques grâce aux forces hydrauliques, qui sont évaluées à ce jour à plus de 500 000 chevaux. Ces forces sont utilisées surtout dans le pays du Jura et le plateau suisse. Genève, où le président de la ville Turrettini les a installées, est peut

ètre, dans le monde entier, la localité où l'on peut le mieux en étudier l'organisation et la valeur. Les deux premières expositions nationales suisses, celle de Zurich, en 1883, et celle de Genève, en 1896, ont montré les ressources industrielles du pays, qui augmentent tous les jours. La Suisse a su conserver aussi ses anciennes fabriques. Le long du Jura, de Genève à Bâle, l'horlogerie, toujours florissante, produit cinq millions de montres par an. L'industrie du coton continue à faire la richesse des cantons de Zurich, Glaris, Saint-Gall, Appenzell, Thurgovie, Argovie et Zoug. Ceux de Saint-Gall et d'Appenzell s'enorgueillissent encore de leurs broderies. L'industrie de la soie, et celle du fer, sont plus particulières à Zurich. Celle des hôtels ne cesse pas de se développer dans un pays aux sites merveilleux que parcourent les touristes, l'hiver et l'été. L'avenir enfin est à l'industrie électrique, dont l'extension est prodigieuse en Suisse. Il est vrai que si la Suisse exporte annuellement pour 700 millions de francs, elle se trouve encore dans la nécessité d'importer pour un milliard de matières premières, de bétail et

de vin.

Le pays est devenu assez riche pour entretenir de belles. routes commerciales et des chemins de fer indispensables au transit international. La ligne du Gothard, qui fait communiquer le nord de l'Europe avec le midi, en constitue l'élément le plus important. Après l'élaboration de nombreux projets qui datent du milieu du siècle, son tunnel, percé dans le noyau des Alpes dès le mois de septembre 1872 par l'entrepreneur genevois Louis Favre, a coûté des sommes considérables. Après une convention internationale signée en 1877, de nouveaux crédits ont été votés en 1879; le directeur de l'entreprise, mort à la peine en 1879, n'a pu assister à la fin de son œuvre. Ce n'est que le 1er novembre 1881 que le premier train a passé à travers le Gothard. Le tunnel du Simplon, longtemps préconisé par l'ancien président de la Confédération Ceresole, vient enfin d'être commencé et son succès intéresse à la fois la Suisse et l'Europe, plus particulièrement l'Italie, qui participe aux frais du percement.

Le commerce intérieur avait été facilité déjà par la constitu

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