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et condamnés très sévèrement. Dans une nouvelle grève en 1888, les excitations et les voies de fait furent durement réprimées. Les socialistes wallons, ne pouvant rien obtenir par la violence, décidèrent après de vives discussions d'adhérer au Parti ouvrier (1889-90). Celui-ci réunit dès lors tous les socialistes belges à l'exception des petits groupes communistes-anarchistes.

Le parti ouvrier se mit à faire une agitation en faveur du suffrage universel, dont il avait besoin pour être représenté au Parlement; il réclamait en même temps l'abolition du remplacement et la réduction du service militaire pour remplacer l'armée professionnelle par une armée nationale et démocratique qui ne tirerait pas sur les grévistes. Les progressistes, qui avaient posé les deux questions précédentes, acceptèrent les solutions socialistes. En 1890 leur congrès se rallia au principe du suffrage universel sans restriction.

La revision (1890-93). Le suffrage universel avec vote plural. Depuis plusieurs années l'idée de la réforme électorale faisait des progrès. Tous les partis admettaient que le cens de 42 fr. 32 était trop élevé et que ce n'était pas assez de 135 000 électeurs parlementaires pour 6 millions d'habitants. Les doctrinaires consentaient à un abaissement du cens. La plupart des catholiques, toujours préoccupés de s'appuyer sur les paysans contre les ouvriers, voulaient un suffrage à peu près universel, mais attaché au domicile, comme en Angleterre et en Hollande. Les socialistes et les progressistes, profitant de la liberté de réunion, multipliaient les manifestations à l'anglaise, meetings, défilés avec drapeaux et emblèmes, plébiscites, signature publique de pétitions. Le gouvernement mit longtemps à céder. Après deux années d'hésitations et de débats, la revision fut votée et l'on élut une nouvelle Chambre chargée de la faire (1892). Le parti catholique eut une majorité de 26 voix, ce qui ne faisait pas les deux tiers de l'assemblée or les changements à la constitution doivent être votés par les deux tiers des représentants au moins. Les catholiques purent repousser les projets de l'opposition, mais ils n'étaient pas assez forts pour imposer les leurs. La Chambre

discuta plusieurs mois sans aboutir à aucun résultat. Cependant l'agitation devenait de plus en plus vive. Les progressistes organisèrent à Bruxelles un plébiscite communal qui donna une forte majorité au principe du suffrage universel (février 1893). Le parti ouvrier avait résolu depuis deux années de décréter la grève générale si la revision ne s'accomplissait pas. Il donna suite à sa menace quand la Chambre eut rejeté le suffrage universel (avril 1893). Beaucoup d'ouvriers cessèrent le travail, surtout dans les charbonnages du Hainaut. Les grévistes du Borinage essayèrent d'entrer à Mons et furent repoussés par la troupe, qui en tua plusieurs. La population de Bruxelles s'agitait, accueillait le roi par des cris hostiles; dans la capitale et dans plusieurs villes, la garde civique, composée de bourgeois, était en majorité revisionniste. Les gardes civiques de Bruxelles jetaient dans la voiture du roi des placards et des brochures en faveur du suffrage universel. La Chambre eut peur de l'émeute et elle se décida à adopter rapidement le système du vote plural. La revision était accomplie.

D'après la nouvelle loi, le suffrage universel est établi en principe à partir de vingt-cinq ans et après un an de domicile; on accorde un vote supplémentaire aux pères d'enfants légitimes, aux propriétaires d'un immeuble de 2000 francs, à ceux qui possèdent un revenu de 100 francs provenant de rentes sur l'État ou d'un dépôt à la Caisse d'épargne; deux votes supplémentaires aux diplômés de l'enseignement supérieur et à certains fonctionnaires. Nul ne peut cumuler plus de trois votes. Le vote est obligatoire. L'age d'éligibilité à la Chambre est fixé à vingt-cinq ans. La Chambre est comme auparavant renouvelée par moitié tous les deux ans. Le Sénat se compose en partie de membres censitaires (1200 fr. d'impôt ou 12 000 fr. de revenus) élus directement par les mèmes électeurs que la Chambre, mais à partir de l'âge de trente ans; en partie de membres nommés par les conseils provinciaux sans condition de cens.

Les partis depuis l'établissement du suffrage universel. Le nouveau régime décuplait le nombre des électeurs et établissait en moyenne trois suffrages par deux citoyens. Depuis son établissement il s'est fait une élection générale

(1894) et deux renouvellements par moitié (1896 et 1898). Le résultat a été l'écrasement du parti libéral, réduit à 18 députés après 1894, à 12 en 1898; ces 12 sont à peu près tous des progressistes; les doctrinaires ne sont plus représentés à la Chambre. La majorité catholique s'est augmentée de plus en plus; elle compte 112 députés sur 152 (1898). Dans ce nombre sont compris les représentants démocrates-chrétiens élus par les paysans des campagnes flamandes. Ces démocrates sont partisans comme les socialistes de l'intervention de l'État en faveur de la classe pauvre; ils s'appuient sur les syndicats de paysans, attaquent les grands propriétaires et les patrons, et sont en lutte avec les évêques et la haute bourgeoisie catholique. Leur chef, l'abbé Daëns, avait été élu député d'Alost en 1894 contre la liste de Woeste. En 1898 son évêque lui a interdit de se représenter. Ses amis sont au nombre de 8 ou 9 à la Chambre. Le nombre de suffrages exprimés en leur faveur a passé de 23 000 (1894) à 58 000. L'augmentation eût été plus considérable si le renouvellement de 1898 n'avait pas été fait au moment où beaucoup de paysans flamands sont occupés comme ouvriers agricoles à l'étranger. La principale innovation amenée par le suffrage universel a été l'élection de députés socialistes. On n'en comptait pas un avant la revision; les élections de 1894 en envoyèrent d'un coup 29 (28 après 1898). Le leader du parti est un jeune avocat et publiciste de Bruxelles, M. Émile Vandervelde. Les députés socialistes sont presque tous élus par les ouvriers wallons, sans alliance dans le Hainaut, avec l'appui des progressistes à Namur et à Liège. A la Chambre, les socialistes et les progressistes sont d'accord pour réclamer une nouvelle revision abolissant le vote plural, la représentation des minorités, le service militaire court et sans remplacement. En somme c'est le parti socialiste qui mène l'opposition parlementaire. Le total des suffrages exprimés en sa faveur a passé de 334 000 en 1894 à 534 000. La majorité catholique ne se maintient que grâce au vote plural et, dans plusieurs grandes villes, grâce au concours de vieux libéraux hostiles à la coalition radicale-socialiste.

Les principales lois votées depuis 1894 ont le caractère de

mesures contre les radicaux-socialistes, ou en faveur de la clientèle catholique. Telle est la loi de 1895 sur le vote communal. Pour être électeur dans une commune, il faut désormais avoir trente ans (au lieu de 21) et trois années de résidence (au lieu d'une); des votes supplémentaires sont accordés suivant un cens beaucoup plus faible dans les campagnes que dans les villes. Un seul électeur peut cumuler quatre votes. C'était « la loi des quatre infamies », a déclaré un député socialiste. Le parti ouvrier essaya de recommencer la grève générale pour empêcher le vote de cette loi, puis il y renonça devant les préparatifs de répression militaire faits par le gouvernement. Dans la même année 1895 une loi scolaire rétablit l'obligation de l'enseignement religieux dans les écoles publiques comme en 1842, et interdit aux communes d'accorder la gratuité aux parents qui peuvent payer une rétribution, de manière que les écoles publiques ne fissent pas concurrence aux écoles confessionnelles. Des subventions ont été accordées aux écoles libres qui ne se conforment pas au programme officiel.

Une nouvelle loi sur les associations a accordé la personnalité civile aux syndicats, mais leur a refusé le droit de se transformer sans formalités en coopératives de production (1896-97). Le flamand est devenu officiel dans tout le royaume. Les lois sont publiées dans les deux langues (1897).

Parmi les questions pendantes il faut signaler :

1° Les propositions de tarifs protecteurs, demandés par les députés des campagnes, rejetés par les représentants des villes industrielles et commerciales. Sauf quelques droits sur la margarine, le beurre, la farine, la Belgique est jusqu'ici demeurée libre-échangiste pour les mêmes raisons que l'Angleterre, parce qu'elle a besoin de vendre librement à l'étranger les produits de son industrie si considérable.

2° L'établissement du service militaire personnel, désiré sous la forme allemande par le roi et le parti militaire, combattu par la plus grande partie des catholiques, accepté par les progressistes et les socialistes sous la forme suisse.

3o La question du Congo. Le roi a accepté la présidence de l'État libre, avec l'assentiment des Chambres, sous la condition

que l'union serait personnelle et que la Belgique ne contri buerait pas aux dépenses du Congo; mais la majorité a consenti des emprunts à l'État libre. Un parti demande que la Belgique accepte comme remboursement l'État libre lui-même, qu'on présente comme un excellent débouché pour l'industrie belge.

La majorité se divise sur ces questions, mais forme un bloc où sont compris même les démocrates chrétiens quand il s'agit de faire opposition à la coalition radicale-socialiste. Le Parlement belge est coupé en deux partis extrêmes depuis la disparition des doctrinaires. Aussi les discussions y prennent-elles beaucoup d'apreté et parfois une forme violente. La vie politique belge s'est complètement transformée depuis 1830; il n'y a presque plus de catholiques libéraux, plus guère de libéraux doctrinaires. Les partis en présence n'ont plus pour la constitution le même respect que les fondateurs de l'indépendance. La constitution de 1831 n'existe plus, à force de modifications et de remaniements. L'opposition réclame avant tout une revision, qui serait sans doute dirigée contre la monarchie et l'Église. L'ancienne Belgique était le paradis du libéralisme. La nouvelle est le champ de bataille du cléricalisme et du socialisme.

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Depuis 1870, la majorité dans les Chambres (sauf en 18881891) et le ministère ont appartenu presque toujours au parti libéral qui tient encore le pouvoir aujourd'hui après la réforme électorale de 1887-1896 et après les élections de 1897'.

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Les partis politiques. Les libéraux sont les députés de villes commerciales; ils se divisent en modérés et en progressistes. Un parti radical s'est formé en Frise, mais il n'est presque pas représenté dans le Parlement, élu au suffrage cen

1. Le roi Guillaume III, qui régnait depuis 1849, étant mort en 1890, après tous ses fils, a eu pour successeur sa fille Wilhelmina, née en 1880, qui a atteint l'âge légal et a été couronnée solennellement en 1898.

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