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contre 126). Le ministère annonça qu'il allait donner des satisfactions » à l'opinion républicaine par des changements de fonctionnaires. Mais, quand les ministres présentèrent les décrets de révocation à la signature, Mac-Mahon ne voulut pas les signer; le ministère offrit sa démission, Mac-Mahon la refusa (28 janvier 1879) et, le 30 janvier, donna sa démission. Le parti républicain s'était d'avance entendu sur l'élection. Jules Grévy fut élu sans concurrent Président de la République. Les trois pouvoirs appartenaient désormais aux républicains, et le Centre gauche, n'étant plus soutenu par le Président de la République, sortait du gouvernement pour n'y plus revenir.

III. Le gouvernement du parti républicain.

L'arrivée de la Gauche au pouvoir. Grévy s'était fait connaître en 1848 par un amendement pour supprimer la présidence de la République. Devenu Président, il s'abstint de toute intervention personnelle dans les affaires, et parvint à créer une tradition de neutralité stricte qui a enlevé à la présidence tout caractère monarchique.

Le parti républicain, entré en possession du pouvoir, se composait de plusieurs groupes, le Centre gauche, la Gauche républicaine et l'Union républicaine, groupe de Gambetta. Le ministère du 4 février 1879 (Waddington) fut formé de trois ministres centre gauche qui restèrent en fonctions, et de membres de la Gauche républicaine. Gambetta, qui apparaissait déjà comme le chef du parti républicain, fut élu président de la Chambre.

Le ministère Waddington fit voter une amnistie partielle pour les condamnés de la Commune, puis une revision partielle de la Constitution, qui permit de ramener le gouvernement et les Chambres à Paris (juin 1879). Il présenta un plan de construction de chemins de fer nouveaux (plan Freycinet). Son acte principal fut la préparation de la réforme de l'enseignement, dont il ne put faire voler au Sénat que des fragments. La majorité républicaine de la Chambre lui reprochait de s'opposer à l'amnistie, à la liberté de la presse, à l'élection des maires. Par

ses votes ou ses abstentions elle manifesta son mécontentement à plusieurs reprises, et le ministère se retira (21 déc. 1879).

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Le ministère Freycinet, constitué le 28 décembre, ne gardait plus d'hommes du Centre gauche, il était tout entier pris dans la Gauche républicaine. Il accepta l'amnistie, que le Sénat rejeta d'abord, puis finit par voter. Il fit créer la Fête nationale du 14 juillet, symbole de l'établissement définitif de la République. Il engagea la lutte avec le Sénat pour la réforme de l'enseignement. Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique, parvint à faire voter la loi qui excluait du Conseil supérieur de l'Instruction tous les représentants du clergé. La loi sur l'enseignement supérieur qui rendait aux Facultés de l'État le pouvoir exclusif de conférer les grades avait été votée en 1879 par la Chambre, avec le fameux article 7 ainsi conçu : « Nul n'est admis à diriger un établissement public ou privé, de quelque ordre qu'il soit, ni à y donner l'enseignement, s'il appartient à une congrégation non autorisée. » Cette mesure visait les établissements d'enseignement secondaire des Jésuites. Le Sénat vota le reste de la loi, mais le Centre gauche fit rejeter l'article 7, par 148 voix contre 129 (9 mars 1880).

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La Chambre accepta la loi ainsi réduite; mais, par un ordre du jour voté à 324 voix contre 155, elle engagea le gouvernement à appliquer les lois relatives aux associations non autorisées ». Le gouvernement, par les décrets du 29 mars, remettant en vigueur d'anciennes lois tombées en désuétude, ordonna aux Jésuites de dissoudre leurs établissements et accorda aux autres congrégations un délai de trois mois pour solliciter l'autorisation. A l'expiration des délais (30 juin), les Jésuites refusant de quitter leurs maisons, l'administration les fit expulser. Pendant les vacances, une partie du ministère essaya de s'entendre secrètement avec le Pape pour obtenir des autres congrégations une déclaration de soumission au gouvernement. Ces négociations, qui avortèrent, produisirent dans l'intérieur du ministère un conflit (18 sept.). Freycinet donna sa démission et J. Ferry le remplaça. Les congrégations refusèrent de se séparer et furent dissoutes par la force. Elles se reconstituèrent d'ailleurs, et le nombre de leurs élèves s'accrut, à mesure que la bourgeoisie

républicaine accepta les habitudes de la noblesse conservatrice.

Le ministère Ferry (23 sept.), formé presque des mêmes ministres, s'occupa surtout de la réforme de l'enseignement. Il créa l'enseignement secondaire laïque des jeunes filles (décembre 1880), et l'instruction primaire gratuite (juin 1881).

Il fit voter les deux lois de liberté réclamées par le parti républicain. -La loi sur le droit de réunion (juin 1881) reconnaît à tout citoyen le droit de tenir une réunion publique sans autorisation; les clubs restent interdits. La loi sur la presse (29 juillet) reconnaît le droit de fonder un journal sans autorisation ni cautionnement, après une simple déclaration, et rend libres le colportage et la distribution des journaux. Les procès de presse ne doivent être jugés que par le jury, sauf la diffamation contre un particulier; les attaques contre un fonctionnaire sont du ressort du jury et l'on a le droit de faire la preuve.

Les pouvoirs de la Chambre élue en 1877 expiraient en 1881; Gambetta voulait auparavant faire changer le mode d'élection. Le parti républicain, depuis 1848, soutenait le scrutin de liste contre le scrutin uninominal établi en 1852 par Napoléon, en 1875 par la Droite. Derrière les raisons théoriques données de part et d'autre se cachaient les véritables motifs personnels : le scrutin de liste est plus économique et moins pénible pour les candidats parce qu'il répartit entre plusieurs les frais et les fatigues de la campagne électorale; le scrutin uninominal augmente les chances pour le député sortant d'être réélu dans sa circonscription. Gambetta comptait sur le scrutin de liste pour faire passer ses partisans personnels, que son nom aurait servi à remorquer »; Grévy préférait le scrutin uninominal.

Un projet de loi pour établir le scrutin de liste fut voté à la Chambre avec l'appui de Gambetta (mai 1881), mais rejeté au Sénat par 148 voix contre 114.

L'élection, fixée brusquement au 21 août, se fit dans un grand calme. Les partis conservateurs désorganisés n'essayèrent pas de lutter. Il n'y eut dans la nouvelle Chambre que 90 conservateurs, contre 467 républicains. Mais les républicains se divisaient en partisans et en adversaires de Gambetta; 206 de l'Union républicaine, 168 de la Gauche républicaine, 40 du Centre

gauche. Une nouvelle Extrême gauche (de 46 membres), reprenant le vieux programme radical abandonné par Gambetta. demandait la séparation de l'Église et de l'État, la suppression du Sénat, l'impôt progressif sur le revenu.

Le « Grand Ministère ». Le ministère Ferry avait annoncé qu'il se retirerait à la rentrée des Chambres et on s'attendait à voir former un ministère où seraient entrés les chefs des deux groupes républicains, la Gauche et l'Union, pour faire les réformes réclamées par le parti; on l'appelait d'avance« le Grand Ministère ». Mais Gambetta, chargé de former le ministère, se décida, sur le refus de L. Say et de Freycinet, à le prendre tout entier dans son propre groupe, l'Union républicaine.

Le Grand Ministère (comme on l'appela par dérision) fut dès son début reçu froidement par les autres groupes républicains de la Chambre, inquiets de la domination personnelle de Gambetta. Il s'aliéna bientôt la masse des députés républicains (4 nov.) en affirmant la volonté de remettre l'administration en possession de l'autorité; cela signifiait en pratique que les préfets et les sous-préfets, au lieu d'être sous le contrôle des députés du département, dépendraient du ministère et de ses partisans, et que les recommandations des députés aux ministres devraient passer par l'intermédiaire des préfets.

Le conflit décisif se produisit sur la revision de la Constitution. Les élections sénatoriales de janvier 1882 ayant amené 66 républicains et 13 conservateurs, le Sénat avait désormais une majorité pour accepter une revision limitée. Le gouvernement la proposa. Mais Gambetta voulait aussi faire inscrire dans la Constitution que la Chambre serait élue au scrutin de liste; la majorité républicaine, bien que favorable au scrutin de liste, refusait d'en faire une institution constitutionnelle. La commission de 33 membres élue par la Chambre combattit le projet; la Chambre le rejeta. Le « Grand Ministère» se retira (30 janv. 1882). Gambetta ne, revint plus au pouvoir et mourut le 31 décembre.

Scission du parti républicain. La chute du ministère Gambetta était une défaite de l'Union républicaine; le ministère Freycinet (30 janvier) fut pris tout entier dans la Gauche répu

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blicaine, et fut soutenu par la Gauche radicale. Il fit voter la loi municipale de 1882 qui donnait l'élection du maire au conseil municipal dans toutes les communes et supprimait l'institution des plus forts imposés. Il fit passer enfin au Sénat renouvelé par les élections la loi qui établissait l'instruction primaire gratuite, obligatoire, laïque. Le projet de réforme de la magistrature n'aboutit pas; la Chambre vota le principe de l'élection des juges. Depuis la scission entre la Gauche et l'Union, il n'y avait plus de majorité ferme, le cabinet était à la merci des incidents de séance. Le ministère Freycinet tomba à propos de l'insurrection d'Égypte (29 juillet). — Le ministère Duclerc-Fallières (7 août), pris encore dans la Gauche républicaine, mais avec l'adjonction de quelques membres de l'Union, dura jusqu'en février 1883, grâce aux vacances, puis par la tolérance des groupes de gauche. Quand le prince Napoléon, devenu depuis la mort du prince impérial en 1879 le prétendant impérialiste, fit afficher un manifeste contre le gouvernement républicain, la Chambre ne put s'entendre avec le Sénat sur la formule de la loi contre les prétendants, et le ministère se retira.

Alors fut formé le ministère Ferry (21 févr. 1883), pris dans les deux groupes principaux, la Gauche et l'Union, qui constitua à la Chambre une majorité compacte et dura plus de deux ans. Sous ce ministère s'opéra la scission entre le gros du parti républicain et l'Extrême gauche. Le parti républicain avait, en arrivant au pouvoir, abandonné comme chimérique le programme de 1869. Il ne demandait plus que l'achèvement de la réforme scolaire, la réforme du service militaire, la liberté des syndicats et une revision de la Constitution, « tempérée, partielle, opportune » (c'étaient les expressions de J. Ferry en 1881). Le parti s'appelait républicain de gouvernement, ses adversaires le surnommèrent opportuniste.

Le parti républicain d'opposition conservait l'ancien nom de radical et l'ancien programme, l'impôt sur le revenu, la séparation de l'Église et de l'État, et demandait une revision radicale de la Constitution pour ôter au Sénat le pouvoir d'arrêter les réformes volées par la Chambre. Le conflit entre les deux politiques se compliquait d'une rivalité entre deux personnels.

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