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républicains français, devoir suivre une politique contraire (et de fait Cairoli toléra pendant son premier ministère une série de manifestations anti-autrichiennes qui amenèrent un sérieux refroidissement entre Rome et Vienne), mais bientôt ils se laissèrent engager, par un fatal concours de circonstances, dans la voie qui leur avait été ouverte. Depuis 1878, l'Italie en voulait à la France et d'avoir rejeté un traité de commerce et d'avoir refusé son offre de collaboration en Égypte. Quand l'issue du Congrès de Berlin lui eut enlevé l'espoir d'annexer le Trentin, elle se sentit blessée dans son orgueil et se mit à chercher sur quel point le sentiment national pourrait recevoir satisfaction. Elle crut le trouver en Tunisie, où l'attiraient le souvenir de Carthage, l'importance croissante de sa colonie et le développement de son commerce; elle devait y rencontrer la France, à laquelle cette région avait été offerte par les plénipotentiaires anglais au Congrès de Berlin, comme compensation à l'annexion de Chypre. Toutefois, il s'était établi d'abord entre les deux États un accord tacite, aux termes duquel chacun d'eux, tout en restant libre de favoriser les entreprises privées de ses nationaux à Tunis, s'engageait à y respecter le statu quo politique. Le désir de prendre à tout prix la revanche du traité de Berlin entraina Cairoli à dévoiler d'autres ambitions; il envoya auprès du Bey un consul remuant, M. Maccio, qui débarqua avec un appareil militaire inusité (déc. 1878), oblint de ce souverain, contrairement aux conventions, l'établissement d'un bureau de poste dans la Régence, triompha bruyamment de la concession à une compagnie italienne du chemin de fer Tunis-la-Goulette, et laissa le roi, au cours d'un voyage en Sicile, recevoir une députation et écouter un discours de ses sujets résidant en Tunisie. La France, mise en garde par ces manifestations, résolut de ne pas se laisser devancer dans la Régence et fit passer la frontière à ses troupes. Cairoli se montra aussi incapable d'empêcher l'occupation qu'il avait été inhabile à la prévoir. Opiniàtrément rebelle à une idée qui alarmait son patriotisme, il interpréta dans un sens trop optimiste les dépêches de ses ambassadeurs à Paris et à Londres, se persuada à lui-même que la campagne se réduirait à une

courte expédition militaire, et entretint dans cette erreur les Chambres italiennes. On devine dès lors quelle fut leur déception le jour où on apprit à Rome le traité du Bardo; bientôt ce sentiment fit place à une indignation violente contre la France, accusée de mauvaise foi et de manque de parole, et à un irrésistible désir de trouver des garanties contre son ambition (mai 1881).

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Deuxième période (1881-1887). — A la fin de 1881, la Tunisie était donc perdue, le droit sur la mouture aboli, la loi électorale sur le point d'être votée de là une nouvelle orientation dans la politique du gouvernement italien. Se croyant joué par la France à Tunis, il chercha par-dessus tout à fortifier par des alliances, des armements et des annexions, sa puissance extérieure; en présence de la prospérité des finances, il rompit avec les habitudes d'économie auxquelles elle était due en face d'un corps électoral, plus nombreux, mais moins éclairé, il retint sa fidélité par des concessions continuelles aux intérêts locaux; voyant enfin la Droite accepter les mesures qu'elle avait d'abord combattues, il projeta de la fondre avec la Gauche pour s'en faire une majorité. Ainsi, au point de vue extérieur, la Triple Alliance; au point de vue économique, le gaspillage des finances; au point de vue parlementaire, la disparition des anciens partis tels sont les traits caractéristiques de la période qui s'étend jusqu'à l'avènement de Crispi.

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La politique parlementaire. Le successeur immédiat de Cairoli, Depretis, garda le pouvoir jusqu'à sa mort. Il le conserva en accueillant dans sa majorité, et même dans son ministère, des hommes de toute provenance. Il commença par ériger en un système, qu'il décora du nom de transformisme, l'impuissance des anciens partis à conserver leur raison d'être; après l'avoir défini dans son discours-programme de Stradella (octobre 1882), il le vit adopter par les chefs mêmes de la Droite, Minghetti, Bonghi et Sella, l'appliqua en choisissant comme collaborateurs quelques-uns d'entre eux, tels que le général Ricotti, et le consacra en opérant dans son cabinet de fréquents remaniements partiels (mai 1883, mars 1884, juin 1885, février et avril 1887). Il eut pour adversaires les anciens chefs de la

Gauche, mécontents de voir leur programme oublié et leurs personnes laissées de côté. En novembre 1883, cinq d'entre eux, Cairoli, Crispi, Nicotera, Zanardelli et Baccarini conclurent, pour combattre le ministère, une alliance à laquelle ils. donnèrent le nom de pentarchie. La même année, la réunion et la dissolution d'un congrès socialiste à Ravenne signalèrent la formation d'un nouveau parli d'opposition. En mai 1886, les élections auxquelles fit procéder Depretis pour reconstituer sa majorité envoyèrent à la Chambre 285 ministériels contre 183 adhérents à la pentarchie et 60 radicaux hostiles à toute transaction avec le pouvoir. Mais en avril 1887, Crispi et Zanardelli entrèrent dans le cabinet, et Depretis, abandonnant son alliance avec la Droite, commença vers la Gauche une évolution qu'interrompit sa mort (juillet 1887).

La politique financière. - Depretis devait porter dans les finances le même désordre que dans le Parlement. Pendant son ministère, les dépenses montèrent à un chiffre qui n'avait pas encore été atteint. Les unes pouvaient être regardées comme la conséquence de la politique générale que suivait l'Italie : c'étaient les dépenses coloniales, militaires et maritimes. Les autres avaient un caractère local et semblaient destinées à gagner des électeurs plutôt qu'à servir l'intérêt public tels furent les 50 millions consacrés à l'embellissement de Rome et l'emprunt d'une somme égale pour l'assainissement de Naples. Dans cette catégorie on peut encore ranger les conventions de chemins de fer volées en 1885, après d'interminables débats; non seulement elles faisaient aux provinces remise des trois quarts de leurs contributions aux constructions en cours; elles stipulaient encore l'établissement de 1 000 kilomètres de nouvelles lignes, qu'elles ne spécifiaient pas, pour mettre en jeu toutes les convoitises locales.« Si le but du gouvernement de Gauche, écrit à ce propos un historien italien, Ruiz, s'était réduit à dépenser l'argent qu'il n'avait pas, à en chercher de tous côtés, à décourager toutes les énergies, en le jetant par les fenêtres, Depretis et Baccarini ne pouvaient mieux faire. Magliani, éminent comme financier, mais faible pour réagir, dirigeait ces joyeuses finances, personne n'étant plus habile à trouver des ressources

sans confesser qu'on contractait des dettes, bien plus, en donnant à entendre qu'on n'en contractait pas. L'illusion était générale et les banques étrangères l'entretenaient en maintenant à de hautes cotes la rente italienne. » L'état du budget rappelait pourtant aux esprits clairvoyants le danger d'un pareil système; à l'excédent de recette de 12 millions en 1883, succédèrent rapidement des déficits de 21 millions en 1884, de 60 millions. en 1886, de 83 millions en 1887.

L'opinion

La politique extérieure. Les armements. publique se préoccupait trop exclusivement de la politique extérieure pour accorder une attention suffisante à ces symptômes alarmants. Depuis que l'affaire de Tunis l'avait brutalement tirée de son apathie, l'Italie subordonnait tous ses souvenirs et tous ses rêves à une seule pensée : se rendre forte pour être redoutée, se garantir à l'avenir contre toute surprise du même genre, prendre une revanche de l'humiliation subie. Celle force, elle l'obtint par des armements; cette sécurité, elle la chercha dans la Triple Alliance; cette revanche, elle crut la trouver dans la mer Rouge. Au lendemain mème des événements de Tunis, elle se mit résolument à l'œuvre pour accroître sa puissance militaire. Les Chambres votèrent sans difficulté les crédits extraordinaires qui leur étaient demandés: 127 millions en 1882, 212 en 1885, sans compter une augmentation du budget ordinaire montant à 10 millions. Ils servirent à porter de 10 à 12 le nombre des corps d'armée, de 300 000 à 430 000 le chiffre des troupes de première ligne, à instituer, sous le nom de milice territoriale, une seconde réserve, à réformer l'armement, à préparer, par la création de sociétés de tir, les jeunes générations à leurs devoirs militaires. L'organisation de la flotte fut l'objet de la même sollicitude et provoqua les mêmes sacrifices. C'était le moment où, sous l'impulsion d'un grand ingénieur, Brin, on lançait sur les chantiers des cuirassés colossaux, tels que le Duilio et le Lepanto, d'un caractère nouveau et d'une force. offensive inconnue jusqu'alors.

La Triple Alliance. Les armements pouvaient permettre à l'Italie de soutenir une guerre éventuelle des alliances seules la mettraient en état de la prévenir. Sur ce point l'opi

nion, lasse de la politique d'isolement, était unanime. Cette alliance, où la chercher? Depretis inclinait vers un accord avec la France, fondé sur l'oubli du passé; la majorité du public et les cercles parlementaires rejetaient cette solution comme indigne d'un grand pays et préconisaient un accord avec l'Autriche; on supposait en effet que cette puissance, pour s'occuper en pleine sécurité de ses projets orientaux, s'entendrait volontiers avec sa voisine. Le ministre des Affaires étrangères, Pasquale Mancini, se fit l'interprète de ce sentiment, en déterminant dès octobre 1882 le couple royal à accomplir un voyage d'apparat à Vienne. Ce voyage n'était qu'une indication, l'habileté de Bismarck sut en faire le prélude d'une alliance. Désireux d'acquérir l'appui de l'Italie au meilleur prix possible, il l'effraya en réveillant dans ses journaux la question romaine, en offrant au pape un asile à Fulda : il lui persuada peu à peu que son adhésion à l'accord franco-allemand conclu en 1879 était le seul moyen de se défendre contre les revendications temporelles de Léon XIII. D'actives négociations furent entreprises, par l'intermédiaire de M. de Launay, ambassadeur à Berlin, et de M. de Robilant, ambassadeur à Vienne : elles aboutirent au traité secret du 20 mai 1882. Par ce pacte, conclu pour cinq ans, les hautes puissances contractantes se garantissaient réciproquement leurs territoires, assurant ainsi à l'Allemagne la possession de l'Alsace-Lorraine, à l'Autriche celle de la Bosnie-Herzégovine, à l'Italie celle de Rome. M. Mancini avait réussi à faire écarter du premier projet allemand une clause lui imposant l'obligation de suivre à l'intérieur une politique résolument conservatrice. Il n'avait pu, par contre, obtenir gain de cause sur une question capitale la garantie, non seulement des territoires, mais des intérêts primordiaux communs ; il entendait par ce mot le maintien de l'équilibre dans la Méditerranée. Il était dès lors facile de calculer quels étaient pour l'Italie les inconvénients et les avantages de la Triple Alliance. Que gagnaitelle? la possession de Rome, que personne ne menaçait. Que sacrifiait-elle? ses revendications sur Trente et sur Trieste, qui lui tenaient particulièrement à cœur et que venait de réveiller un récent incident (affaire Oberdank). Qu'avait-elle poursuivi?

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