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de ses moyens après avoir soutenu le roi du Choa, Ménélik, contre le négus Johannès, il l'aidait à lui succéder, mais en lui imposant par le fameux traité d'Ucciali (mai 1887) le protectorat italien; en même temps la zone d'occupation militaire était étendue jusqu'à Keren et Asmara (aoùt): un décret la constituait en colonie, sous le nom d'Erythrée; enfin deux traités conclus en février et avril 1887, l'un avec le sultan d'Oppia, l'autre avec le sultan des Somalis, donnaient au cabinet de Rome des droits sur une étendue considérable du littoral de l'océan Indien.

Vis-à-vis de la France, Crispi semblait partagé entre le désir de lui prouver sa bonne volonté et le besoin de chercher partout des adversaires. Pour lui témoigner sa sympathie, il faisait abolir par les Chambres les tarifs différentiels sur les marchandises françaises (déc. 1889), envoyait l'escadre de la Méditerranée saluer M. Carnot lors de son passage à Toulon (avril 1890), et déclarait dans son discours de Tunis (octobre): « Personne ne conçoit et ne saurait concevoir l'Europe sans la mission de cette France, qui est le plus sympathique sourire de la civilisation moderne et possède une force d'attraction irrésistible. » Mais ses journaux ne cessaient de la représenter comme prête à une agression et répandaient le bruit d'un coup de main. sur la Spezia; lui-même semblait accréditer cette opinion par les fortifications qu'il faisait élever sur les Alpes et l'accroissement inattendu qu'il donnait au budget de la guerre (403 millions en 1889).

Vis-à-vis de l'Allemagne il multipliait les démonstrations amicales visite à Berlin, en compagnie du roi et du prince royal (mai 1889); réception de l'empereur Guillaume à Monza (oct. nov. 1889); télégrammes de condoléances à Bismarck lors de sa retraite; entrevue avec son successeur Caprivi à Milan (nov. 1890).

Vis-à-vis de l'Autriche, sa situation était plus délicate; il lui fallait, pour maintenir de bonnes relations avec le cabinet de Vienne, oublier la question irrédentiste et réprimer ou prévenir les démonstrations par lesquelles elle se manifestait il s'acquitta de cette tâche avec autant de décision et de vigueur que s'il n'eût pas été lui-même un ancien révolutionnaire. A la

suite de la dissolution par les autorités autrichiennes de Trieste de la société italienne Pro Patria, des manifestations bruyantes avaient eu lieu à Rome et dans quelques villes de province; deux jours après (22 août 1890), un décret ordonna la dissolution de toutes les associations qui, sous le nom de cercles Barsanti ou Oberdank, s'étaient proposé pour but d'entretenir en deçà ou au delà des frontières du royaume l'agitation irrédentiste. Le ministre des Finances, Seismit-Doda, avait, au cours d'un banquet électoral à Udine, écouté sans protester un discours contenant une allusion à la Dalmatie « qui travaille, souffre sans se plaindre et regarde avec confiance vers l'avenir » : il reçut télégraphiquement du président du Conseil l'ordre de donner sa démission.

Une politique aussi absolue dans son principe et aussi autoritaire dans ses procédés devait forcément soulever, dans les partis avancés surtout, de nombreuses inimitiés; pour en écarter la menace, Crispi fit dissoudre la Chambre des députés (22 octobre), et obtint une majorité des quatre cinquièmes dans celle qui lui succéda. Au moment même où son pouvoir semblait plus solidement assis que jamais, il tomba brusquement (janvier 1891) sur un de ces incidents de séance fréquents dans les parlements où les partis sont mal délimités et peu disciplinés. Au cours d'une discussion budgétaire, il reprocha à son interlocuteur, ministre de 1874 à 1876, d'avoir fait partie d'une administration « servile envers l'étranger ». Il aggrava par une inutile forfanterie l'effet produit par cet excès de langage : « Le vole que vous allez émettre, déclara-t-il, dira à l'étranger si l'Italie veut un gouvernement fort, ou désire retourner à ces gouvernements dont les hésitations et les incertitudes ont produit le discrédit de notre pays ». Abandonné par le Centre et la Droite, il fut mis en minorité et donna sa démission.

Le ministère Rudini (février 1891-mai 1892). - Le marquis di Rudini, chef du groupe qui avait mené la bataille contre Crispi, fut chargé par le roi de former un cabinet; il trouva une majorité en y faisant entrer Nicolera, chef de l'opposition de gauche, et obtint un vole de confiance avec la même facilité qu'autrefois son prédécesseur. Dans son programme (février) et dans sa réponse aux premières interpellations, il

définissait sa politique en ces termes économie à l'intérieur, recueillement en Afrique, bonnes relations à l'extérieur avec toutes les puissances, maintien de la Triple Alliance. C'était indiquer qu'elle aurait le caractère d'une réaction contre les prodigalités ruineuses, l'attitude belliqueuse et les projets coloniaux de Crispi. Cette réaction se dessina d'abord dans le domaine économique et dans le domaine religieux. Le nouveau ministre des Finances, Luzzati, présenta aux Chambres un budget comportant 39 millions d'économies réparties sur les différents chapitres, surtout sur celui de la guerre, et permettant d'éviter le déficit sans recourir à de nouveaux impôts; en décembre, il put leur prédire un excédent des recettes pour l'année suivante. D'autre part, le chef du cabinet protesta, dans son discours de Milan (novembre), de son désir de maintenir la loi des garanties, violemment attaquée par les crispiniens, et d'assurer la pleine liberté des pèlerinages catholiques à Rome. En Afrique, il renonça délibérément à la politique d'expansion suivie jusque-là, et indiqua le triangle MassouahAsmara-Keren comme la limite extrême de l'action des armes italiennes. Au point de vue législatif, la seule réforme qu'il mena à bonne fin fut le rétablissement du scrutin uninominal. Sur un seul point, il continua, mais en y apportant quelques tempéraments, la politique crispinienne : il ne crut pas prudent de rompre les liens dans lesquels il trouva l'Italie engagée et annonça l'intention de rester fidèle à la Triple Alliance. Sous l'empire de la même préoccupation, il renouvela, quelques mois avant son échéance, le traité qui la consacrait (juin 1891). Mais il s'allacha en toute occasion à en affirmer le caractère défensif et pacifique.

Cette politique de paix, de recueillement et d'économie, tout en obtenant l'approbation des esprits sages, n'avait donné à M. di Rudini, ni une majorité solide au Parlement, ni une popularité durable dans le pays, qui regrettait malgré lui l'agitation et les grandeurs factices du ministère précédent. Le cabinet tomba sur l'éternelle question financière, et le député Giolitti, qui avait déterminé sa chute en entraînant dans l'opposition le groupe piémontais, fut chargé de le reconstituer.

HISTOIRE GÉNÉRALE. XII.

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Le ministère Giolitti (mai 1892-décembre 1893). - Le nouveau président du Conseil passait pour un politique habile et un financier de mérite; son passage au pouvoir coincida malheureusement avec une crise économique et parlementaire dont il recueillit la responsabilité sans en brusquer le dénouement, et son ministère ne fut qu'une longue suite de scandales, de maladresses et de calamités publiques.

Ses débuts furent marqués par un incident bien rare dans les annales parlementaires. Son programme rencontra à la Chambre un accueil si froid et une si faible majorité qu'il donna sa démission; il ne la reprit que sur les instances formelles du roi et dut se résoudre à demander six douzièmes provisoires. Estimant alors tout travail sérieux impossible avec une assemblée qui avait successivement soutenu et combattu Crispi, di Rudini et lui-même, il fit prononcer la dissolution (octobre) et remporta aux élections générales (novembre) un éclatant succès (sur 444 députés, 326 lui étaient favorables). Le scandale qui éclata deux mois après et absorba l'attention publique l'empêcha d'en profiter. Une commission nommée pour découvrir les abus commis par les banques d'émission découvrit que la Banque romaine avait émis pour 65 millions de billets illégalement (janvier 1893) et prêté sans garanties de l'argent à plusieurs députés ou fonctionnaires : 'ces révélations, qui jetaient un jour singulier sur la moralité de certains milieux politiques, produisirent en Italie le même effet que les affaires de Panama en France; au lieu de calmer l'émotion publique par des mesures promptes et énergiques, Giolitti ne consentit qu'après trois mois (mais), et comme à regret, à la nomination d'une commission d'enquête parlementaire de sept membres. Presque en même temps il se heurtait, sur le terrain de la politique extérieure, à de très sérieuses difficultés. Les liens qui unissaient l'Italie à l'Allemagne avaient été resserrés par le double voyage du roi Humbert à Berlin (juin 1892) et de l'empereur Guillaume à Rome (avril 1893); ses relations avec la France devinrent particulièrement pénibles après que le prince royal se fût rendu à Metz (septembre) pour assister aux grandes manœuvres allemandes et qu'un sanglant conflit entre ouvriers français et

italiens à Aigues-Mortes eut provoqué des contre-manifestations à Rome. Ces pénibles incidents eurent pour conséquence indirecte une crise économique amenée par la campagne entreprise à la Bourse de Paris contre les valeurs italiennes ; la rente descendit à 78 francs, le change s'éleva à 16 p. 100, plusieurs banques durent suspendre leurs opérations et toutes les transactions se trouvèrent ralenties par le malaise monétaire. Au même instant, la Sicile était le théâtre d'une sourde agitation, motivée par le poids excessif et l'injuste répartition des impôts communaux. Jamais la situation générale n'avait paru plus inquiétante. Il eut dans les esprits un sentiment d'angoisse universelle. Ce fut à ce moment que la commission des Sept déposa son rapport. Elle concluait que le président du Conseil, comme ses prédécesseurs d'ailleurs, s'était rendu coupable au moins de négligence, puisqu'une première enquête avait eu lieu dès 1889; sans relever à la charge des députés de faits de corruption proprement dits, elle « déplorait » et désapprouvait les indélicatesses » commises par certains d'entre eux, notamment par un ami de Giolitti, del Vecchio, et par le ministre du Commerce, Lacava. Giolitti donna aussitôt sa démission (24 nov.).

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Le troisième ministère Crispi (décembre 1893mars 1896). Une première combinaison Zanardelli n'eut qu'une durée de quelques jours. En présence des graves conjonctures où se trouvait l'Italie, l'opinion publique et parlementaire, revenue de ses anciennes préventions, considérait de nouveau Crispi comme l'homme nécessaire; ses défauts mèmes devenaient une force au moment où les mesures énergiques et mème violentes paraissaient indispensables; enfin ses discours de Palerme (nov. 1892) et de Quarto (oct. 1893), dans lesquels il se proclamait un apôtre de la paix, semblaient indiquer que l'expérience l'avait assagi. Ses premiers actes répondirent aux espérances qui reposaient sur son nom. Il débuta par d'énergiques déclarations aux Chambres : « Nous avons malheureusement pris le pouvoir dans un moment où la situation du pays est plus critique qu'elle ne l'a jamais été. Les difficultés que nous avons à surmonter sont immenses, et pour les vaincre

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