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tendre que l'heure de la Restauration n'avait pas encore sonné. Le 26 décembre 1874, le brigadier Martinez Campos partit de Madrid et se rendit à Sagunto, où était cantonnée une brigade placée sous les ordres du général Daban. Le 29 décembre, à huit heures du matin, la brigade se mit en marche vers Valence; à 2 kilomètres en avant de la ville, Martinez Campos fit arrêter les troupes, les harangua et les invita à proclamer roi d'Espagne le fils d'Isabelle II. Officiers et soldats répétèrent docilement la leçon, sauf un vieux capitaine alphonsiste, qui déclara ne pas vouloir participer à un pronunciamiento. Jovellar, général en chef de l'armée du Centre, adhéra au mouvement. Le capitaine général de Valence refusa son adhésion, mais laissa les alphonsistes occuper la ville.

Jovellar télégraphia au gouvernement de Madrid qu'il avait accédé au pronunciamiento « pour ne pas diviser l'armée et pour éviter de plus grands maux à la patrie ». Le capitaine général de Madrid, Primo de Rivera, était d'accord avec les alphonsistes; ne trouvant pas encore les circonstances assez favorables, il dissimula ses projets et s'engagea à arrêter tout mouvement de la garnison. Tandis que Sagasta et ses collègues comptaient sur lui pour maintenir l'ordre, la garnison, encouragée sous main, se prononçait en faveur de D. Alphonse, et la situation devenait bientôt tellement grave que Serrano, consulté télégraphiquement par Sagasta, conseillait lui-même à ses ministres de capituler et gagnait la frontière française. L'armée du Nord n'avait pas eu la patience d'attendre son départ pour proclamer D. Alphonse.

Les vainqueurs s'installèrent immédiatement au pouvoir. Canovas, qui avait désapprouvé le mouvement, prit la présidence du conseil, Primo de Rivera le portefeuille de la guerre, le duc de Sexto fut nommé gouverneur civil de Madrid, le comte de Toreno maire, et Martinez Campos général en chef de l'armée du Nord. Alphonse XII était à Paris au moment où il connut l'événement de Sagunto. Il s'embarqua le 7 janvier 1875 à Marseille, sur la frégate las Navas de Tolosa, arriva le 10 janvier à Barcelone, le 11 à Valence, et fit son entrée à Madrid le 14 janvier, au milieu d'un indescriptible enthousiasme.

Alphonse XII. Le nouveau roi d'Espagne avait dixsept ans. Il avait suivi sa mère en exil en 1868, et la reine lui avait fait suivre les cours du collège Stanislas, à Paris. Pendant l'hiver de 1870, Isabelle l'envoya à Rome où le pape, son parrain, lui fit faire sa première communion. Sur quarante-trois prélats espagnols réunis à Rome, pour le concile de Latran, trente-neuf vinrent rendre hommage au jeune prince qui voyageait incognito, sous le nom de marquis de Covadonga. La guerre chassa la reine Isabelle de Paris; elle se retira à Genève où D. Alphonse suivit les cours du Lycée. Puis il visita Vienne et Munich, et le 1er février 1872 entra au collège noble de Sainte-Thérèse à Vienne. Il passa ses vacances à visiter l'Angleterre, et entra le 12 octobre au collège de Sandhurst. Il était en vacances au palais de Castille, à Paris, quand MartinezCampos le fit roi.

L'exil avait été salutaire à D. Alphonse. A l'éducation de cour qui l'aurait gâté, le hasard avait substitué une éducation libérale dans les meilleurs établissements de France, de Suisse, d'Autriche et d'Angleterre. On n'est pas obligé de croire avec les écrivains de cour qu'il ait appris l'allemand en quatre mois, qu'il ait connu à fond l'anglais, le français et l'italien, et qu'il ait été d'une force remarquable en grec, en histoire et en zoologie ». Mais si incomplète qu'elle eût été, son instruction en faisait pour son pays un prestigieux savant, et il y avait chez lui, avec un ensemble de connaissances assez étendues, une réelle bonne volonté, une intelligence assez sérieuse des besoins de l'Espagne, du courage et une grande activité. Malheureusement Alphonse XII arriva au trône à l'âge où la liberté et le pouvoir présentent les plus grands dangers; il se jeta dans le plaisir avec frénésie, et sa complexion délicate fut bien vite atteinte. Posada Herrera, qui le vit à son retour en Espagne, disait : « Nous avons un roi intelligent et actif; s'il se soigne bien, il est possible qu'il arrive jusqu'à la quarantaine Il mourut à vingt-huit ans, phtisique et épuisé.

La pacification. A peine installé à Madrid, le roi résolut de profiter des renforts amenés par Serrano à l'armée du Nord pour en finir avec l'insurrection carliste. Le 23 janvier

1875, il passait l'armée en revue à Péralta. Elle comprenait 49 500 hommes, 2500 chevaux et 86 pièces de canon. Une attaque générale des lignes carlistes fut décidée; le chef carliste Mendiri abandonna ses positions de la rive gauche de l'Arga; le 3 février, l'armée royale s'empara de la Sierra del Perdon, qui forme le rebord méridional du bassin de Pampelune; la capitale de la Navarre était débloquée. Mais l'échec de la brigade Barges à Lacar et à Lorca décida les chefs de l'armée à remettre à d'autres temps une attaque générale. Le roi retourna à Madrid et le général Quesada eut le commandement de l'armée du Nord, bien diminuée, en face de 44 000 carlistes disposant de 85 pièces de canon.

Ce que D. Alphonse n'avait pu obtenir par la force, il l'obtint par la politique. Au mois de mars 1875 la convention de Londres, signée par Cabrera, offrit aux Vascongades une amnistie générale et le maintien de leurs fueros. Les officiers et les fonctionnaires carlistes devaient conserver leurs grades et leurs emplois. Cette convention prépara la désorganisation du parti carliste. Au mois de juillet, Quesada battit les carlistes à Nanclarès et débloqua Vitoria. Le gouvernement se décida à pousser la guerre à outrance et à en finir à tout prix avec l'insurrection. On commença l'attaque par l'armée du Centre. L'ennemi disposait de 11 800 hommes et de 840 chevaux. Echague avait réussi à le tenir éloigné de la côte et à détruire ses ateliers de Lucena et de Villahermosa. Jovellar prit le commandement de l'armée royale le 9 juin, occupa Chelva et marcha avec toutes ses forces sur Cantaviéja, où les forces carlistes se trouvèrent bloquées. Le 1er juillet, les chefs insurgés tinrent un conseil de guerre, et se décidèrent à disloquer leurs troupes. Le 6 juillet, Cantaviéja se rendait : le 11, les bandes de Dorregaray étaient séparées de celles d'Alvarez et, le 19, la capitulation du fort de Collado achevait la défaite des carlistes du Maestrazgo.

Les armées royales se portèrent alors contre les carlistes de Catalogne. Dès le printemps de 1875, Martinez Campos, nommé capitaine général, avait occupé définitivement Olot et les formidables positions de Castelfullit, assurant ainsi ses communications avec Girone. En avril il s'avança jusque sous les

murs d'Urgel. En mai il fit une expédition sur Ripoll. En juin il enleva aux carlistes les forts de Miravet et de Flix sur l'Ebre, et coupa leurs communications avec les insurgés de Valence. Profitant de son absence, Savalls avait mis le siège devant Puycerda. Martinez Campos se hâla d'accourir et, sans l'attendre, les carlistes se retirèrent sur Urgel qui fut bientôt assiégé et pris (27 août). Pendant le siège d'Urgel, les carlistes chassés de Valence étaient entrés en Catalogne par l'Aragon, poussés en queue par Jovellar. Ils tentèrent inutilement de descendre vers la mer, de faire lever le siège d'Urgel et de passer en Cerdagne. Au prix de peines inouïes, Dorregaray parvint à gagner la Navarre en longeant les Pyrénées. Le reste des bandes carlistes se réfugia en France. Au commencement de novembre, Castets y passait à son tour avec soixante-dix hommes, seul débris d'une armée qui trois mois plus tôt en comptait vingt mille.

Le gouvernement eut alors toute latitude pour mener activement la campagne dans le nord. Le général Quesada nettoya la Rioja et les environs de Pampelune. Au mois de novembre 1875 l'armée du Nord fut divisée en deux : l'armée de droite s'établit entre Tafalla et Pampelune, sous le commandement de Martinez Campos, avec mission de couper la route de France aux carlistes et de s'emparer d'Estella. L'armée de gauche, confiée à Quesada, devait chasser l'ennemi de la Biscaye et donner la main à l'armée de droite pour cerner l'armée carliste dans le Guipuzcoa.

Du 29 janvier au 21 février 1876, à travers d'épouvantables tempètes de neige, Martinez Campos occupa Elizondo, Irun, Tolosa, et opéra sa jonction avec l'armée de gauche, tandis que son lieutenant Primo de Rivera s'emparait d'Estella.

L'armée de gauche avait commencé son mouvement dès le 23 janvier. Quesada entra le 30 à Orduña, et le 1er février à Bilbao. Le 13, douze bataillons carlistes étaient battus à Elgueta, et le 16 un conseil de guerre était tenu à Vergara, Le 18, Alphonse XII venait prendre le commandement des armées combinées, et dix jours plus tard, D. Carlos passait la frontière française avec quelques fidèles. Le 17 mars le roi rentrait à

Madrid avec la satisfaction d'avoir terminé la guerre civile. La convention de Zanjon à Cuba mit fin quelques mois plus tard à la guerre qui désolait la grande île, et, pour la première fois depuis la chute d'O'Donnell, l'Espagne entière fut en paix. Les historiographes officiels décernèrent à D. Alphonse le surnom de Pacificateur.

La guerre carliste avait coûté à l'Espagne des sommes immenses, et, si elle n'avait pas été très sanglante, elle avait donné au pays des habitudes de banditisme que le gouvernement eut grand'peine à faire disparaître. On vit des trains attaqués par des brigands sur la ligne de Madrid à Lisbonne. La répression fut rude et parfois brutale. Les exécutions sommaires des mozos de la escuadra ont laisssé en Catalogne de cruels souvenirs.

Ces guerres interminables, qui étaient pour l'étranger un sujet d'étonnement, démoralisèrent l'Espagne et prouvèrent qu'en luttant contre le gouvernement central pour un prince inintelligent et débauché, les Basques, les Catalans et les Valenciens ne poursuivaient pas d'autre but que la conservation ou le rétablissement de leur autonomie locale. Il fut évident pour tous que le clergé avait soufflé sur le feu et avait armé la population pour la défense de sa domination temporelle. Les libéraux espagnols en concurent une vive irritation et demeurèrent persuadés qu'aucun progrès ne serait possible aussi longtemps que l'Église demeurerait maîtresse des esprits. Les conservateurs, au contraire, comprirent que combattre l'Église était s'exposer à une défaite certaine et se résignèrent pour garder le pouvoir à lui faire tous les sacrifices qu'elle demanderait. Canovas del Castillo. Le règne d'Alphonse XII a été à proprement parler le règne de Canovas del Castillo. Cet homme d'État, un des plus habiles de l'Espagne contemporaine, eût été en tout pays un homme distingué. Historien, littérateur, orateur éminent, causeur charmant, homme du monde, il rappelait, par la variété de ses aptitudes et de ses connaissances et par l'universelle curiosité de son esprit, nos philosophes de l'ancien régime. Il en avait aussi la légèreté, le scepticisme et l'immoralité politique.

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