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Les partisans de Gambetta et de Ferry gardaient pour eux les avantages du gouvernement; les radicaux en étaient exclus.

La lutte fut d'abord sourde. La majorité, abandonnant le rachat des chemins de fer par l'État, accepta les conventions conclues par le ministère en 1883, qui laissaient les grandes compagnies maitresses des chemins de fer. La réforme de la magistrature fut remplacée par un expédient, la suspension de l'inamovibilité, qui permit au gouvernement de mettre à la retraite les magistrats les plus hostiles à la République (nov. 1883). Les radicaux avaient combattu ces deux mesures; ils s'unirent à la majorité pour voter la loi qui rendit publiques les séances des conseils municipaux (1884), la loi de 1884, qui rendit à la France le divorce aboli en 1815, la loi qui permettait la création de syndicats professionnels; on vota aussi l'égalité du service militaire, qui fut rejetée par le Sénat.

Le conflit entre la Gauche radicale et le gouvernement devint aigu sur la revision de la Constitution, la politique coloniale ' et la politique financière. Le ministère fit voter par les deux Chambres la revision, mais en promettant au Sénat de la limiter à une petite réforme du système d'élection. Les radicaux soutenaient qu'une fois réuni le Congrès devenait souverain et avait le pouvoir de revision illimitée. Le Congrès, par 509 voix contre 172, vota la revision d'août 1884, qui se borna à éliminer de la Constitution les dispositions sur l'élection du Sénat. Après quoi une nouvelle loi modifia le recrutement du Sénat; elle attribua aux départements les 75 sièges inamovibles à mesure qu'ils deviendraient vacants, et donna aux conseils municipaux un nombre de délégués sénatoriaux variable suivant le nombre des conseillers, de façon à atténuer, mais très faiblement, le privilège des petites communes.

En matière financière, le parti républicain avait, dès 1879, abandonné le système de l'économie dans les dépenses et de l'amortissement de la dette établi par l'Assemblée de 1871, pour adopter le principe des « dépenses productives » ou nécessaires à la constitution de la démocratie, construction de chemins de

1. Sur la politique coloniale, voir, ci-dessous, le chapitre Empire colonial français.

HISTOIRE GÉNÉRALE. XII.

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fer et d'écoles primaires. Les frais des expéditions et des administrations coloniales montèrent annuellement à plusieurs centaines de millions.

On s'était habitué à voir chaque année un excédent sur les recettes prévues au budget. Mais la longue crise économique qui commença en France après le krach de l'Union générale, en 1882, amena une succession de moins-values. On eut un déficit chronique et un accroissement rapide de la dette, auquel on para provisoirement par des emprunts avoués ou dissimulés.

Mais la lutte la plus violente porta sur la politique coloniale. Les radicaux combattirent le principe même des expéditions et surtout la conquête du Tonkin. J. Ferry répondit par la formule: « Le péril est à gauche ». La masse républicaine se scinda en deux partis, républicains modérés (opportunistes) et radicaux.

Une dépêche du Tonkin annonçant la retraite de Langson effraya la masse des députés républicains. Le chef du parti radical, Clémenceau, accusa le gouvernement d'avoir engagé le pays malgré lui; le ministère fut mis en minorité par 306 voix (dont 86 de la Droite) contre 149 (30 mars 1885).

Les élections de 1885. Le ministère Brisson formé péniblement, le 6 avril, d'un mélange de radicaux et de républicains, fit appel à la « concentration des forces républicaines ». Il conclut la paix avec la Chine et fit voter la loi du scrutin de liste.

Dans les élections d'octobre 1885, les partis conservateurs s'entendirent presque partout sur une liste unique; le parti légitimiste, privé de son prétendant par la mort du comte de Chambord en 1883, s'était fondu presque entièrement dans le parti orléaniste; royalistes et impérialistes s'unirent en une Opposition constitutionnelle, qui, évitant d'attaquer la République, fit campagne, au nom de la religion catholique et des intérêts conservateurs, contre les lois scolaires, l'expulsion des congrégations, les dépenses exagérées et l'expédition du Tonkin. Les républicains se divisèrent. Presque partout il y eut une, liste républicaine et une liste radicale.

Au premier tour (4 octobre), il passa 176 conservateurs et 127 républicains. L'émotion fut si vive qu'au second tour tous les républicains, se soumettant à « la discipline républicaine »,

votèrent pour la liste de concentration formée des candidats républicains qui avaient eu au premier tour la majorité relative. La Chambre fut composée de 202 conservateurs et de 382 républicains. La division était régionale: l'Est et le Midi avaient élu des républicains; l'Ouest et le Nord, des conservateurs. Les républicains étant divisés en deux partis presque égaux (200 modérés, 180 radicaux), il n'y avait dans la Chambre aucune majorité stable.

Le ministère

Les ministères de concentration. Brisson, mal vu de la Chambre qui le rendait responsable du succès des conservateurs, ne put faire passer les crédits pour le Tonkin, combattus par la Droite et les radicaux, qu'à une majorité de quatre voix, grâce aux invalidations de vingt-deux élections de droite qui réduisirent le nombre des conservateurs à 180. Après la réélection de Grévy comme Président de la République, le ministère se retira (29 déc.).

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».

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Le ministère Freycinet (7 janvier 1886) annonça une politique de conciliation » entre toutes les fractions de la majorité républicaine et promit de « rétablir l'équilibre dans le budget Il avait fait une place au personnel radical et gouvernait en s'appuyant sur les deux partis républicains contre la Droite. Le général Boulanger devenait ministre de la Guerre par l'appui des radicaux et se rendait populaire dans ce parti par des déclarations contre les officiers qui faisaient parade de sentiments hostiles » à la République. Ce ministère ne fit guère que la loi d'expulsion contre les prétendants (22 juin) et la loi de 1886 qui achevait d'organiser l'enseignement primaire en excluant des écoles publiques les instituteurs et institutrices congréganistes (27 oct.). Il tomba (3 déc.) sur un amendement au budget voté par 262 voix contre 249 pour exiger la suppression des sous-préfets, que d'ailleurs la Chambre abandonna.

Le ministère Goblet (11 déc.), formé des débris du précédent cabinet, suivit la même politique, et promit d'ajourner toutes les questions sur lesquelles les deux partis républicains seraient en désaccord. Il fut inquiété par la tension des rapports avec le gouvernement allemand, qui aboutit à l'incident Schneebelé (21 avril 1887). Il tomba (17 mai) sur un ordre du jour de

la Chambre, déclarant insuffisantes « les économies introduites dans le budget de 1888 ». La majorité qui le renversa était formée de 165 conservateurs et 110 républicains, contre 257 républicains; on avait voulu surtout se débarrasser de Boulanger.

Freycinet, chargé de constituer le cabinet, ne put s'entendre ni avec les radicaux qui exigeaient un programme de réformes, ni avec les modérés, qui ne voulaient pas du général Boulanger. Après de longues négociations, on forma un ministère Rouvier (30 mai), pris dans le parti républicain modéré, qui abandonna la concentration et adopta une tactique inverse. Il s'entendit avec la Droite, qui promit de cesser l'opposition, en se réservant de combattre « les mesures anti-religieuses et anti-sociales », les emprunts et les impôts. Ce fut la « politique d'apaisement » ; le parti républicain modéré faisait la paix avec le clergé et les conservateurs pour combattre les radicaux.

La crise présidentielle. Le ministère d'apaisement se débarrassa du général Boulanger, en l'envoyant commander un corps d'armée à Clermont; son départ fut l'occasion d'une manifestation à la gare de Lyon (8 juillet 1887), et ses partisans commencèrent à attaquer violemment le ministère.

Pendant les vacances, le sous-chef d'état-major au ministère de la Guerre fut arrêté et révoqué pour avoir vendu des croix de la Légion d'honneur; on avait voulu atteindre en lui un auxiliaire de Boulanger. Mais les poursuites firent découvrir que le gendre du Président de la République, Wilson, était compromis dans des affaires analogues.

A la rentrée, la Chambre, par 338 voix contre 130, vota une enquête parlementaire sur les faits de trafic des fonctions. publiques et des décorations ». Le procès amena à poursuivre Wilson. Les radicaux demandèrent à interpeller sur la situation; le ministère réclama le renvoi de la discussion, qui fut rejeté par 317 voix contre 238, et se retira (19 nov.). Le vole visait surtout Grévy, qui soutenait encore son gendre.

Grévy essaya de constituer un ministère, mais tous les hommes politiques lui déclarèrent qu'aucun ministère n'était possible tant qu'il resterait Président de la République. Grévy hésita jusqu'au 30 novembre. Il avait annoncé le message de

démission dès le 26. Mais les radicaux de l'Extrême gauche, voulant à tout prix éviter l'élection de J. Ferry, s'entendirent avec Boulanger, venu secrètement à Paris, pour décider Grévy à rester, en lui constituant un ministère. On négocia secrètement pendant les deux « nuits historiques » (28-30 nov.). Dans la nuit du 28 on envoya des délégués à Floquet et à Freycinet pour former un ministère où serait entré Boulanger; tous deux refusèrent. Dans la nuit du 29, une réunion où Boulanger assistait proposa pour président du conseil Clémenceau, qui refusa, puis Andrieux, qui acceptait, mais en écartant le général Boulanger. On ne put donc s'entendre.

La foule, impatiente d'apprendre la démission de Grévy, se porta sur la Chambre des députés. La Chambre, pour forcer Grévy, s'ajourna à six heures du soir, « attendant la communication qui lui avait été promise »; le Sénat s'ajourna à huit heures. Devant ce vote unanime Grévy céda enfin, et fit annoncer le message de démission (1er déc.) qui fut lu le 2 décembre.

Le parti républicain modéré voulait élire Président de la République J. Ferry, qui avait pour lui la grande majorité du Sénat. Mais Ferry était resté impopulaire à Paris depuis le siège de 1870; le conseil municipal de Paris déclara qu'il ne répondait pas de l'ordre s'il était élu. La majorité républicaine, intimidée par la crainte d'un conflit, hésita, puis se rallia à la candidature d'un républicain modéré, Carnot, proposée par les radicaux pour faire échec à Ferry. Au premier tour, Carnot eut 303 voix, J. Ferry 212, Freycinet 76; la Droite, ne voulant pas voter pour l'auteur de l'article 7, égara ses voix sur le général Saussier. Au deuxième tour, Carnot fut élu par 616 voix (3 déc.). La crise boulangiste. Carnot revint au système de la concentration républicaine. Son ami Tirard, chargé de former le ministère, prit des membres de tous les partis avec un programme de concorde et d'entente républicaine »> (13 déc.). Mais un parti d'opposition césarienne se formait autour du général Boulanger. Aux élections complémentaires, un comité, fit voter pour lui dans quatre départements. Le ministère apprit que le général était venu à Paris secrètement s'entendre avec ses partisans; il lui retira son emploi. Il se créa un Comité de

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