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protestation nationale dirigé par quelques députés radicaux. Le ministère mit Boulanger à la retraite.

Boulanger, devenu éligible, adopta la tactique de se présenter à chaque élection complémentaire dans les départements où les oppositions de gauche et de droite réunies étaient assez fortes pour le faire passer. Il résuma son programme en trois mots : « Dissolution, Revision, Constituante ». Il s'agissait d'abolir le régime parlementaire, et de faire voler par une constituante spécialement élue un régime analogue à la constitution de 1848: une Assemblée unique, un Président élu directement au suffrage universel et indépendant de l'Assemblée, c'est-à-dire maître de la force armée et des fonctionnaires.

Le parti radical se déclara contre Boulanger, mais sans renoncer à la revision. Le ministère ayant combattu la proposition de revision, fut mis en minorité par 268 voix contre 237 et fut remplacé (4 avril 1888) par le ministère Floquet, où dominaient les radicaux.

Le parti royaliste entra alors ouvertement dans la lutte. Le comte de Paris lança un manifeste qui demandait la dissolution et la revision afin d'établir par le suffrage universel une monarchie démocratique fondée sur l'appel au peuple.

Il ne restait plus en face du parti républicain que des partis plébiscitaires impérialiste, royaliste, revisionniste. Les groupes monarchistes de la Chambre formèrent un comité commun, chargé d'agiter pour la dissolution de la Chambre. Le parti de Boulanger, intitulé national ou revisionniste, fit appel à tous les Français, y compris les conservateurs, pour fonder <«< la République ouverte ». Les partis monarchistes adoptèrent la tactique de « l'action parallèle » avec le parti revisionniste : ils voteraient pour Boulanger, qui devait « faire la trouée ».

Boulanger, élu député, vint à la Chambre demander l'urgence pour la revision. Elle fut rejetée par 377 voix contre 186 (4 juin). Puis il demanda la dissolution. Enfin, renonçant à agir sur la Chambre, il travailla à préparer l'opinion pour les élections générales de 1889 en faisant plébisciter sur son nom dans les élections complémentaires. Il n'eut aucun succès dans les départements républicains de l'Est et du Midi; il fut élu avec de fortes

majorités dans les départements conservateurs ou hésitants. La campagne était menée avec les procédés de la publicité commerciale, des affiches en masse, des distributions de portraits et de biographies du général Boulanger, des manifestations faites par des agents embauchés. On sut plus tard que l'argent était fourni surtout par les royalistes, la duchesse d'Uzès et le comte de Paris.

Une vacance s'étant produite dans le département de la Seine, Boulanger se présenta. Il eut pour lui tous les conservateurs et la plupart des électeurs radicaux, toujours prêts à voter contre le gouvernement; il fut élu par 242 000 voix, contre 165 000 au candidat de la coalition de tous les républicains (27 janv. 1889).

On crut qu'il allait le soir même marcher sur l'Élysée et renverser par la force le gouvernement : les troupes de police (gardiens de la paix, gardes républicaines) ne cachaient pas leur sympathie pour le futur dictateur. Mais Boulanger ne fit aucune tentative de coup d'État; il comptait sur les élections générales. Or son succès n'était possible qu'au scrutin de liste, où son nom seul pouvait faire voter pour une même liste les électeurs radicaux et les électeurs conservateurs. En montrant sa puissance il avait averti du danger ses adversaires.

Les républicains effrayés se décidèrent à sacrifier le scrutin de liste, et le ministère présenta un projet de loi pour rétablir le scrutin uninominal. Mais il avait dès la rentrée déposé aussi un projet de revision. Lequel des deux serait discuté le premier? De cette question de priorité dépendait l'issue de la crise, car si on commençait par la revision, le désaccord entre les républicains rendrait l'entente impossible. La priorité pour la loi électorale passa à quelques voix de majorité seulement; puis la loi fut votée malgré la Droite, les revisionnistes et quelques radicaux, par 268 voix contre 222 (12 février). Elle fut complétée en juin par la loi qui interdisait les candidatures multiples.

Puis vint le débat sur la revision. Dès le début, sur une question d'ajournement, le ministère Floquet fut mis en minorité par la réunion des Droites, des revisionnistes et des républicains modérés, et se retira (15 février). Tirard forma un ministère de concentration où dominaient les républicains modérés.

Ce ministère se débarrassa de Boulanger en lui faisant faire

un procès pour complot contre la sûreté de l'État devant le Sénat constitué en Haute Cour. Boulanger s'enfuit de France.

La loi militaire, votée dès 1884 par la Chambre, passa enfin au Sénat avec de fortes modifications que la Chambre accepta (juillet). Elle abolissait le système mixte de 1872, le volontariat, l'exemption des membres du clergé et de l'enseignement, la division du contingent en deux portions; elle établissait le service de trois ans pour tous, avec dispense de deux années pour les jeunes gens pourvus de diplômes supérieurs.

L'Exposition universelle de 1889, ouverte le 5 mai en commémoration de 1789, détourna l'attention de la politique; elle fut très brillante et fortifia le gouvernement. Les monarchistes et les revisionnistes essayèrent d'utiliser les élections au conseil général pour faire plébisciter sur le nom de Boulanger; on le présenta dans 80 cantons choisis exprès, il ne fut élu que dans 16.

Aux élections générales (22 sept.) la lutte s'engagea entre la coalition des républicains, soutenus secrètement par l'administration, et la coalition des ennemis de la république parlementaire, monarchistes, catholiques, revisionnistes, soutenus ouvertement par le clergé. Le comité national revisionniste avait dressé une liste de candidats, composée en partie de monarchistes, qualifiés de « républicains ralliés »; il demandait une « république nationale ». Le clergé attaquait les lois scolaires et la loi militaire et, en beaucoup d'endroits, la République elle-même.

La masse des électeurs vola pour le parti qui représentait le maintien des institutions établies. La Chambre nouvelle comprit 366 républicains, 172 conservateurs, 38 revisionnistes; il y avait 282 députés nouveaux. Les revisionnistes n'avaient passé que dans la Seine et dans quelques circonscriptions éparses sur toute la France. La coalition entre monarchistes et revisionnistes se rompit. Ce fut la fin de la crise boulangiste.

Il n'en restait qu'un petit groupe de députés qui, après l'échec des revisionnistes aux élections municipales de Paris en avril 1890 (un seul fut élu sur 80), et le suicide du général Boulanger (sept. 1891), se fondit dans les partis radicaux et socialistes.

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Les ministères de concentration (1890-93). Après les élections de 1889, la concentration républicaine resta la

politique officielle de tous les ministères. Mais le parti radical élait réduit à une minorité sans force; il conservait son programme, revision, impôt sur le revenu, séparation de l'Église et de l'État, sans espoir d'en faire passer aucune partie. Le parti républicain modéré, fortifié par sa victoire sur Boulanger, avait à la Chambre environ 250 membres et une majorité énorme au Sénat (en 1893 le Sénat élut président J. Ferry, qui mourut presque aussitôt après); il formait seul le ministère et dirigeait le gouvernement. Ayant épuisé son programme de réformes, il suivait une politique défensive maintenir les lois scolaires et la loi militaire contre le parti catholique et laisser reposer le pays fatigué par la crise boulangiste.

La Chambre n'essaya même pas d'annuler les élections faites sous la pression du clergé, elle n'invalida que des élections de boulangistes, qui d'ailleurs furent réélus. Ce fut l'occasion de quelques scènes violentes; puis la vie politique se réduisit à des conflits de personnes et à des incidents sans portée, condamnation du duc d'Orléans, manifestation du 1 mai, manifeste du comte de Paris (1890), affaire de Fourmies, affaire de l'archevèque d'Aix (1891).

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Le ministère Tirard se retira à propos d'un traité de commerce avec la Turquie (mars 1890). Le ministère Freycinet, qui déclarait s'appuyer sur toutes les fractions du parti républicain, démissionna à propos d'une interpellation relative à la loi sur les associations (20 février 1892). Mais il se reconstitua avec les mêmes membres, excepté Constans, sous la présidence de Loubet (27 février 1892). Cette crise fut attribuée à l'action personnelle du président Carnot, mécontent de l'influence de Constans sur le gouvernement. Le ministère Loubet, mis en minorité à propos de l'expédition au Dahomey, donna sa démission (11 juillet), mais la reprit en se bornant à remplacer le ministre de la marine Cavaignac, seul visé par le vote de la Chambre.

Le seul acte important de la Chambre élue en 1889 fut le vote des tarifs douaniers de 1892. Le système des traités de commerce, adopté par Napoléon III depuis 1860, avait établi entre la France et les principales nations des droits de douanes. fixés pour une période déterminée par les traités, chaque État

abaissant ses tarifs sur certains articles pour obtenir en échange des abaissements sur les articles qu'il tenait le plus à exporter. On pouvait ainsi graduellement se rapprocher du libre-échange. Mais en 1871 Bismarck, pour empêcher la France de rompre ses relations de commerce avec l'Allemagne, avait imposé une clause par laquelle les deux nations s'engageaient à s'appliquer réciproquement les tarifs accordés à la nation la plus favorisée. Les industriels français se plaignirent de la concurrence allemande, appelant le traité de Francfort « un Sedan industriel ». Les grands industriels cotonniers et drapiers des Vosges, du Nord et de la Seine-Inférieure firent dans la presse une campagne protectionniste et, entraînant la masse des députés des régions agricoles qui demandaient la protection pour les blés et le bétail, décidèrent la Chambre à rétablir le régime protecteur.

Les traités de commerce qui liaient la France expiraient vers 1890. La Chambre, refusant de les renouveler, adopta le régime du « tarif autonome », qui laisse chaque État maître d'élever ou d'abaisser à volonté les tarifs sur chaque article, et maintient les importateurs dans une incertitude permanente sur les droits de douane qu'ils auront à payer. La loi de 1892, dont Méline fut rapporteur, établissait deux tarifs : le tarif maximum applicable à tous les articles pour lesquels le pays producteur n'a pas fait une convention spéciale avec la France, le tarif minimum accordé à certains articles par convention spéciale avec le pays producteur. Le résultat fut une guerre de tarifs avec plusieurs États étrangers, qui obligea à accorder le tarif minimum à la plupart des grands pays.

Formation de nouveaux partis (1892-93). — Le parti conservateur ayant renoncé à la lutte ouverte, la fraction exclusivement catholique du parti changea de tactique. Elle se rallia officiellement à la République pour entrer dans le gouvernement et lui faire adopter une politique favorable au clergé. Cette évolution fut soutenue par Léon XIII, qui formula ainsi sa politique (dans une entrevue privée) : « Accepter la Constitution pour modifier la législation », », ce qui voulait dire abroger les lois. scolaires et la loi militaire.

Les royalistes catholiques protestèrent contre cette inter

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