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les gouvernements lithuaniens ou petit-russiens, il y a beaucoup

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de propriétaires polonais ou catholiques c'est tout un dans le bassin moyen du Dniepr, la population, quoiqu'orthodoxe, est petite-russienne, et sa langue diffère du russe officiel. Dans toutes ces provinces enfin, il y a des Juifs la presque totalité des cinq millions d'Israélites sujets russes y est parquée et de nombreux étrangers originaires des pays limitrophes les uns, grands seigneurs, liés à l'aristocratie russe ou polonaise par des mariages; les autres, roturiers, venus en territoire russe, parfois attirés par le gouvernement lui-même, pour y fonder des exploitations agricoles ou industrielles.

La politique du gouvernement russe a varié, suivant ces éléments. Les mesures prises contre eux n'ont guère eu qu'un point commun : l'interdiction d'acquérir la terre. Entre 1881 et 1894, les oukazes se sont succédé, limitant la capacité des étrangers, des Polonais et des Juifs d'acquérir des biens fonciers, limitant même, dans certains cas, leur faculté d'hériter. C'est ainsi que le prince de Hohenlohe, alors ambassadeur d'Allemagne à Paris, dut se défaire des grands domaines que les Wittgenstein, dont il était l'héritier, avaient possédés en Lithuanie.

A l'égard des colons industriels, patrons ou ouvriers, venus de Prusse ou d'Autriche, le gouvernement russe dut user d'un peu plus de ménagement, sous peine de compromettre l'industrie, en plein essor, des provinces de la Vistule. Il soumit à de nombreuses formalités l'achat des terrains nécessaires pour les usines, imposa aux patrons, dans certains cas, l'emploi de Russes, ou la connaissance de la langue russe, procéda quelquefois à des expulsions d'employés ou d'ouvriers étrangers, sans y mettre, du reste, la brutalité qu'à la même époque le gouvernement prussien apportait à des opérations de même nature.

En ce qui concerne les Juifs, toujours détestés par la masse de la population, les premières années du règne furent marquées, dans la plupart des villes du Sud ou de l'Ouest, par des émeutes et des pillages que le gouvernement dut réprimer, assez mollement sous l'administration du comte Ignatief, plus énergiquement sous celle du comte Tolstoï. Cette protection relative accordée aux Juifs n'empêcha pas l'édiction d'une série

d'oukazes qui aggravèrent leur sort. Tous ceux qui étaient établis dans une zone d'une largeur de cinquante verstes, tout le long de la frontière, en furent expulsés. Les règlements qui limitaient leur droit de vivre dans les campagnes furent revisés et appliqués avec une nouvelle rigueur. Les Israélites qui, de leurs ghettos des bords de la Vistule, du Niemen ou du Dniepr, avaient trouvé moyen de filtrer dans les provinces de l'intérieur, en furent expulsés, sauf exceptions étroitement limitées. En même temps, des règlements nouveaux déterminèrent le tant pour cent d'Israélites que pouvaient recevoir les gymnases et les universités - 3 pour cent dans les deux capitales, 5 pour cent dans les villes de l'intérieur, 10 pour cent, au maximum, dans les villes de l'Ouest, même quand les Juifs y faisaient le tiers ou la moitié de la population.

Les mesures prises contre les Polonais les ont atteints encore plus gravement. Non seulement leur droit d'occuper des emplois ou de posséder des terres (dans les gouvernements du Sud-Ouest autres que ceux de la Pologne proprement dite) a été restreint, mais, de plus que les étrangers et les Juifs, ils ont eu à souffrir dans leur fidélité à leur langue et à leur religion.

En 1869, le polonais avait été rayé des programmes de l'enseignement secondaire. Après 1870, sous l'inspiration du Curateur de la circonscription académique de Varsovie, Apoukhtine, la même suppression fut opérée dans l'enseignement supérieur (Université de Varsovie) et dans l'enseignement primaire. Puis l'emploi du polonais cessa d'être toléré dans les dernières administrations qui en faisaient encore usage. Les noms des rues, les enseignes mème des magasins durent être en russe. Dans l'ancienne Lithuanie, la chasse au polonais prit le caractère d'une véritable inquisition.

Mais ce n'était pas encore tant la langue que la religion qui séparait les Polonais des Russes. Depuis 1832, le gouvernement avait fait la guerre aux congrégations et au clergé catholique, particulièrement dans l'ancienne Lithuanie, nous avons vu par quels procédés on avait ramené les uniates à l'orthodoxie. La mème politique s'accentua sous Alexandre III. Les sémi

naires, où le nombre des élèves fut limité, furent tenus sous une étroite surveillance. En Lithuanie, on s'efforça de substituer aux prêtres polonais des prêtres originaires de Samogitie. Il fut rigoureusement interdit aux curés de sortir de leurs paroisses, de construire de nouvelles églises, ou simplement de réparer les anciennes, sans autorisation administrative. Ces défenses, aggravées parfois par le zèle brutal des autorités provinciales, donnèrent lieu à des troubles et à des scènes sanglantes.

Dans l'ancien royaume de Pologne, dans le gouvernement de Chelm, il existait une nombreuse population uniate, de race petite-russienne. Le gouvernement entreprit de la ramener à l'orthodoxie. De 1866 à 1875 il prépara le terrain en supprimant dans les cérémonies des uniates tout ce qui s'y rapprochait du catholicisme et s'éloignait des formes de la pure orthodoxie. En 1875, il mit en circulation, dans la province, des adresses au tsar pour lui demander le rétablissement du culte orthodoxe des signatures furent obtenues par force ou par ruse; contre les récalcitrants, on employa les amendes, l'incarcération, la fustigation, la déportation, etc. Le culte orthodoxe fut donc rétabli partout, les uniates officiellement déclarés orthodoxes et, en 1888, Alexandre III vint faire une visite solennelle à la nouvelle cathédrale orthodoxe de Chelm. Mais ces recrues une fois conquises à l'orthodoxie, il fallait les empêcher de retourner à leur ancienne religion ou d'en pratiquer secrètement les rites. De là un ensemble de mesures policières qui subsistent encore aujourd'hui, à peine adoucies.

Jus

La russification dans les provinces baltiques. qu'au règne d'Alexandre III, les provinces baltiques, Livonie, Esthonie et Courlande, avaient occupé dans l'Empire une situation privilégiée. Les traités qui les avaient réunies à la Russie avaient stipulé qu'elles conserveraient leurs droits et privilèges; en d'autres termes, que les barons allemands, descendants des Porte-Glaive d'autrefois, continueraient à posséder la terre et à gouverner dans leurs assemblées provinciales, conjointement avec les bourgeois allemands de Riga, Revel, etc., la masse des serfs esthes ou lives. Sous ce régime, les provinces baltiques avaient été prospères. La longue paix qu'elles durent à la protec

tion russe développa leur richesse matérielle; et, d'autre part, les tsars firent de la noblesse baltique la pépinière de leurs généraux, de leurs ministres, de leurs diplomates. Nous avons déjà dit quelles jalousies en étaient résultées en Russie.

Dès 1883, Alexandre III chargea le sénateur Manasséine d'une enquête sur la situation des provinces baltiques. Les résultats de cette enquête se développèrent les années suivantes. L'organisation administrative du pays fut changée; ses libertés provinciales supprimées. En 1889, les Landgerichte et Vogtgerichte, élus par la noblesse, furent abolis; à leur juridiction fut substituée celle de juges de paix nommés et révoqués par le ministre de la justice; les tribunaux d'arrondissement, de Revel, Riga, Mittau et Libau, furent subordonnés à la Cour d'appel de SaintPétersbourg. En même temps le russe fut rendu obligatoire partout, exception faite, à titre temporaire, pour les tribunaux de bailliage. Les conseils municipaux durent délibérer en russe. Puis la russification s'étendit aux établissements d'instruction, aux gymnases, aux écoles primaires qui, de l'autorité de la noblesse et des pasteurs luthériens, passèrent sous celle du Ministère de l'Instruction publique, et enfin à l'Université de Dorpat, qui fut transformée et débaptisée. Depuis 1895, Dorpat a repris son nom russe du moyen âge, Iourief.

Enfin, comme en Pologne, la guerre religieuse accompagna la guerre de langues. Les paysans esthoniens ou lives ne tenaient guère au lutheranisme, qui était pour eux, avant tout, la religion des maîtres; sous Nicolas Ier, le comte Protassof, procureur général du Saint-Synode, avait converti plus de 100 000 d'entre eux par des moyens analogues à ceux qu'il employait, au même moment, dans les anciennes provinces polonaises. La propagande, interrompue sous Alexandre II, reprit sous Alexandre III, à grand renfort de mesures administratives. Il ne semble pourtant pas, jusqu'à présent, que ses succès soient très brillants; le paysan baltique veut bien s'affranchir du baron et du pasteur, tous deux allemands et luthériens, mais il ne se soucie guère d'échanger leur autorité contre celle du tchinovnik et du pope.

La russification de la Finlande. La situation de la Finlande dans l'Empire ressemblait à celle des provinces balti

ques, avec un caractère plus marqué d'autonomie et d'isolement. Avant même le traité par lequel elle a été régulièrement cédée par la Suède (traité de Frederikshamm, septembre 1809), l'empereur Alexandre Ier avait spontanément concédé aux Finlandais des droits égaux, sinon supérieurs, à ceux dont ils avaient joui pendant leur union avec la Suède. Le 27 mars 1809, à Borgo, devant les représentants des quatre ordres, il avait confirmé et ratifié « la religion et les lois fondamentales du pays, ainsi que les privilèges et les droits dont chacun des ordres du GrandDuché, en particulier, et tous ses habitants, en général, jouissent en vertu de sa constitution ». Et c'est ainsi que, suivant l'expression du ministre d'Alexandre, Speranski, la Finlande était devenue, non une province de l'État russe, mais un État particulier, sous la suzeraineté russe.

Jusque sous Alexandre III, la constitution finlandaise, appliquée avec plus ou moins de libéralisme, suivant les souverains, resta intacte. Aucune difficulté ne surgissant avec le pouvoir suzerain, la seule question politique, dans le GrandDuché, fut la lutte des suécomanes, bourgeois et nobles d'origine et de langue suédoise, et des finnomanes, habitants des campagnes, qui, grâce à leur énorme supériorité numérique (85 p. 100 de la population totale) et surtout à l'appui du gouvernement russe, gagnaient sans cesse du terrain. Lutte pacifique, du reste, et qui n'entrava pas un seul instant le progrès économique du pays. En trois quarts de siècle, sa population passa de 900 000 âmes environ, en 1812, à 2 300 000 en 1886, et ses revenus montèrent de 6 à 7 millions de marks (le mark finlandais est égal au franc) à environ 40 millions.

Cette prospérité que les Finlandais opposaient orgueilleusement au médiocre développement de leurs voisins russes, ne pouvait pas ne pas provoquer de jalousies. Il vint un moment où les publicistes russes se demandèrent si la prospérité de la Finlande n'était pas due aux sacrifices du contribuable russe. On calcula que les dépenses d'intérêt général, cour, liste civile, Affaires étrangères, Guerre, Marine, dont la Finlande aurait dû supporter une part proportionnelle à sa population, retombaient en réalité, pour leur presque totalité, sur la Russie

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