Page images
PDF
EPUB

çais et l'allemand. En outre, sous la domination turque, les Bulgares avaient joui, comme les Serbes, d'une assez large indépendance communale, en sorte que dans une certaine mesure ils se trouvaient préparés à la vie politique. Enfin beaucoup avaient étudié en Roumanie, en Russie, en Allemagne, en France; ils avaient même acquis des grades universitaires supérieurs. Ils entendaient jouer un rôle actif dans leur patrie rendue à la liberté, et ne pouvaient longtemps consentir à n'être que les instruments d'une volonté étrangère.

Parmi eux, comme parmi les Serbes, il existait deux tendances très différentes. Les uns, anciens étudiants de France et d'Allemagne, estimaient qu'à un peuple émancipé de la veille, rusé, enclin aux conspirations, peu soucieux de la légalité et respectueux de la force seule, il fallait pour ainsi dire doser la liberté, et qu'il convenait de le soumettre à un pouvoir central puissamment armé et qui ne pût ètre gêné dans l'œuvre d'organisation générale par l'instabilité du régime parlementaire. A ces autoritaires, que l'on appela les conservateurs, la constitution paraissait trop libérale. Sur ce point les conservateurs se trouvèrent au début d'accord avec le gouvernement russe et les nombreux officiers et fonctionnaires que le tsar avait chargés de façonner la Bulgarie nouvelle. Mais l'entente fut de courte durée. L'ingérence russe déplut rapidement aux conservateurs, qui, s'ils voulaient donner des maîtres aux Bulgares, entendaient être ces maîtres. Dès 1879 ils auraient pu prendre pour devise le mot que Stamboulof prononça plus tard : « La Bulgarie aux Bulgares ». Les hommes les plus remarquables du parti étaient MM. Natchevitch, Grecof et Stoilof, venus des universités de Paris, d'Aix et de Heidelberg.

Quand les Russes découvrirent les intentions des conservateurs et comprirent qu'ils poussaient Alexandre à être un prince bulgare et non point un simple lieutenant du tsar, ils combattirent leurs alliés de la veille et cherchèrent un appui dans le parti libéral. Ce parti se composait de ceux qui avaient été en Russie, et de ceux qui au temps des Turcs avaient vécu réfugiés dans les divers États des Balkans. Partisans du régime parlementaire, ils réclamaient la stricte application de la

constitution. Ils jugeaient en outre très légitime qu'une part d'influence appartint à la Russie dans la vie politique de la principauté. Leurs chefs furent à l'origine MM. Zankof et Karavelof. Dans la suite le parti se désagréga, précisément à propos de la question de l'influence russe, en 1882, après la révolution de Philippopoli et la chute d'Alexandre. Beaucoup ne voulant plus alors « ni du miel, ni de l'aiguillon de la Russie' », formèrent avec Stamboulof le parti libéral national, dans lequel, en raison de la communauté de haine, vint se fondre le parti conservateur. Le reste du parti libéral, russophile avant tout, se morcela par suite de rivalités entre MM. Zankof et Karavelof; mais ces divisions sont sans importance politique.

-

Coup d'État de mai 1881. Le prince constitua son premier cabinet avec les chefs des conservateurs, MM. Grecof et Natchevitch, et le général russe Parenzof. Mais les élections donnèrent la majorité aux libéraux, qui manifestèrent immédiatement leur hostilité au ministère. Six jours après sa réunion, le Sobranié fut dissous (novembre 1879). Aux nouvelles élections 138 libéraux furent élus contre 32 conservateurs. Le prince céda et confia le pouvoir à MM. Zankof et Karavelof. Les conservateurs restaient néanmoins ses conseillers dans la coulisse. Sous leur influence le prince demanda et obtint du tsar l'autorisation de procéder à un coup d'État. Le 9 mai 1881, il renvoyait le cabinet Zankof-Karavelof et formait un ministère dirigé par le général russe Ernroth. La constitution était suspendue; une constituante était convoquée, et le prince annonçait qu'il lui demanderait des pouvoirs extraordinaires pour sept ans. Pour préparer les élections, il parcourut les provinces, accompagné de l'agent russe Hitrovo. Grâce à ce voyage et à la pression administrative, on eut une Chambre en majorité conservatrice. Les chefs du parti libéral furent bien élus, mais crurent prudent de s'exiler. Seul M. Zankof osa venir siéger il fut arrêté. L'assemblée donna au prince les pouvoirs qu'il demandait.

La Bulgarie fut alors gouvernée par les conservaleurs et

1. Le mot est de M. Zankof, qui est cependant resté un russophile miné.

[ocr errors][merged small]

les généraux russes Remlingen, Sobolef et Kaulbars. Ces derniers s'efforçaient d'établir partout l'influence russe on tenait déjà l'armée par les officiers; on réclamait l'adoption des codes russes, des programmes d'instruction russes, et la concession de grands travaux, notamment la construction des chemins de fer, à des spéculateurs russes. Les conservateurs inquiets poussèrent le prince à ne pas céder à ces exigences. Le tsar Alexandre III, qui n'aimait pas Battenberg, ne lui pardonna pas cette résistance, et Sobolef et Kaulbars eurent mission de préparer le renversement des conservateurs et du prince, en se rapprochant des libéraux et en rétablissant la constitution. Le projet fut éventé par M. Grecof, qui proposa à Battenberg de prendre les devants et de former un cabinet de coalition où les libéraux siégeraient à côté des conservateurs. L'entente se fit entre les partis sur le dos de la Russie. Le 19 septembre 1883 le prince résigna ses pouvoirs extraordinaires et remit en vigueur la constitution. Les généraux russes se retirèrent. Les libéraux ne tardèrent pas à évincer leurs collègues conservateurs et restent maîtres du pouvoir, avec M. Karavelof. On eut deux années de tranquillité relative, pendant lesquelles les rancunes russes parurent assoupies.

Mais une

La Roumélie. Révolution de Philippopoli. révolution à Philippopoli fut le point de départ d'une nouvelle et longue période de crise. Conformément au traité de Berlin, les Russes étaient restés en Roumélie jusqu'en juillet 1879. Le gouverneur de la Bulgarie profita de l'occupation pour organiser la Roumélie sur le même plan que la Bulgarie, sans tenir compte de la commission européenne constituée à cet effet: « Cette uniformité administrative, disait-il, me paraît de la plus haule importance pour l'avenir de la Roumélie ». On ne pouvait plus clairement indiquer que le gouvernement russe espérait voir un jour annuler le traité de Berlin, en ce qui concernait la séparation de la Bulgarie et de la Roumélie. On ne pouvait pas plus nettement engager les Rouméliotes à réclamer l'union et à la préparer. Le gouverneur nommé par le sultan (avril 1879), Aleko-Pacha, d'origine bulgare, n'eut garde de combattre les « unionistes », que les divers consuls russes.

encourageaient de leur côté. Ces derniers cependant changèrent d'attitude lorsque Battenberg eut cessé d'être agréable à Pétersbourg. Ils essayèrent alors de retarder une révolution qui lui profiterait, grandirait son prestige, rendrait son renversement plus difficile. Gavril-Pacha, qui, à la demande de la Russie, avait remplacé en 1884 Aleko-Pacha, se fit l'agent de cette politique d'atermoiement qui mécontenta les Rouméliotes. Le consul d'Angleterre exploita la situation au profit de l'influence anglaise et poussa les Rouméliotes à l'action. Dans la nuit du 17 au 18 septembre 1885, Gavril-Pacha était enlevé et chassé de Philippopoli, et les Rouméliotes proclamaient l'Union. Battenberg fut surpris par la soudaineté de l'événement, mais il accourut et prit le titre de « Prince des deux Bulgaries

».

Guerre avec la Serbie. Le tsar, parce qu'il craignait d'être compromis aux yeux de l'Europe, et parce qu'il détestait Battenberg, rappela les officiers détachés en Bulgarie et déclara aux délégations, venues pour lui demander d'approuver le fait accompli, qu'il ne ferait rien pour la Bulgarie tant qu'Alexandre la gouvernerait. En même temps, en Serbie, Milan mobilisait l'armée (22 septembre 1885). Les relations entre Sofia et Belgrade étaient assez tendues depuis le mois de mai 1884. Milan reprochait au gouvernement bulgare de ne pas exercer une surveillance assez étroite sur les radicaux réfugiés en Bulgarie à la suite du soulèvement de Zaïtchar. L'agent serbe avait même été rappelé (juin 1884). Il parut à Milan que l'union de la Bulgarie et de la Roumélie bouleversait « l'équilibre des forces des États des Balkans1» et que la Serbie « ne pouvait rester indifférente en présence de cette perturbation ». L'armée bulgare, désorganisée par le rappel des cadres russes, se trouvait en Roumélie en prévision d'une invasion turque. Battenberg, comptant sur l'amitié de Milan, ne se méfiait de rien. Milan profita de cette confiance pour entamer une campagne qui en deux jours, disait-il, le conduirait à Sofia : il attaqua brusquement (14 novembre). Tandis qu'un corps marchait sur Widdin, le gros des forces, dirigé par Milan, franchit le défilé

1. Manifeste du 14 décembre,

de Dragoman. Mais, contre toute attente, Milan fut arrêté devant les positions de Slivnitza. Trois jours de combat (17, 18, 19 novembre 1885) aboutirent, grâce à l'énergie et à l'esprit d'offensive des jeunes officiers bulgares, à la complète défaite de Milan. Le 26 novembre les Bulgares entraient en Serbie et enlevaient Pirot (26-27 novembre). Le 28, le comte de Kevenhuller, au nom de l'Autriche, imposait un armistice, à Battenberg. Cette intervention sauva Milan d'un complet désastre. La paix signée à Bucarest rétablit le statu quo ante (8 mars 1886). Leurs victoires, en apparence, ne rapportaient rien aux Bulgares.

En réalité elles mirent la Turquie et les grandes puissances dans l'impossibilité de ne pas reconnaître le fait accompli, et les contraignirent à sanctionner d'une façon détournée la révolution de Philippopoli. Le sultan proposa de nommer Battenberg gouverneur de la Roumélie; les puissances, sauf la Russie, acquiescèrent à la proposition. L'union de fait se complétait légalement d'une union personnelle (5 avril 1886).

Abdication de Battenberg. La situation de Battenberg paraissait bien affermie. Mais la Russie poursuivait obstinément sa ruine. Elle trouva des complices parmi les officiers sortis des écoles russes, les vainqueurs de Slivnitza, mécontents de l'avancement donné à leurs dépens aux officiers de l'armée rouméliote. Avec la complicité du ministre de la guerre Nikiforof et du président du conseil Karavelof, dans la nuit du 20 au 21 août 1886 ils surprirent le prince au palais, le contraignirent à signer son abdication, puis l'expédièrent à Reni, en territoire russe, où ils pensaient qu'on le retiendrait. Ils constituèrent un gouvernement provisoire. Mais la plus grande partie de l'armée bulgare et la totalité de l'armée rouméliote étaient dévouées à Battenberg. En même temps un nouveau parti entrait en scène, composé des Rouméliotes et des libéraux qui se détachaient de la Russie en raison de son attitude intransigeante. Le chef du nouveau parti fut Stamboulof, président du Sobranié alors. réuni à Tirnovo. D'accord avec son beau-frère Moutkourof, commandant de l'armée rouméliote, il marcha sur Sofia, où le gouvernement provisoire s'effondra de lui-même. Le 1er sep

« PreviousContinue »