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Serbie. Les Turcs n'avaient pas 1800 hommes dans les deux provinces; aussi, dès le 2 août, plusieurs places étaient bloquées. Le Monténégro et la Serbie frémissaient. A Kragujevats, la Skoupchtina parlait « du noble écho qu'éveillaient les cris de désespoir des Herzégoviniens et des sacrifices auxquels était prête la Serbie pour assurer le contentement durable de ses frères ».

A Vienne et à Buda

Intervention des puissances. pest on redouta immédiatement une conflagration générale d'où pourrait sortir la reconstitution d'une Grande Serbie dont l'influence attractive ne manquerait pas de s'exercer sur les nombreux éléments serbes de l'État austro-hongrois. Aussi désirait-on mettre fin le plus promptement possible au conflit. L'Autriche prit donc l'initiative d'offrir au sultan et aux insurgés la médiation des trois cours impériales. Le 18 août 1875, les puissances proposaient que leurs consuls, entrant en rapports avec les insurgés, fussent chargés de transmettre les demandes des chrétiens à un commissaire du sultan. La proposition fut agréée et, à la fin de septembre, les insurgés présentaient les demandes suivantes :

Pleine liberté religieuse aux chrétiens, qui seront admis à témoigner en justice à l'égal des musulmans;

Organisation d'une gendarmerie indigène;

Fixation de la nature et de la quotité des impôts, qui ne pourraient plus être arbitrairement augmentés.

Ces propositions, dont les trois cours recommandaient l'acceptation à la Porte, étaient à peine transmises que, le 20 octobre, le sultan publiait un Iradé annonçant la mise à l'étude d'une réforme générale de l'Empire. Il s'agissait non plus de mesures isolées, mais d'une transformation d'ensemble devant assurer à tous les chrétiens sans distinction de nationalité, outre le droit de désigner les percepteurs et les contrôleurs de l'impôt, unc représentation permanente à Constantinople et des délégués chargés de défendre leurs intérêts auprès de la Sublime Porte. Cette audacieuse comédie, avec laquelle on espérait amuser et tromper l'Europe, était en grande partie inspirée par le gouvernement anglais et Disraëli. Le 12 décembre paraissait un firman

promulguant les réformes annoncées. Mais personne n'était disposé à se laisser jouer longtemps. Comme le déclarait dès. le 3 novembre le Messager officiel russe, les cabinets attendaient du sultan « des preuves palpables de sa ferme résolution de remplir ses engagements ». Aussi le ministre austro-hongrois Andrassy se hâtait de rédiger une note à laquelle adhéraient aussitôt la Russie et l'Allemagne, puis la France et l'Italie, et l'Angleterre avec des réserves. On n'y parlait point de la réforme générale, on ne s'occupait que des insurgés.

Les puissances réclamaient des actes clairs, indiscutables, pratiques et spécialement propres à améliorer la situation en Bosnie et en Herzégovine des faits non des programmes ». On demandait pour les insurgés « la liberté et l'égalité religieuses pleines et entières, l'abolition du fermage des impôts, l'affectation de leur produit aux besoins locaux des deux provinces, l'institution d'une commission de contrôle mi-partie musulmane et chrétienne chargée de veiller à l'application des réformes, enfin des mesures pour l'amélioration du sort de la classe agricole et la possibilité pour le raïa de devenir propriétaire ».

La note fut remise le 31 janvier 1876. Le 13 février, la Porte, selon la demande qui lui en avait été faite, notifiait son acceptation aux puissances. Celles-ci se mirent en devoir d'amener les insurgés à déposer les armes.

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Les «< atrocités bulgares ». Mais les insurgés, instruits par une séculaire et cruelle expérience, n'attachaient pas aux engagements pris par le sultan la même importance que les diplomates. Si solennellement qu'elle eût été donnée, il n'y avait là qu'une parole: les insurgés voulaient des actes, le retrait des troupes ottomanes, le droit de garder leurs armes, et la cession d'un tiers des terres possédées par les begs. Enfin et surtout ils voulaient que les puissances fussent garantes de l'exécution des réformes. Ces prétentions, que l'Autriche jugeait exagérées et qu'approuvait la Russie encouragée par l'Allemagne, auraient peut-être rendu moins étroite l'entente des trois. cours, si de nouveaux et terribles événements n'étaient venus prouver combien était justifiée la méfiance à l'égard des Turcs. Le 7 mai, les consuls de France et d'Allemagne étaient mas

sacrés en plein jour, à Salonique, par la populace musulmane. En même temps d'effroyables massacres commençaient en Bulgarie.

Dans les dix années précédentes, la condition des chrétiens bulgares, loin de s'améliorer, avait cruellement empiré. Depuis 1865, la Bulgarie était devenue la terre d'asile des Tcherkesses musulmans émigrés en masse du Caucase pour ne pas passer sous la domination du tsar, et recueillis par le sultan. Le paysan avait été réduit à un véritable servage et subissait journellement les plus odieux traitements. L'insurrection bosniaque avait eu là naturellement son contre-coup, et l'intervention des puissances avait fait naître l'espoir d'un sort meilleur. Les atrocités commises par les Tcherkesses au mois de novembre 1875 au village de Sulmchi amenèrent au mois d'avril 1876 un faible soulèvement à Strielitza. Le sultan lâcha sur les insurgés 10 000 bachibozouks. Dans la seule petite ville de Batak, 6 000 personnes sur 7000 furent égorgées avec d'effroyables raffinements de barbarie. En quelques jours 79 villages étaient livrés aux flammes, 15 000 personnes au moins avaient été tuées, 80 000 se trouvaient sans asile la province n'était plus qu'un charnier.

Mémorandum de Berlin; abstention de l'Angleterre. Les « atrocités bulgares » ne furent connues que plus tard. Mais l'attentat de Salonique avait suffi pour provoquer la réunion immédiate des trois chanceliers et la venue du tsar à Berlin. On adopta, le 13 mai 1876, les termes d'un mémorandum préparé par Gortchakof et devenu célèbre sous le nom de mémorandum de Berlin. Les puissances faisaient leurs les propositions des insurgés. Elles demandaient une suspension. d'armes de deux mois. Si, ce délai écoulé, l'on n'avait pas abouti, « les trois cours impériales étaient d'avis qu'il deviendrait nécessaire d'ajouter à leur action diplomatique la sanction d'une entente en vue des mesures efficaces qui paraîtraient réclamées dans l'intérêt de la paix générale, pour arrêter le mal et en empêcher le développement ». La France et l'Italie déclarèrent se rallier aux principes généraux du mémorandum. Il ne manquait que l'adhésion de l'Angleterre. Il paraissait vraisemblable qu'elle comprendrait combien serait puissante sur

l'esprit du sultan une démarche faite au nom de toute l'Europe et qu'elle tiendrait à s'y associer pour assurer le rétablissement de la paix et l'adoucissement du sort des chrétiens. Mais Disraëli était dominé par la haine de la Russie et le désir de contrecarrer sa politique. Le 19 mai, l'Europe apprenait que « le gouvernement de la Reine regrettait de ne pas se trouver en mesure de s'associer aux propositions des cours impériales ». Il était certain dès lors que la Sublime Porte verrait dans l'attitude de l'Angleterre une sorte d'encouragement à résister et ne concéderait rien de ce qui lui était demandé. La responsabilité des événements ultérieurs devait incomber tout entière à Disraëli.

Assassinat d'Abd-ul-Aziz. Mourad V. - Le mémorandum devait cependant être notifié le 30 mai. Mais dans la nuit du 29 au 30, Abd-ul-Aziz, surpris dans son palais, était déposé. Deux jours après, on l'assassinait. Son successeur, Mourad V, devait être l'instrument des musulmans intransigeants et du parti de la guerre dirigé par Midhat-Pacha, un ambitieux qui, sous des apparences libérales, n'était rien qu'un fanatique, plein de haine pour l'Europe et sa civilisation. Immédiatement, le 8 juin, on adressait à la Serbie et au Monténégro des demandes d'explication au sujet de leurs armements. Il y avait près d'un an que l'Autriche et la Russie retenaient à grand'peine les deux peuples. Mais les massacres de Bulgarie avaient achevé d'exaspérer les Serbes ils voulaient la guerre et s'y étaient préparés en signant un traité d'alliance avec le Monténégro. Des volontaires, des officiers accouraient de Russie, et le tsar avait autorisé l'un de ses généraux, Tchernaïef, à passer au service de la principauté. A la demande comminatoire de la Turquie, Milan riposta en demandant que « l'armée turque et toutes les hordes sauvages fussent éloignées de ses frontières» et que les troupes serbes et monténégrines fussent chargées de rétablir la paix et l'ordre en Bosnie et en Herzégovine (23 juin). Et comme la Turquie refusait, le 30 juin la guerre lui était déclarée et, le 1er juillet, Serbes et Monténégrins franchissaient les frontières.

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Les premières hostilités. L'opinion en Angleterre.

Les Monténégrins remportèrent de rapides et brillants

succès à Trebigné, à Podgoritza. Les Serbes furent moins heureux. D'abord les Turcs leur opposaient leurs troupes les meilleures, la Garde en particulier, et les plus nombreuses, près de 200 000 hommes, avec leur général le plus remarquable, Osman-Pacha. Puis de graves fautes stratégiques furent commises, tant pour des raisons personnelles à Milan que pour des raisons diplomatiques. La logique eût voulu que l'on jetât toutes les forces serbes en Bosnie, pour en chasser les Turcs, et y donner la main aux Monténégrins. Mais cette manœuvre découvrait Belgrade, et Milan redoutait une marche rapide des Turcs sur sa capitale. Puis l'entrée des Serbes en Bosnie eût exaspéré les Hongrois, qui parlaient déjà d'occuper la principauté, et, dans les rues de Budapest, manifestaient en faveur des Turcs. On résolut donc de faire porter le principal effort du côté de la Bulgarie et de se borner à des diversions vers le sud et l'ouest. Cette dispersion des forces, alors qu'on ne disposait pas de 80 000 hommes, devait amener la défaite partout. Dès la fin de juillet les Turcs avaient envahi la Serbie et commençaient à descendre la vallée de la Morava. Tchernaïef, dans une bataille. de quatre jours (20-24 août), les arrêta un moment sous Alexinats. Mais ses positions furent tournées (25-30 août). Milan épouvanté appela l'Europe à son aide, et sollicita la médiation des puissances.

Cette fois l'Angleterre ne fit pas bande à part. Les atrocités bulgares venaient d'ètre révélées par Gladstone et le parti libéral, qui dans une campagne de meetings soulevaient l'opinion contre les Turcs : « Si l'alternative consiste à laisser les provinces de Bosnie, d'Herzégovine et de Bulgarie à la merci des Turcs, lisait-on dans le Daily News, ou à laisser la Russie s'en emparer, que la Russie s'en empare et que Dieu soit avec elle!» Disraëli était obligé de céder quelque peu au mouvement populaire. Aussi accepta-t-il de présenter lui-même à la Turquie d'abord une demande d'armistice (1er septembre), puis un programme de pacification comportant le maintien du statu quo ante bellum en Serbie, et l'établissement d'un système d'autonomie administrative dans les provinces insurgées et en Bulgarie (25 septembre).

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