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vention du Pape dans une question de politique intérieure. Léon XIII prit ouvertement parti contre eux. L'encyclique du 16 février au clergé et à tous les catholiques de France leur ordonna de reconnaître la République. Elle fut confirmée par une lettre aux cardinaux français (6 mai), blâmant les conservateurs qui sacrifiaient à leurs idées personnelles ou à des motifs de parti politique l'unité nécessaire de tous les catholiques et enfin par un ordre formel de se soumettre (14 juin). Suivant l'ordre de Léon XIII un groupe catholique, se détachant de la Droite, forma le parti constitutionnel, appelé aussi parti des ralliés (3 mars 1892).

En même temps une transformation s'opérait dans les partis socialistes. Le retour des amnistiés de la Commune en 1880 avait rendu aux socialistes un personnel de direction; la liberté de la presse, la liberté de réunion, la liberté des syndicats (depuis 1884) leur avaient donné les moyens de se recruter par la propagande. L'ancien parti de Blanqui se reconstitua, surtout à Paris et dans le Centre, en un parti socialiste révolutionnaire, qui se proposait de faire la révolution par le prolétariat. Il se constitua dans les grandes villes et les régions industrielles et minières du Nord et du Centre un parti socialiste formé presque uniquement d'ouvriers, qui, adoptant le programme et l'organisation du parti allemand, prit le nom de Parti ouvrier socialiste français. En 1882, après un conflit sur la tactique compliqué de rivalités personnelles, il se scinda en deux groupes ennemis. L'un, dirigé par Guesde, conserva le nom ancien, le programme collectiviste allemand, la direction centralisée dans un conseil de cinq membres et la tactique d'abstention parlementaire. L'autre, dirigé par Brousse, la Fédération des travailleurs socialistes de France, déclarait vouloir « fractionner son but jusqu'à le rendre possible »; il admettait l'action commune avec les partis politiques pour obtenir des réformes sociales, et se constituait en fédération laissant à chaque groupe régional son autonomie. Ses adversaires le surnommèrent possibiliste. Dans la crise boulangiste le parti possibiliste seul combattit du côté des républicains, pendant que les autres se tenaient à l'écart. — En 1890 il se coupa en deux sur une question d'organisation; le

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gros du parti resté avec Brousse (broussiste) conserva le nom et la politique de la Fédération. Il s'en détacha, avec Allemane, un parti ouvrier socialiste révolutionnaire qui, repoussant l'action commune avec les partis bourgeois, réclamait la direction par l'organe central du parti; son moyen d'action préféré était la grève générale. Ces quatre partis fragmentés, hostiles les uns aux autres, n'avaient guère d'action que sur les élections municipales de Paris.

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En 1892 la grève de Carmaux, soutenue par l'élu des ouvriers socialistes du pays, Jaurès, bientôt fameux comme orateur, donna l'occasion aux fractions socialistes de se rapprocher. En 1893 toutes les fractions socialistes, s'unissant en vue des élections, formèrent une « Ligue révolutionnaire pour l'avènement de la République sociale ».

La crise du Panama et les élections de 1893. Après la rentrée d'octobre 1892 éclata le scandale du Panama, préparé par le parti conservateur pour aider la campagne électorale de 1893. Après la banqueroute du canal de Panama, survenue en 1888, une enquête judiciaire très lentement conduite avait révélé que la direction avait gaspillé les fonds et acheté les journaux qui menaçaient d'informer le public du mauvais état de l'entreprise. Quelques députés se trouvaient compromis, ou pour avoir participé aux bénéfices des émissions, ou pour avoir aidé la compagnie à obtenir de la Chambre en 1888 l'autorisation d'émettre des valeurs à lots (toute loterie étant interdite en France par le droit commun).

Un des organisateurs de la publicité, le baron de Reinach, mourut subitement sur le point d'être arrêté (21 nov.). L'opposition réclama une enquête. La Chambre élut une commission qui demanda la saisie des papiers de Reinach et l'autopsie du cadavre. Le ministère répondit que la commission outrepassait ses pouvoirs; l'ordre du jour pur et simple fut rejeté (par 304 voix contre 219) par une coalition de la Droite et des radicaux. Le ministère démissionna et se reconstitua, sauf deux membres, sous la présidence de Ribot, républicain modéré (6 déc.). Mais les journaux conservateurs et radicaux continuaient la campagne de révélations; le ministre des finances Rouvier,

accusé de relations avec Reinach, donna sa démission (13 déc.).

Le ministère fit arrêter d'abord deux administrateurs du Panama, un ancien député accusé de s'être laissé acheter en 1888 pour faire un rapport favorable à l'émission des valeurs à lots, puis fit poursuivre plusieurs députés et sénateurs (déc. 1892). Tous les accusés furent acquittés par le jury, excepté l'ancien ministre, Baïhaut, qui avoua avoir reçu 300 000 francs.

Le scandale avait d'abord atteint les notables du parti républicain modéré; mais on y impliqua Freycinet, ministre de la Guerre, pour ses relations avec Cornélius Herz, et le ministère démissionna pour se reconstituer avec le même président (13 janv. 1893). Puis on dénonça les chefs du parti radical, Clémenceau pour ses relations avec Cornélius Herz, Floquet pour avoir en 1888 demandé aux administrateurs du Panama de comprendre les journaux radicaux dans leurs distributions à la presse.

Le résultat de cette crise fut d'écarter presque tout l'ancien personnel directeur des deux partis républicains, qui fut remplacé par une nouvelle génération. Une coalition de toutes les oppositions mit le ministère en minorité sur une question de budget, par 247 voix contre 242; la majorité consistait en 117 conservateurs, 102 radicaux, 28 boulangistes (30 mars). Un homme nouveau, Dupuy, forma un ministère de concentration où les modérés dominaient (4 avril).

Les partis conservateurs et les ralliés comptaient profiter, aux élections de 1893, du scandale fait par la presse autour des noms républicains les plus connus. Cette illusion gagna même les républicains; Dupuy sembla faire des avances aux ralliés. Sa politique se tournait contre les socialistes; profitant d'une manifestation d'étudiants que les agents de police transformèrent en « émeute du quartier latin », il fit venir des troupes à Paris et ferma la Bourse du travail, qui servait de centre aux syndicats ouvriers (6 juil.). La Chambre l'approuva par 343 voix contre 149.

Les élections, faites dans un grand calme (20 août, 3 sept.), renouvelèrent la moitié de la Chambre. La Droite tombait de 170 membres à 93, y compris une trentaine de ralliés. Le parti radical montait à environ 150. La ligue socialiste, ralliant les

électeurs de l'ancien parti revisionniste désorganisé, faisait passer plus de 50 socialistes. Pour la première fois il se formait un parti socialiste parlementaire. Dans l'ensemble, c'était un déplacement général vers la gauche.

La crise anarchiste (1893-94). Le parti républicain modéré restait encore le groupe le plus nombreux et continuait à diriger la politique. Il faisait élire son chef, Casimir-Perier, président de la Chambre par 295 voix contre 195 à Brisson, candidat de la Gauche. Le ministère Dupuy, disloqué par la démission de ses deux membres radicaux, donnait sa démission (25 nov.) et était remplacé par un ministère Casimir-Perier, presque tout entier modéré (1er déc.), qui annonçait quelques réformes fiscales; Dupuy était élu président de la Chambre.

La vie politique fut brusquement bouleversée par les attentals anarchistes contre les pouvoirs publics. Les anarchistes ne formaient pas un parti politique; ils s'abstenaient par principe de toute action électorale, et n'avaient ni organisation ni programme. Mais transportant la tactique des terroristes russes dans un pays de liberté, ils se servirent des explosions pour forcer l'opinion publique à réfléchir sur les vices de l'organisation sociale; c'est ce qu'ils appelaient « la propagande par le fait ». Ce moyen, essayé en province dès 1882, fut employé méthodiquement à Paris en 1892. Mais les attentats de Ravachol, puis l'explosion du restaurant où Ravachol avait été arrêté, n'étaient que des faits-divers sans portée politique. L'anarchiste Vaillant s'attaqua à la Chambre, il jeta dans la salle des séances une bombe (9 déc.). Les Chambres votèrent aussitôt des lois contre les journaux et les associations anarchistes. Vaillant fut condamné à mort et exécuté (janvier 1894).

Le ministère fut mis en minorité par 265 voix contre 225 pour avoir interdit aux employés des chemins de fer de l'État de prendre part à un congrès de syndicats; Dupuy reconstitua un ministère de même nuance (30 mai). Mais les anarchistes continuaient la guerre. Un anarchiste italien, Caserio, assassina le Président Carnot à Lyon (24 juin).

Le candidat du parti modéré, Casimir-Perier, fut élu Président de la République par 451 voix contre 195 à Brisson, candidat

des radicaux, et 97 à Dupuy. Le ministère Dupuy présenta des lois d'exception qui mettaient hors du droit commun tout individu réputé anarchiste. Les socialistes et les radicaux les combaltirent et demandèrent que du moins la durée en fût limitée. Dupuy refusa et, en posant la question de confiance, força les Chambres à les voter presque sans modification.

Le conflit sur les lois d'exception détruisit la concentration républicaine. Les modérés commençaient d'ailleurs à réclamer un «< ministère homogène », c'est-à-dire le gouvernement par une seule des fractions républicaines, plus conforme, disait-on, à la doctrine parlementaire. Mais pour réunir une majorité absolue il fallait joindre au parti républicain modéré une fraction de la Droite, et, pour gagner cet appoint, revenir à la « politique d'apaisement». Le ministre de l'Instruction publique, Spuller, avait indiqué ce rapprochement, le 3 mars 1894, en parlant de « l'esprit nouveau »> qui animait le gouvernement envers l'Église. L'élection de Casimir-Perier acheva la rupture entre modérés et radicaux. Mais entre les deux partis se forma une masse flottante d'une centaine de députés, toujours prêts à voter avec le ministère pour éviter une crise ministérielle, mais toujours sujets à voter des mesures démocratiques pour plaire à leurs électeurs. En même temps les socialistes attaquaient personnellement Casimir-Perier dont le nom et la fortune symbolisaient le gouvernement par la bourgeoisie. Brisson fut élu président de la Chambre par 249 voix contre 213 à Méline, candidat des modérés (décembre 1894). Puis, le ministère s'étant disloqué sur le rejet d'un ordre du jour dans une question de conventions de chemin de fer, Casimir-Perier donna brusquement sa démission pour des motifs qui ne sont pas encore éclaircis (15 janv. 1895).

Dans le Congrès pour l'élection présidentielle, la majorité des députés vota pour Brisson, candidat des radicaux, qui eut au premier tour 344 voix contre 195 au candidat des modérés Waldeck-Rousseau, et 215 à Félix Faure, ministre de la Marine. Au deuxième tour Félix Faure, que la Droite soutenait ouvertement, fut élu par 435 voix contre 363.

Le ministère Ribot (27 janvier 1895), formé de modérés, revint à la concentration, fit voter une amnistie pour les délits

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