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d'assurer la paix, il a préparé de nombreux sujets de conflit et de guerres pour l'avenir. Question bulgare, question de Macédoine, question de Bosnie et d'Herzégovine, Alsace-Lorraine balkanique, voilà le bilan de la diplomatie européenne au congrès de Berlin.

Le traité de Berlin a eu son contre-coup dans la politique générale. La Russie, dupe de l'Allemagne, a songé dès lors à trouver ailleurs un appui : les déceptions de 1878 ont préparé le rapprochement franco-russe. Par contre, l'Autriche, grassement payée, encouragée dans sa « marche vers l'Est », devait se lier plus étroitement à l'Allemagne, et de la guerre d'Orient devait sortir l'alliance des deux empires.

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BIBLIOGRAPHIE.

Pour la guerre d'Orient, voir Catalogue de la Bibliothèque du Dépôt de la Guerre. Les ouvrages principaux sont: Rustow, Der Krieg in der Turkeï, 1877. Lecomte, La guerre d'Orient en 1876-1877, 2 vol., 1877-1878. Amédée Le Faure, Histoire de la guerre d'Orient, 2 vol., 1878. — Maurice Weill, La guerre d'Orient, 1878. État-major de l'armée serbe, Guerre de la Serbie contre la Turquie, traduction fr., Paris, 1879. Anonyme, La guerre d'Orient, par un tacticien, Paris, 4 vol., 1879-1885. Au point de vue pittoresque Colonel Wonlarlarsky, Souvenirs d'un officier d'ordonnance, traduction fr., Paris, 1899. Pour le Congrès de Berlin, Bon d'Avril, Negociations relatives au traité de Berlin.

On ne trouve que de rares renseignements dans Beust, Mémoires, trad. Kohn-Abrest, 2 vol., 1888, et Bismarck, Pensées et Souvenirs.

Pour la Bosnie et Herzégovine, consulter particulièrement Ch. Yriarte, Bosnie et Herzégovine, Paris, 1876. Spalaikovitch, La Bosnie et l'Herzégovine, Paris, 1899.

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CHAPITRE XIV

LE MONDE ISLAMIQUE

De 1870 à nos jours.

I.
1.- La Turquie.

La population. Entre 1840 et 1870, les Osmanlis étaient la minorité dans la population totale de l'empire (musulmans et chrétiens compris) ; depuis 1870, ils tendent à devenir la majorité. D'une manière générale, tous les musulmans qui viennent du dehors s'établir en Turquie d'Europe ou en Anatolie (la Syrie et les pays de langue arabe non compris), se fondent, à la première génération, dans la population osmanlie; à partir de 1829, date de l'affranchissement de la Grèce, les Osmanlis se sont incorporé et assimilé de cette manière les nombreux immigrants musulmans provenant des provinces qu'ils ont successivement perdues, ou venant de pays conquis par les Russes: Hellènes, Serbo-Croates, Bulgares, Circassiens. Cet afflux d'éléments nouveaux, qui s'est sensiblement accéléré depuis 1870, et d'autre part la séparation de provinces peuplées surtout par des non Osmanlis, a renversé les proportions entre « races » dans l'empire. La marche vers la nationalisation turque des non Osmanlis de l'empire a été, d'une part, aidée par la politique du présent sultan Abd-ul-Hamid; de l'autre, contrariée par le réveil particulariste chez des peuples semi

1. Voir ci-dessus, t. XI, p. 528-529.

musulmans, les Albanais et les Arabes des villes (Araméens), ou entièrement musulmans, les Arabes organisés en tribus et les Kurdes. Les massacres d'Arménie de 1894-1895 n'ont pas été un fait particulier, comme ceux de Syrie en 1860, mais font partie d'un plan, d'un système politique consistant à détruire les populations de l'empire qu'on ne peut espérer assimiler, et à les remplacer par des populations osmanlisables. Longtemps avant cette manœuvre sanglante du nationalisme impérial osmanli, le correspondant de la Revue britannique à Constantinople en signalait la préméditation: « Les hommes d'État ottomans ont eu tout le loisir de se convaincre que leur faiblesse est avant tout le résultat du défaut d'homogénéité des populations soumises au sceptre du padichah. Si en temps et lieu la dynastie de Mahomet II avait suivi l'exemple de Philippe II, et si elle avait chassé ou exterminé les chrétiens comme fit le fils de Charles Quint pour les Maures d'Espagne, toute la presqu'île des Balkans serait occupée aujourd'hui par de bons musulmans qui ne subiraient pas l'influence de l'Europe et soutiendraient énergiquement le khalifat de Stamboul... De là cette nouvelle politique d'extermination systématique des chrétiens qui se trouve si brutalement exposée dans l'officieux Ittihad » 1. L'Ittihad, « l'Union », a été fondé à Paris, en 1868, par les JeunesTurcs; quand une partie de ceux-ci a tourné au nationalisme intransigeant, leur journal d'opposition libérale s'est rallié au gouvernement qui acceptait leurs doctrines.

En 1881, le parti de « la Turquie aux Turcs » jetait son dévolu sur les Arméniens et commençait à exécuter son plan d'osmanlisation de la Turquie d'Asie, à défaut de la Turquie d'Europe : « Abd-ul-Hamid profite du répit que lui laisse la lassitude de ses puissants voisins pour tâcher d'anéantir l'élément chrétien dans les massifs du Taurus et d'en faire un pays exclusivement musulman » 2.

C'est d'Albanie qu'est parti le mouvement en sens contraire, le mouvement particulariste qui, depuis 1878, date de la formation de la Ligue albanaise fondée par des musulmans et des

1. Revue britannique, Correspondance d'Orient, août 1876. 2. Ibid., décembre 1881.

chrétiens, tient le nationalisme osmanli en échec. La présence de musulmans à la tête des autonomistes albanais est significative « Au point de vue religieux, l'Albanie peut être divisée en trois zones différentes un tiers des Albanais comprend des chrétiens cléricaux (catholiques et orthodoxes); un tiers est composé de mahométans; l'autre tiers, ce sont les indépendants (bektachis, protestants et libres penseurs). Le nombre des bektachis est de plusieurs centaines de mille. Le bektachisme n'était à l'origine qu'un schisme islamite; introduit en Albanie au xvie siècle, il semble avoir évolué si rapidement qu'il peut être considéré aujourd'hui plutôt comme un ensemble de principes panthéistiques que comme une religion ayant un culte et des cérémonies » 2.

Il est également remarquable que, dans ces derniers temps, les Kurdes autonomistes, exclusivement musulmans, aient cru devoir faire sur le papier, dans leur journal le Kurdistan, publié à Genève, des avances aux Arméniens, dont ils invoquent la parenté marquée par le langage. Pour combattre ces mouvements autonomistes des musulmans, le sultan et le parti nationaliste ont essayé, en Albanie, de semer la zizanie entre musulmans et chrétiens, et entretiennent l'irritation nationale des Albanais contre les Slaves et les Grecs; aux Kurdes, ils ont offert le pillage des Arméniens; pour rallier à l'osmanlisme les Kurdes et les Arabes réunis, ils ont imaginé un expédient militaire, et formé la cavalerie Hamidié. Les régiments nommés Hamidié, du nom du sultan Abd-ul-Hamid, ont été créés en 1891; ils se recrutent parmi les Achirétis (organisés en tribus) Kurdes et Arabes du Kurdistan, de Mésopotamie et de Syrie centrale. « Les points principaux de l'organisation de la cavalerie hamidié sont la réduction du service sous les drapeaux, en temps de

1. Les bektachis sont, officiellement, un ordre religieux musulman. Son fondateur, Hadji Bektach Véli, « saint Hadji Bektach », est le légendaire patron des Janissaires. Tous les Janissaires étaient affiliés à l'ordre, et le cheick (abbé) des derviches était capitaine honoraire de la 99o compagnie du corps.

Le tombeau de saint Hadji Bektach, au couvent du même nom (entre Kir Cheher et Césarée, dans le vilayet d'Angora), est également vénéré par les musulmans, sous le vocable de Véli (saint) Bektach, et par les chrétiens du pays sous celui de Aghios (saint) Haralambos.

2. Albania, 30 juillet 1897.

HISTOIRE GÉNÉRALE, XII.

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paix, à de courtes périodes d'instruction; le maintien des hommes dans leur pays; l'adaptation des formations militaires à l'organisation des tribus et l'attribution d'une partie des grades aux chefs indigènes ». La création de cette milice, en dehors des services militaires qu'on en attend, a eu surtout pour but de tenir les chefs kurdes et arabes par les grades qu'on leur distribue, l'avancement qu'on leur fait espérer, et de les osmanliser par le contact avec les officiers de l'armée régulière.

En somme, le parti nationaliste turc concentre ses efforts sur l'Asie Mineure, où l'immigration des musulmans dépossédés dans les provinces européennes, l'assimilation des petits groupes musulmans provenant de la désagrégation des tribus organisées, Turcomanes, Yuruks, Tatares, Kurdes, et de l'afflux des Circassiens, la détresse des Arméniens et le courant d'émigration qui s'est produit parmi les Syriens chrétiens, lui permettent d'arriver à des résultats sensibles.

Avortement du parlementarisme; transformation et divisions de la Jeune-Turquie; nationalisme et panislamisme. — J'ai indiqué qu'on avait confondu, sous le nom de Jeunes-Turcs, deux partis dont l'un, plus ou moins sincère, croyait à la panacée des réformes sur le papier, des constitutions, de la copie servile de l'Europe et du parlementarisme; l'autre, très sincère dans ses enthousiasmes révolutionnaires, « très turc, très national, très anti-européen parce qu'il était national », revint très vite de son engouement pour les choses européennes, et de sa confiance dans les réformes constitutionnelles. L'avortement du parlementarisme, suffisamment absurde dans un pays où l'on parle cinq langues différentes, et où la population est divisée non seulement par races et par langues, mais par communautés confessionnelles et par castes professionnelles, cet avortement qui éclatait aux yeux de tous dès la première réunion du parlement ottoman (1877) et qui fut suivi à courte échéance de la guerre avec la Russie, acheva d'ôter leurs illusions à ceux des Jeunes-Turcs révolu

1. Capitaine Lamouche, L'Organisation militaire de l'Empire ottoman. 2. Voir ci-dessus, t. XI, p. 543-548.

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