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politiques, présenta une réforme fiscale et fit mème voter par la Chambre le principe de l'impôt progressif sur les héritages. Les ministères homogènes (1895-98). - Ce ministère s'étant retiré à propos d'une enquête votée par la Chambre (28 octobre), ce fut un radical, Léon Bourgeois, qui accepta de former un cabinet de concentration; mais les modérés ayant refusé d'y entrer, il finit par former un ministère homogène radical (1er novembre 1895). De l'ancien programme radical il ne conservait qu'un article, l'impôt progressif sur le revenu; il y joignait des réformes économiques démocratiques et l'établissement de la liberté d'association, et faisait arrêter Arton, agent secret de la société du Panama, réfugié à Londres.

Le conflit commença bientôt entre le ministère Bourgeois et le Sénat, et aboutit à deux votes de défiance du Sénat (21 février, 3 avril 1896). Mais le ministère, soutenu par la Gauche, attira à lui la masse flottante des députés du Centre, désireux surtout d'éviter une crise ministérielle, et obtint à la Chambre des votes de confiance avec des majorités de plus de cent voix.

Dans ce conflit entre les deux Chambres, le parti républicain acheva de se diviser. A droite, les républicains modérés unis aux conservateurs formèrent un parti de conservation sociale appuyé sur la bourgeoisie, le clergé, les hauts fonctionnaires; à gauche, les républicains radicaux unis aux socialistes devinrent un parti de réforme sociale qui fit appel à la masse des ouvriers, des paysans et des petits fonctionnaires. Le parti de droite dominait dans l'Ouest et le Sud-Ouest, le parti de gauche dans l'Est, le Sud-Est et les centres industriels. Le terrain de conflit fut l'impôt progressif sur le revenu, soutenu par les socialistes et combattu par les conservateurs comme le symbole et le commencement d'une réforme dans la répartition de la propriété. La commission du budget le rejela; le ministère parvint à en faire voter le principe par la Chambre à quelques voix de majorité. Pour se délivrer de l'opposition du Sénat, la Gauche réclamait aussi la revision de la Constitution, de façon à changer le mode d'élection du Sénat et à diminuer son pouvoir législatif. Le Sénat, soutenu secrètement par le Président de la République, profita de ce que le ministère avait négligé avant les

vacances de Pâques de lui faire voter le crédit nécessaire aux troupes de Madagascar; il reprit ses séances avant la rentrée de la Chambre, et refusa le crédit (21 avril). Le ministère Bourgeois n'essaya pas de soulever un conflit entre le Sénat et la Chambre, où d'ailleurs sa majorité était précaire, et profita de l'occasion pour se retirer.

Le ministère Méline (29 avril), ministère homogène formé exclusivement de modérés, et soutenu par les conservateurs, rallia la plus grande partie du Centre flottant et parvint à se constituer à la Chambre une majorité de 50 à 80 voix. Sa politique fut le maintien du statu quo. Il écarta le projet d'impôt progressif et global sur le revenu et proposa une réforme fiscale qui aurait établi l'impôt sur « les revenus », mais qui ne put pas aboutir. Il fit voter une loi sur les Universités, une loi sur les octrois, une loi sur le crédit agricole, et, en fin de législature (en 1898), la loi préparée depuis longtemps sur les accidents du travail. L'attention du public se tourna surtout sur l'alliance franco-russe, la visite du Tsar en France (1896), la visite du Président de la République en Russie (1897).

Le ministère ne fit aucune concession législative aux conservateurs catholiques et ne prit aucune mesure contre la Gauche, pas même contre les socialistes. Mais ses adversaires de gauche l'accusèrent de favoriser secrètement en province les conservateurs. Ce fut le plus long ministère que la France ait eu en république il dura deux ans et deux mois.

Élections de 1898 et retour à la concentration. La Chambre élue en 1893 pour quatre ans avait prolongé la durée de son mandat de six mois, pour qu'à l'avenir l'entrée en fonctions de la Chambre commençat avant les vacances d'été. Aux élections de mai 1898, le parti ministériel essaya d'obtenir une majorité de gouvernement formée de républicains modérés et de ralliés, de façon à pouvoir se passer de l'appoint de l'Extrême droite monarchiste; le parti catholique rallié fit un grand effort. Un parti« nationaliste » se forma avec les débris du parti boulangiste; en Algérie et en quelques endroits de France se présentèrent des candidats antisémites. Les divers groupes socialistes en général agirent de concert, et au second

HISTOIRE GÉNÉRALE. XII.

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tour s'entendirent d'ordinaire avec les radicaux. La campagne contre le ministère porta surtout sur l'alliance avec la Droite et l'impôt progressif et global sur le revenu, et en quelques endroits sur la réduction du service militaire. Elle fut très ardente, jamais la proportion des votants n'avait été si forte, elle dépassa en beaucoup d'endroits les neuf dixièmes des inscrits.

Le parti ministériel au lieu d'augmenter diminua, la Droite ne gagna presque pas de sièges. La nouvelle Chambre se composa d'environ 1 100 députés de la Droite (dont 40 ralliés), 200 radicaux ou radicaux-socialistes opérant ensemble, 50 socialistes, 150 ministériels décidés. Le reste consistait en un Centre flottant de 50 et une vingtaine de nationalistes ou d'antisémites républicains. C'était, comme en 1893, dans l'ensemble un mouvement vers la gauche.

Il n'y avait pas de majorité homogène. On le vit dès l'élection du président. Le parti républicain modéré, qui prit dès lors le nom de progress iste, entrainant la majeure partie du Centre flottant et s'alliant à la Droite et aux antisémites, fit passer son candidat, Deschanel, par 282 voix contre 278 à Brisson, candidat des Gauches coalisées. A la première interpellation sur la politique du ministère, les progressistes, le Centre flottant et la Droite volèrent par 295 voix contre 270 un ordre du jour de confiance. Mais les Gauches et le Centre flottant votèrent par 295 voix contre 246 une addition qui exigeait une « majorité exclusivement républicaine» (14 juin). Le ministère Méline se retira le lendemain.

Les chefs du parti radical, appelés l'un après l'autre, parvinrent enfin à former le ministère Brisson (28 juin), composé presque uniquement de radicaux, qui déclara renoncer à l'impôt progressif et promit une politique de concentration républicaine; il obtint un vole de confiance par 316 voix contre 230.

Puis la vie politique fut bouleversée par l'affaire Dreyfus. L'agitation pour la revision du procès avait commencé en novembre 1897; mais le ministère Méline avait refusé d'exa

1. Il est impossible de donner des chiffres précis, beaucoup de députés ne sont inscrits dans aucun groupe et n'ont pas de couleur politique tranchée; le seul renseignement précis est fourni par les scrutins du 14 juin 1898.

miner la question et la masse des électeurs y était demeurée indifférente (sauf l'élection des antisémites en Algérie). Le ministre de la guerre Cavaignac, en voulant démontrer à la Chambre la culpabilité de Dreyfus par une pièce qui fut bientôt reconnue fausse, amena malgré lui le ministère à se prononcer pour la revision et à en saisir la Cour de cassation (septembre 1898). A la rentrée, le ministère Brisson, abandonné en pleine séance de la Chambre par le général ministre de la Guerre, fut mis en minorité par un vote des progressistes, de la Droite et des nationalistes (25 octobre). Il fut remplacé par le ministère Dupuy, formé de progressistes et de quelques membres radicaux du précédent ministère, qui déclara s'appuyer sur l'union des républicains. L'élection à la présidence de la République (février 1899) du président du Sénat, Loubet, candidat des quatre groupes de Gauche de la Chambre et de la grande majorité des républicains du Sénat, par 483 voix (contre 279 données à Méline, qui n'avait pas posé sa canditure), paraît avoir fortifié la politique de concentration républicaine.

BIBLIOGRAPHIE

Documents. 1° Documents parlementaires, c'est-à-dire les Comptes rendus des débats des Chambres, et les Annexes (enquêtes, rapports, budgets, projets de loi), publiés par le Journal officiel et reproduits dans les Annales de l'Assemblée nationale (jusqu'en 1876), de la Chambre, du Sénat; 20 journaux quotidiens et Revues; on en trouvera la liste dans Schultz, Catal. méthod. des revues et journaux (1893). Pratiquement on peut souvent recourir aux annuaires, l'Année polit. de Daniel depuis 1876, l'Annual register, et le Schulthess' Europ. Geschichtskalender.

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On a publié quelques recueils de souvenirs, surtout sur la période antérieure à 1880 : J. Simon, Le gouvernement de M. Thiers, 1879. H. Pessard, Mes petits papiers, 1887-1888. Chesnelong, La campagne monarchique d'octobre 1873, 1895. E. Daudet, Trois mois d'hist. contempor., 1873. Ils n'apportent guère que des détails secondaires. Maxime Du Camp, Les convulsions de Paris, 5 vol., 18781879, très conservateur et peu critique. - Lissagaray, Hist. de la Commune, édit. de 1896, partisan de la Commune. Le travail le plus critique est

Travaux.

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Fiaux, Histoire de la guerre civile de 1871, 1879.

Mathieu-Bodet, Les finances françaises de 1870 à 1878, 2 vol., 1881. Amagat, Les finances françaises, 1889.

A. Lebon, Das Staatsrecht der franz. Republik, 1886 (collect. Marquardsen). Block, Dictionn. de l'admin. franç., 3o édit. 1891.

Il n'y a en fait d'histoires d'ensemble que des œuvres de vulgarisation. La plus considérable est E. Zévort, Hist. de la 3o République, trois séries, 1896-1898 (le t. IV, Presidence de Carnot, est annoncé).

CHAPITRE II

LE ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE

ET D'IRLANDE

Depuis 1873'.

Le parti conservateur se reconstitue, reprend le pouvoir en 1874, et dès lors les conservateurs et les libéraux ont tour à tour la majorité et le ministère. Le Parlement est élu pour sept ans, mais l'usage est de le dissoudre avant l'expiration de ses pouvoirs; les élections se font presque toujours brusquement, et, comme le gouvernement n'a aucun moyen de pression, comme la nation s'intéresse vivement à la politique, elles amènent parfois des surprises.

Le principal terrain de lutte est la politique extérieure (Disraeli contre Gladstone), puis le Home rule irlandais (Salisbury contre Gladstone). Après la conversion de Gladstone au Home rule, le parti libéral s'est disloqué. Dans les affaires de la Grande-Bretagne, il est difficile de distinguer le programme conservateur du programme libéral autrement que par les détails d'exécution. Le premier veut, comme le second, achever la transformation commencée après 1832. La réforme électorale reprise en 1867 par Disraeli est continuée en 1885 par Gladstone. L'organisation d'un gouvernement local élu en Grande-Bretagne, poursuivie par Gladstone (1870), puis par 1. Voir ci-dessus, t. XI, chap. x.

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