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faisaient hésiter, il y avait une chose qui demeurait fixe et permanente, c'était la sympathie témoignée à la Russie par toute la nation française, et la politique de bons procédés à son égard qui en était la marque visible. L'attitude très nette, très fermement respectueuse des traités de notre gouvernement, quel que fût le ministre qui dirigeait au Quai d'Orsay, lui en fournissait une preuve tangible. A aucun moment elle ne fut plus évidente qu'après l'accueil que recurent de M. Flourens les délégués bulgares en 1886 et, dès lors, Alexandre III fit un pas en avant. Les sentiments s'affermirent encore après son passage à Berlin en novembre 1887. Bien qu'il soit admis aujourd'hui que M. de Bismarck parvint à démontrer au souverain russe, soit alors, soit plus tard, la fausseté des fameux documents, dits documents bulgares, celui-ci n'en emporta pas moins de cette entrevue la conviction que dans la question d'Orient la Russie, en dehors de la France, n'avait à compter sur personne.

Le fâcheux incident de Sagallo (17 février 1889) ne suspendit pas une évolution politique qui était commandée par la force des choses.

Enfin le sentiment national français se manifesta par le succès des emprunts russes de 1889 et 1891, tandis que par une série de mesures administratives et gracieuses le gouvernement continuait à l'égard du grand empire du Nord la politique des bons procédés.

Cronstadt. Le résultat ne se fit pas attendre. Les événements de Cronstadt en 1891, la visite des marins russes en France en 1893 le firent connaitre à l'Europe et marquèrent à ses yeux l'existence du groupement politique nouveau destiné à faire contrepoids à la Triple Alliance et dont on peut dire que, comme elle, il est sorti des délibérations du congrès de Berlin.

L'accord franco-russe. Sous quelle forme l'accord qui a été à la fois la cause et l'effet de ce groupement politique s'est-il conclu? C'est ce qu'il est difficile de préciser '.

1. Dans son histoire diplomatique de l'alliance franco-russe, M. Ernest Daudet a écrit que : soit sous forme de protocole attestant le dessein de s'unir en

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Tout ce que nous pouvons dire, c'est que le terme d'alliance a été employé pour la première fois à la tribune de la Chambre par M. Hanotaux, le 10 juin 1895, et c'est que la mort d'Alexandre III ne semble avoir rien changé à la situation réciproque de la France et de la Russie. Après le voyage de l'empereur Nicolas II et de l'impératrice Alexandra Feodorovnal en France en 1896, après celui du président Félix Faure en Russie l'année suivante, il est permis de penser que l'entente subsiste, cordiale et durable « entre les deux grandes nations amies et alliées ».

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Quelles ont été les conséquences de la Triple Alliance et de l'Alliance franco-russe? Nous ne pouvons les apprécier qu'au point de vue spécial de la question d'Orient.

La question bulgare. Une seule question, parmi celles que le traité de Berlin avait essayé de résoudre, créait en Orient une dangereuse situation aiguë: c'est la question bulgare. Ni l'union proclamée en 1886 de la Bulgarie et de la Roumélie Orientale, ni l'élection du prince Ferdinand, n'étaient reconnues par les diverses puissances qui avaient pris part au congrès. Cependant l'Angleterre et l'Autriche se montraient favorables et, après elles, l'Allemagne et l'Italie paraissaient indifférentes. La France et la Russie restaient irréductibles dans leur opposition. Les violences du gouvernement de Slamboulof, nettement opposé à l'influence russe, n'étaient pas faites pour modifier leur attitude.

Mais en revanche la Bulgarie, qui avait déjà obtenu de la Porte la concession de bérats aux évèques bulgares de la Macédoine (26 juillet 1890), continua à entretenir avec elle des rela

vue de certaines éventualités, soit sous forme de convention militaire réalisant ce dessein, l'instrument diplomatique de l'alliance franco-russe existe aujourd'hui et qu'il a été la conséquence presque immédiate des fêtes de Cronstadt ». Sur quels renseignements s'appuie M. E. Daudet pour émettre cette affirmation, c'est ce qu'il ne nous dit pas. Il était de notre devoir de la mentionner, mais en en laissant à son auteur toute la responsabilité.

tions de plus en plus cordiales. Le sultan n'attendait plus qu'une occasion de reconnaître la validité de l'état de choses existant en Bulgarie. Une série d'événements où le hasard eût autant de part que la volonté des hommes la lui fournit. La chute, puis l'assassinat de Stamboulof firent disparaître le plus résolu des adversaires de l'influence russe, en même temps que l'avènement du cabinet Stoïlof donnait une part légitime dans le personnel gouvernemental aux partisans de cette même. influence. La décision prise par le prince Ferdinand de faire embrasser à son jeune fils, le prince Boris, la confession grecque orthodoxe fut pour la principauté un événement capital. Le tsar ayant accepté d'être le parrain du jeune prince, la réconciliation avec la Russie pouvait être considérée comme faite. Le sultan proposa alors aux différents cabinets européens de reconnaître l'état de choses existant en Bulgarie, et celle reconnaissance est aujourd'hui un fait accompli.

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Après le traité de Berlin, la situation de cette île avait été réglée par le pacte de Halepa (30 septembre 1878), qui modifiait et complétait le réglement organique de 1868. Mais à la suite des troubles survenus en 1889, une partie des privilèges qu'il accordait aux Crétois avait été suspendue par le firman du 26 octobre 1889. Bien loin de faire cesser les désordres, ces mesures de rigueur les aggravèrent; en 1894, les délégués chrétiens furent unanimes à demander au sultan l'exécution du pacle d'Halepa, et, devant l'état profondément troublé de l'ile, ce dernier se décida à y envoyer un gouverneur général chrétien, l'ancien prince de Samos, Alexandre Carathéodory Pacha.

Mais Carathéodory Pacha se sentit bientôt impuissant devant l'hostilité réciproque des chrétiens et des musulmans, ces derniers du reste étant encouragés sous main par la Porte. Il donna sa démission, et son prédécesseur, Turkhan Pacha, fut renvoyé en Crète. Ce fut le signal d'une aggravation dans la situation, qui obligea les puissances à demander au sultan des réformes, que celui-ci accepta, et à en faire surveiller l'exécution par une commission formée des représentants consulaires

des six grandes puissances résidant à la Canée (août 1896). Les Crétois acceptèrent ces dispositions (4 septembre 1896).

Après quelques mois de tranquillité relative, les troubles. recommencèrent au début de l'année 1897, quand chrétiens et musulmans, les uns excités, les autres encouragés par la mauvaise volonté que mettait la Turquie à accomplir les réformes promises, virent en outre la Grèce décidée à faire la guerre aux Turcs au sujet de la Crète. Le blocus de la Crèle fut décidé par les puissances, auxquelles après l'arrivée de la flottille de torpilleurs du prince héritier et le débarquement du corps. expéditionnaire du colonel Vassos le sultan remit l'ile en dépôt (février 1897). Les mêmes puissances envoyèrent alors en Crète des contingents de troupes pour maintenir un ordre. relatif et assurer la sécurité du pays qui leur était confié. L'arrivée de ces troupes internationales ayant ramené un peu de calme dans les villes, et la défaite de la Grèce ayant eu pour conséquence le départ des soldats du colonel Vassos, les amiraux, qui avaient proclamé l'autonomie de la Crète le 22 mars, purent décider la levée du blocus dès la fin de mai, tandis que les représentants des puissances à Constantinople travaillaient à l'élaboration d'un règlement provisoire qui fut adopté à la fin de l'année.

La retraite de l'Allemagne et de l'Autriche du concert européen (mars 1898), les nouveaux troubles survenus en septembre de la même année, n'empêchèrent pas la France, la Grande-Bretagne, l'Italie et la Russie de poursuivre en commun la solution de la question crétoise. Elles y sont heureusement parvenues. Il n'y a plus actuellement un seul soldat turc dans l'ile, où la souveraineté du sultan n'est plus marquée que par son drapeau flottant sur un point fortifié. Sur la proposition de la Russie, le prince Georges de Grèce a été nommé Haut Commissaire et son arrivée a été saluée avec enthousiasme par la population entière, chrétiens et musulmans (décembre 1898).

La guerre turco-grecque. - Nous avons vu que c'était l'altitude de la Grèce, qui, au commencement de 1897, avait provoqué en Crète un renouvellement des troubles. Les événements dont la Crète était le théâtre depuis le pacte d'Halepa et

qui prirent, dès 1894, une gravité particulière, ne devaient pas manquer en effet d'avoir leur contre-coup dans la péninsule hellénique. L'agitation devint si forte que le gouvernement du roi Georges, qui avait d'abord paru incliner sincèrement à la modération et à la paix, se vit entraîné à la guerre au début de 1897. La nouvelle du changement d'attitude que lui imposaient l'opinion et surtout les menées des sociétés secrètes telles que l'Hetairia, fut la cause des mouvements crétois de janvier 1897, et ceux-ci, à leur tour, déterminèrent dans tout le monde hellénique une telle poussée belliqueuse que la guerre devint inévitable.

Puisqu'il en était ainsi, le mieux était de localiser un incendie qu'il était impossible d'éteindre. Les puissances, qui l'avaient compris dès le mois de février, n'en firent pas moins tous leurs efforts pour éviter la rupture. Elle eut lieu le 18 avril par la remise que le gouvernement ottoman fit de ses passeports au prince Mavrocordato, ministre de Grèce à Constantinople. Les hostilités, qui avaient déjà commencé depuis plusieurs semaines à la frontière thessalienne par des engagements entre bandes d'irréguliers, s'ouvrirent aussitôt. On sait quel en fut le résultat. Les troupes grecques, malgré leur vaillance, ne purent tenir devant l'armée ottomane, aussi brave, mais plus nombreuse, mieux organisée et mieux commandée qu'elles. Le 11 mai, la Grèce voyant la Thessalie tout entière au pouvoir de l'ennemi et le cœur du pays menacé, dut demander la médiation des puissances, qui l'accordèrent et sous les auspices desquelles fut signé l'armistice du 5 juin.

Les préliminaires de paix, qui donnèrent lieu à de longues et pénibles négociations entre les deux puissances belligérantes et les ambassadeurs représentant à Constantinople les puissances médiatrices, ne furent signés que le 18 septembre.

La Grèce accordait à la Turquie une rectification de frontières du côté de la Thessalie, entraînant pour elle la cession d'environ 55 kilomètres carrés. Elle s'engageait à payer une indemnité de guerre de 4 millions de livres turques. Elle promettait d'ouvrir des négociations pour la conclusion avec la Turquie de conventions diverses réglant les questions de natio

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