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voir la main des « cléricaux » et prononça la dissolution de toutes les sociétés et confréries catholiques. Pie IX, par un bref adressé aux évêques de Prusse, ayant déclaré les lois de mai nulles comme contraires à la constitution de l'Église, et excommunié quiconque accepterait des fonctions ecclésiastiques de l'autorité civile (février 1875), le gouvernement édicta de nouvelles mesures pour obtenir à tout prix l'exécution des premières notamment, la loi « de saisie et de famine », qui suspendait les traitements et allocations fournis par l'État, pour tout évêque qui refuserait de se soumettre par écrit aux lois nouvelles (avril 1875); la loi sur l'administration des fabriques d'églises, la seule que les évêques firent exécuter (mai); la loi bannissant de l'Empire toutes les congrégations qui ne s'occupaient pas du soin des malades (novembre), etc. En 1876 et 1877, de nombreux évêques ou prêtres furent encore « déposés » par le tribunal royal de justice, en sorte que, à la mort de Pie IX (février 1878), la plupart des diocèses étaient privés de leurs évêques et six cents paroisses de leurs curés.

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Mais Bismarck avait vu se dresser devant lui un adversaire redoutable. Sous l'indignation produite par la persécution et sous l'habile direction de Windthorst, le Centre allemand s'était fortement constitué et avait déclaré au chancelier qu'il y aurait guerre entre eux jusqu'à ce que justice fût rendue ». Le catholicisme, que Bismarck avait essayé de refouler, devenait ainsi une puissance avec laquelle il lui fallait compter'. Il se trouva par là prédisposé à écouter les ouvertures de Léon XIII, et entra successivement en pourparlers avec le nonce de Munich, Mgr Aloysi Masella (été de 1878), puis, après la retraite du ministre Falk (août 1879), avec le nonce de Vienne, Mgr Jacobini (nov. 1879 à mai 1880); mais, comme i exigeait toujours des concessions fermes en échange de promesses vagues, et refusait formellement d'abolir les « lois de mai», les négociations furent rompues.

Cependant tout le monde était las de la lutte. Inquiet des progrès du socialisme et gêné par l'opposition du Centre, Bis

1. Pour plus de détails sur le Centre et son chef, voir ci-dessus, p. 332.

marck prit un détour. Il se fit donner par le Landtag prussien (mai 1880) le droit de dispenser des lois de mai; mais le caractère purement discrétionnaire de cette mesure ne pouvait satisfaire les catholiques, et la situation resta tendue jusqu'en novembre 1882. A cette date, les relations diplomatiques furent reprises avec le Vatican, et M. de Schlozer fut chargé de négoeier la paix définitive avec Léon XIII. Pour lui faciliter sa tâche, Bismarck apporta aux lois de mai divers adoucissements (juin 1883), et permit à quelques évêques de reprendre leur siège (1884). Mais son obstination à obtenir du pape la reconnaissance de l'Anzeigepflicht' faillit tout faire échouer. Les négociations allaient être abandonnées lorsque survint l'incident des Carolines (sept. 1885), tranché par la médiation de Léon XIII. Satisfait des bons offices du pape et de plus en plus pressé par la nécessité d'en finir avec une persécution religieuse qui affaiblissait le gouvernement, Bismarck fit voter la loi du 15 février 1886, qui abrogeait les principales mesures prises contre le clergé. L'année suivante, une loi nouvelle rouvrait à quelques ordres religieux les portes de l'Empire. Grâce à la politique conciliante du pape, à l'habile fermeté du Centre, aux dispositions plus équitables de Guillaume II3, l'armure» des lois de mai s'en est allée pièce à pièce il n'en reste plus aujourd'hui que le mariage civil, l'abrogation des articles 15, 16, 18 de la Constitution de 1850, et une situation très dure faite aux évêques polonais, auxquels Bismark avait voué une haine particulière. Le Kulturkampf prussien avait duré quinze ans.

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Il en fut à peu près de même dans les autres États allemands qui crurent devoir imiter la Prusse. Dans la Hesse-Darmstadt, on avait adopté les « lois de mai » en 1875; aussi le conflit latent qui existait depuis 1866 entre le gouvernement et l'archevêque de Mayence, Mgr de Ketteler, s'était-il exaspéré, si

1. Notification préalable des nominations ecclésiastiques au gouvernement. 2. Voir ci-dessus, p. 334 et 369.

3. En 1890, Guillaume II a exempté de nouveau les étudiants en théologie catholique du service militaire en temps de paix; en 1891, restitué les traitements confisqués pendant le Kulturkampf; en 1894, laissé rentrer les Rédemptoristes et autres ordres « affiliés » aux Jésuites.

bien qu'à la mort du prélat (1877), il fut impossible de lui donner un successeur avant 1886. En 1887, la Hesse, imitant une fois de plus la Prusse, abrogea les lois de combat. - Dans le grand-duché de Bade, où depuis 1868 le siège de Fribourg restait vacant, une loi du 3 mai 1874 avait aggravé la situation en soumettant le clergé à des examens « de culture ». Une détente se produisit peu après l'avènement de Léon XIII, dont l'intervention personnelle, jointe à celle du grand-duc Frédéric, finit par obtenir la suppression des examens, cause principale du litige, et la possibilité pour l'évêque élu par le chapitre de reprendre la direction de son diocèse.

En

Le Kulturkampf en Autriche et en Suisse. Autriche, où l'esprit joséphiste anime encore les fonctionnaires supérieurs, les derniers restes du Concordat furent dénoncés dès 1870. En 1874, l'empereur se laissa arracher de véritables « lois de mai»; mais ces lois, qui d'ailleurs ne prononçaient pas la peine de la déposition contre les évêques et les prètres, furent interprétées avec modération et n'apportèrent à l'Église qu'un trouble passager. -La Hongrie resta en dehors des luttes religieuses jusqu'à 1890, époque où le parti « libéral » entreprit la campagne qui triompha en 1894 2.

Le Kulturkampf suisse fut plus violent, surtout à Genève et à Bale. C'est, comme en Prusse, le décret sur l'infaillibilité et le mouvement « vieux-catholique » qui servirent de prétexte. Les causes réelles furent, d'une part, le désir des radicaux de compléter leur victoire du Sonderbund, qu'ils estimaient insuffisante; d'autre part, le désir des protestants et des francs-maçons, presque tous alliés des radicaux, d'arriver à annihiler l'influence des Cantons catholiques et au besoin le catholicisme. C'est dans ce but que le vieux-catholicisme» fut encouragé par certains gouvernements cantonaux et par le gouvernement fédéral, dévoué au radicalisme. En 1873, l'évèque de Bâle, Mgr Lachat, qui avait déposé le curé d'Olten, fut déclaré déchu de son siège et exilé, ainsi que le vicaire apostolique de Genève, Mgr Mermillod. Soixante-dix curés catholiques du Jura bernois

1. Voir ci-dessus, p. 167

2. Voir ci-dessus, p. 184-187.

furent également bannis pour faire place aux dissidents. La même année, à Genève, une loi cantonale remit aux paroisses l'élection des curés. Les catholiques s'étant abstenus, les curés furent nommés partout par des protestants ou des libres penseurs, qui choisirent exclusivement des vieux-catholiques. Les confréries et les cérémonies publiques furent interdites. En 1874, le nonce du pape dut quitter le territoire fédéral. Mais la ferme résistance des catholiques au mouvement dirigé contre eux eut en Suisse les mêmes résultats qu'en Allemagne. En 1876, les curés bannis par le Canton de Berne purent rentrer dans leurs paroisses et y reprendre leur ministère. En 1880, l'assemblée cantonale annula l'adhésion forcée des catholiques bernois à l'Église « chrétienne catholique nationale ». En 1884, un accord intervint entre Léon XIII et le gouvernement fédéral : Mgr Lachat se démit du siège de Bâle, où le remplaça Mgr Fiala († 1888), et reçut en échange l'administration spirituelle du Tessin (1885). En 1888, le Canton de Genève fut rendu au diocèse de Lausanne, dont Mgr Mermillod fut nommé évêque; mais le gouvernement cantonal persistant dans son attitude hostile à son égard, il donna sa démission en 1891 et fut élevé au cardinalat ( 1892). Son successeur, Mgr Deruaz, exerce librement son ministère sur le territoire de Genève. On peut donc dire que le Kulturkampf a cessé en Suisse; mais le gouvernement fédéral, qui est aux mains des protestants et des radicaux, est toujours disposé à restreindre les droits des catholiques et à favoriser leurs rivaux.

Le Kulturkampf dans les pays latins. Le Kulturkampf commença en Belgique et en France au moment où il s'apaisait dans les pays allemands. Il n'eut pas pour cause dans ces deux pays le mouvement vieux-catholique, qui n'avait pas réussi à s'y implanter, mais l'action des sectes anticléricales et particulièrement de la franc-maçonnerie. Ici et là, le plan suivi fut le même, et la lutte portée sur le terrain de l'école.

En Belgique, elle débuta en juin 1878, avec l'avènement au pouvoir du parti dit « libéral », entièrement dominé par les loges belges. Le ministère Frère-Orban fit voter, en juillet 1879, une loi scolaire abrogeant celle de 1842 et établissant partout l'instruction primaire laïque. Les évêques ayant condamné les

écoles « sans Dieu », et le pape ayant refusé de les désavouer, Frère-Orban rompit toute relation avec le Saint-Siège (juin 1880); mais l'opinion publique se prononça énergiquement contre l'enseignement « neutre », et, au renouvellement de 1884, les catholiques reprirent le pouvoir, qu'ils ont gardé depuis1.

En France, où les catholiques sont moins énergiques et plus divisés qu'en Belgique, le Kulturkampf devait durer plus longtemps. Il commença presque aussitôt après la chute du maréchal Mac-Mahon, c'est-à-dire avec l'arrivée du parti républicain aux affaires. Dès 1879, Jules Ferry présentait aux Chambres un projet de loi, dont l'article 7, analogue à l'une des « lois de mai», interdisait l'enseignement, public et privé, à tout membre d'une congrégation non autorisée. L'article en question ayant été repoussé par le Sénat (mars 1880), le gouvernement dispersa par la force toutes les congrégations non autorisées (décret du 29 mars). La même année, le repos du dimanche fut aboli dans les travaux publics, et une taxe d'exception imposée aux congrégations sous le nom de droit d'accroissement (remplacé en 1895 par la taxe d'abonnement). En 1882 fut votée la loi sur l'instruction primaire obligatoire et laïque, à la suite de laquelle les crucifix furent enlevés des écoles communales. En 1884, le divorce est rétabli, et les Facultés de théologie catholique sont supprimées. En 1886, une nouvelle loi scolaire interdit aux congréganistes la fonction d'instituteur communal. En 1889, l'exemption du service militaire est retirée aux séminaristes et même aux membres du clergé. En 1892, les bourses accordées jusqu'alors aux séminaires catholiques sont supprimées. L'année suivante, onze millions sont retranchés sur le budget des cultes, et les fabriques des églises soumises à une réglementation plus rigoureuse, difficilement applicable dans les campagnes. En beaucoup de villes, les processions sont interdites. Contrairement à l'article 14 du Concordat, des évêques et des prètres ont été privés de leur traitement. La politique conciliante de Léon XIII, qui a enjoint aux catholiques français de ne plus

1. Voir ci-dessus, p. 238-240.

2. Voir ci-dessus, p. 29.

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