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actives de cette jeune école. Et si Fritz Thaulow, le grand peintre des eaux courantes et frilcuses, est presque devenu l'un des nôtres, c'est à ses origines héréditaires qu'il doit ce qu'il a de meilleur.

Si l'art des Norvégiens est surtout de paysans », celui des Suédois serait plus volontiers « citadin» et il fut plus longtemps cosmopolite. Mais cette distinction était plus vraie hier qu'elle ne le sera peut-être demain. La dernière Exposition de Stockholm révéla chez plusieurs jeunes architectes comme chez beaucoup de peintres, une volonté commune d'être « national ». Le seul moyen, pour ceux-là surtout, était de renoncer aux modèles français et italiens, aux colonnades et au rococo des xvn el xvII° siècles, et de s'inspirer, en l'adaptant aux besoins de la vie moderne, de cette architecture des ancêtres charpentiers dont les églises de village et les constructions rustiques conservent la tradition. Les pavillons suédois, norvégien et finlandais de la Rue des Nations et plusieurs dessins d'architectes à l'Exposition universelle de 1900 ont témoigné de l'efficacité de cet effort. Pour les peintres, même ceux qui ont mis à profit les leçons des Français et des Japonais n'ont appliqué qu'à la réalité prochaine ce qu'ils ont pu apprendre ailleurs, par exemple M. Anders Zorn, le maître de la peinture suédoise, et, après lui, MM. Richard Bergh, Bruno Liljefors, Larsson, Oscar Bjorck, Carl Nordström, Axel Sjoberg, Robert Thejerstroem, Wilhemson, Pauli, le prince Eugène, elc.

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Chez les Finlandais, l'amour profond du sol natal a inspiré une école qui conserve une forte et irréductible autonomie morale et dont les représentants les plus caractéristiques sont : MM. Edelfelt, Jarnefelt, Viström, Halonen, Blomstedt, Ahlstedt, Axel-Gallen, Enckell, Lagerstrom, Munstarjhelm, Boofeld, Westerholm, Simberg.

Russie. L'art russe moderne commence à peine à se dégager des influences étrangères, romaines, académiques, françaises et allemandes, qui l'ont dominé depuis Pierre le Grandmais on y chercherait encore en vain une expression plastique du génie national. Quand, les yeux et l'imagination remplis des paysages que l'on a vus se lever lentement ou surgir

tout à coup entre les lignes de Tolstoï ou de Tourgueneff, on entre dans une salle d'exposition russe, la déception est grande. On peut se dispenser de rien dire de ceux qui, selon l'expression de M. de Vogüé, « firent pendant un siècle du prix de Rome avec constance, labeur et médiocrité », de cette « effroyable consommation de tuniques rouges et de manteaux bleus, d'hommes nus sous des casques, de glaives carrés, de trépieds, de ruines doriques, de pâtres d'Albano... » Mais voici que les choses semblent, là-bas aussi, sur le point de changer; un jeune peintre, M. Philippe Maliavine, a trouvé le chemin des sources, et c'est de ces villages, dont les industries locales révèlent tant d'invention naïve en même temps que de fidélité aux obscurs et profonds instincts de la race, qu'il a rapporté des tableaux les plus savoureux que compte la peinture de son pays. Des paysages de Sérov et de Lévitan, des portraits de Sérov et de Répine, des tentatives fort inégales de M. Wasnétzow, soit pour animer d'un naturalisme plus vivant les figures traditionnelles des icones, soit pour faire revivre en des paysages évocateurs les antiques légendes, des scènes de mœurs et des études d'Archipov, de Strobowsky, de Vladivir Makowsky, de Nicolas Kassatkine, de Paternac, peuvent être notées comme des indications plus ou moins significatives, tandis que, parmi les sculpteurs, M. Autokolsky et le prince Paul Troubetskoï, celui-ci plein de verve primesautière et de hardiesse expressive, sont surtout dignes d'attention.

Allemagne. En Allemagne, ce qui caractérise depuis trente ans les productions de l'art officiel et de l'architecture, c'est moins une originalité véritable qu'une volonté fortement accusée de puissance et de grandeur. Les villes du nouvel Empire se sont couvertes d'édifices nombreux universités, musées, gares, postes, casernes, dont les éléments ne révèlent à l'analyse que des emprunts à des styles connus surtout à la Renaisance italienne, comme le palais du Reichstag à Berlin (1894) — mais dont l'expression totale est toujours d'une affectation de force. Même les bureaux de poste prennent des airs à la fois de forteresse et de palais. C'est peut-être dans l'aménagement des gares monumentales, admirablement com

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binées pour la circulation facile et rapide de masses énormes de voyageurs et surtout de troupes mobilisées tecture allemande a été le plus originale.

que l'archi

Les sculpteurs ont été surtout occupés à des commandes officielles et il est permis de regretter qu'ils aient si complètement oublié les traditions de Peter Vischer et de Adam Kraft. Mais la volonté des maîtres de l'Allemagne centralisée a peuplé de monuments décoratifs et commémoratifs les avenues, les places publiques et les boulevards de la Victoire (Sieges Allee). Le nom de M. Begas est le plus populaire; ceux de Peter Breuer, Ludwig Cauer, Eberlein, Lessing Manzel, Brütt, Tuaillon, Max Kruse, Widemann, à Berlin, — Robert Dietz et Epler à Dresde, Maison, Böhm et Frantz Stück à Munich, jouissent d'une grande notoriété.

Chez les peintres allemands, la production a été plus abondante que vraiment expressive. Quelques artistes caractéristiques ont cependant paru. Tandis que l'art de l'école historique, telle que Piloty à la suite de Kaulbach l'avait constituée, tombait dans l'insignifiance la plus avérée, Ad. Menzel (né en 1815 et dont l'Allemagne fête encore la glorieuse vieillesse) a trouvé, dans la patiente et pénétrante étude de la vie, une force toujours active. Son illustration de l'histoire de Frédéric le Grand l'a rendu populaire; mais à côté de ces divinations rétrospectives où son « réalisme » l'a puissamment servi, il a réuni dans son œuvre diverse et multiple tous les types populaires et sociaux, toutes les conditions et tous les métiers soldats, ouvriers, moines, bourgeois et marchands, gens du monde et forgerons; par un anachronisme hardi, il les a même fait entrer dans les scènes de l'histoire sacrée, et c'est dans les boutiques de la Judenstrasse qu'il est allé chercher les types de son Christ au milieu des docteurs.

Deux peintres plus jeunes, deux maîtres éminents, de bonne heure gagnés à l'école du plein air» et que quelques-uns de leurs compatriotes ont classés sous l'influence de l'école française, M. Max Libermann et Fritz von Uhde, l'un Berlinois, l'autre Saxon d'origine, ont voulu surtout « naturaliser l'art » après qu'on avait trop «artialisé la nature ». M. Libermann,

après avoir beaucoup habité la Hollande où il n'a pas été sans subir l'influence de Josef Israëls, s'est fait le peintre des orphelinals, des ouvroirs, des béguinages, des paysages de dunes, de mers grises et de ciels voilés, et par la justesse caractéristique du dessin large et libre, des formes vivantes dans l'atmosphère, il a pris rang parmi les peintres les plus expressifs de ce temps. M. Fritz von Uhde, par la profondeur et la délicatesse du sentiment, s'est élevé plus haut encore. Quelques-unes de ses œuvres, comme La Cène, Le Discours sur la montagne, Laissez venir à moi les petits enfants, Le Christ chez le paysan, La Nuit de Noël, complent parmi les pages émouvantes de la peinture religieuse parce que rien n'y est laissé à la convention et que tout y est pris à la source de la nature et de la vie franchement observées. MM. Gothard Kuehl, Claus Mayer, W. Leibl sont également à la tête de l'école réaliste, avec M. Paul Meyerheim et M. Oberländer dont l'observation satirique a donné aux Fliegende Blätter tant de dessins vigoureux.

L'influence du peintre balois Bocklin, qui a peuplé ses évocations grandioses et mélancoliques de paysages italiens, de figures d'inspiration toute germanique, et en qui la jeune critique allemande veut voir revivre « l'âme du Saint Empire romain germanique », a été grande sur beaucoup d'artistes munichois. Hans Thoma, Franz Stück, Max Klinger sont parmi les plus notables. Enfin le portraitiste Franz Lenbach, peintre souvent lourd et laborieux, mais puissant évocateur d'àmes, a peint une galerie des grands hommes dont l'histoire fera son profit. C'est lui qui fera vivre durant la postérité les traits de Bismarck et de Moltke.

Angleterre et États-Unis. — En Angleterre, les architectes et les décorateurs ont créé un type du home adapté aux instincts les plus profonds de la race et aux habitudes de la vie sociale, qui est une des créations originales de l'architecture de ce temps. Et les décorateurs inspirés par le poète-peintre socialiste W. Morris ont renouvelé l'art du mobilier. Le grand effort du préraphaléisme, qui fut en ses résultats très inégal mais qui fut en son principe très noble et, par l'intensité de l'intuition morale, très caractéristique du moment et du milieu qui le

virent éclore, est mort avec Burne-Jones; mais l'art puissant et humain de Watts en transmettra à l'avenir les plus hautes parties. Les portraitistes anglais ont gardé ce sens et ce respect de la personnalité, héréditaires dans le pays de l'habeas corpus. Everret Millais, Orchardson, Herkommer, Ouless, Reed, Shannon sont surtout notables. L'observation de la vie, la peinture de mœurs se compliquent généralement d'intentions littéraires, mais comptent, avec les John Lorimer, Forbes Stanhope, Gregory, Tuke, de vrais peintres; chez les paysagistes, le sentiment de la nature est tantôt grave et recueilli comme chez Leader et East, ou délicat et idyllique comme chez Wyllie, Cameron, Aumoner, North, Davis, Clausen, - et les paysages de mer restent une des « spécialités » de cette école d'insulaires.

La peinture académique, érudite, froide et compassée de feu Sir Frédéric Leigthon, est continuée par M. Poynter,

plus familière, anecdotique chez M. Alma Taddema, antiquaire modernisant et fort achalandé, resté fidèle par le goût des pâtes grasses et onctueuses à ses origines flamandes, comme M. Franck Brankwyn, coloriste puissant à moitié Anglais et Belge à moitié. D'une manière générale, quoique le goût des colorations pacifiées et harmonisées soit aujourd'hui plus répandu qu'au milieu du siècle chez les peintres britanniques et que le ton local ait sensiblement atténué son irréductible intransigeance, on y sent pourtant encore comme un arrièregoût acidulé, et dans l'assaisonnement des rouges et des jaunes une saveur fréquente de pickles et de moutarde...

Dans l'esprit des sculpteurs anglais, un rêve florentin flotte comme un éternel désir ou un regret mélancolique. Il leur manque encore d'avoir pris complètement possession de la forme vivante. Il est incontestable pourtant qu'avec Thornycroft, Brock, Frampton, John, Drury, Allen, Swann, Joy, Onslow Ford la sculpture anglaise est en progrès notable.

Les États-Unis prétendent eux aussi à une école originale, qui ne serait plus anglaise ou française, comme on le leur a dit trop souvent à leur gré. Les origines de cette école ne pouvaient être pourtant qu'européennes, si son développement tend, comme il n'est pas douteux, à devenir national et améri

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