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Il y a porté une imagination brùlante, une volonté violente et fantasque, et une science prodigieusement raffinée. Ses principales œuvres sont Tod und Verklärung (1889), Till Eulenspiegel (1894), Also sprach Zarathustra (1895), Don Quixotte (1897), et Heldenleben (1899). Il a écrit aussi un opéra, Guntram, et beaucoup de musique vocale et instrumentale.

Les autres musiciens allemands sont de moindre importance; nous citerons seulement MM. Weingartner et Max Schillings. Un curieux mouvement s'est dessiné dans ces dernières années. De jeunes compositeurs wagnériens reviennent de parti pris à la tradition de Weber et à la légende populaire, voire au conte de veillée. Ainsi M. Humperdinck, dans son opéra d'Hænsel et Gretel, applique les procédés wagnériens aux lieder populaires et aux récits de la mère l'Oie. Le fils de Wagner, M. Siegfried Wagner, vient, dans son opéra du Bærenhäuter, d'apporter à ce genre l'autorité de son nom.

Dans l'ensemble, malgré beaucoup de talent et de science, on sent dans l'art allemand de l'incertitude et du déséquilibre, comme dans la Florence du xv1° siècle, après Michel-Ange; un symbolisme confus et un peu prétentieux s'y mêle à une naïveté voulue, et à je ne sais quoi d'enfantin et de vieillot.

La Musique italienne - Verdi. L'opéra « vériste ». Renaissance de l'oratorio. Don Lorenzo Perosi. La nuit semble s'étendre sur l'art italien. Verdi reste seul et vieillit. La musique italienne s'éteindra-t-elle avec lui? On sent que l'Italie se pose cette question avec angoisse. Aussi son patriotisme salue avec fracas les moindres traces de vie artistique. Il honore triomphalement Verdi; il salue d'acclamations enthousiastes les balbutiements de Boito, et il écrase de son adoration excessive les débuts de Mascagni.

Verdi écrit en 1874 son Requiem mélodramatique pour Aless. Manzoni, en 1887 son Otello, qui fait preuve d'une nouvelle évolution, plus surprenante encore que celle d'Aïda. Verdi s'y concentre, s'attache à l'analyse expressive de trois ou quatre personnages. Plus intéressant encore dans ce genre est le Falstaff de 1893, œuvre froide et voulue, mais intelligente, pittoresque, remarquable surtout par la finesse savante de l'écriture

aux joliesses travaillées, et par la subtile décomposition harmonique des pensées musicales. Quoi qu'on pense de l'art de Verdi, l'homme est un bel exemple de travail et de conscience artistique, ne craignant pas à soixante-dix ans passés de se remettre à l'école, de chercher de nouveaux chemins pour l'art. Il fut un poète médiocre, mais un homme de théâtre; et c'est par là qu'il exerça une influence considérable sur tout l'art italien.

La nouvelle école dramatique italienne procède de lui; c'est au travers de lui qu'elle a senti les influences germaniques et françaises. Elle se signale à la fois par ses exagérations mélodramatiques et par ses recherches d'harmonies. Elle a pour précurseurs, avec Verdi, Amilcare Ponchielli (1834-1889), auteur de la Gioconda (1876); Filippo Marchetti, auteur de Ruy Blas (1869), et M. Arrigo Boito, dont le Mefistofele, représenté en 1875 à Bologne, n'est, malgré sa célébrité, que l'œuvre d'un littérateur distingué, où la musique fait défaut. La nouvelle école débuta en 1890 par un opéra dont le retentissement a dépassé de beaucoup le mérite: Cavalleria rusticana, de Mascagni (né en 1863), œuvre boursouflée, entachée de pathos, de mauvais goût, mais en somme vivante, spontanée, et promettant plus que n'ont tenu les compositions suivantes du même auteur (L'Ami Fritz, Les Rantzau, Ratcliff, Silvano, Zanetto, Iris, etc.). Leoncavallo, de Naples (né en 1858), écrit les Pagliacci (1893), I Medici, La Bohème, Zaza (1900); Giacomo Puccini, de Lucques (né en 1858), Manon (1893), La Vie de Bohême, La Tosca (1900); Giordano, Andrea Chenier; Alberto Franchetti, Asraël, Cristoforo Colombo, Signore di Pourceaugnac. Tous ces représentants de l'opéra « vital », de l'art « vériste » n'en sont encore qu'à leurs débuts, et le bruit qu'on a fait autour d'eux a nui à leur développement naturel. Mais on doit leur faire crédit. Il y a dans la race italienne un génie dramatique, qui cherche sa voie. Il lui a surtout manqué jusqu'à présent l'étude et le recueillement. Dans ces dernières années, l'instruction musicale s'est relevée, et déjà l'on en recueille les fruits. A peine les Tebaldini et les Enrico Bossi ont-ils procédé à la réforme de la musique religieuse, que s'est révélé le premier des artistes religieux d'aujourd'hui : Don Lorenzo Perosi

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(né le 20 décembre 1872 à Tortone). Il a créé de véritables drames chrétiens, où se montre avec une sincérité touchante une âme tendre et poétique, dont l'inspiration s'appuie sur une science solide. Ses premiers oratorios (Passion du Christ, Transfiguration, Résurrection de Lazare, Résurrection du Christ, Nativité, Massacre des Innocents, etc., 1898-1900) ne doivent ètre considérés sans doute que comme des essais juvéniles; mais le génie qu'on y sent poindre fait bien augurer d'une renaissance prochaine de la musique en Italie.

La Musique russe. L'école russe s'est considérablement développée depuis 1870, sans qu'il soit encore possible de prévoir nettement son avenir. Elle a des tendances descriptives très marquées, et par là se rapproche davantage de Berlioz que de Wagner. En même temps, elle fait du chant populaire son essence. C'est à ces admirables chants, dont plusieurs recueils précieux ont été publiés (et en particulier par des maîtres tels que Balakirew et Rimsky Korsakow), qu'elle doit le meilleur de son originalité, au point qu'on peut se demander ce qu'elle serait si on la dépouillait de la collaboration de cette poésie populaire. Le bercement monotone et prenant de cette rêverie sans fin, la puissante variété des rythmes et la curiosité des timbres, font jusqu'à présent l'attrait principal de l'art russe, plus que la personnalité des artistes.

Quelques noms se détachent pourtant de la foule d'abord, le groupe « des Cinq », et le premier d'entre eux, Moussorgsky (1839-1881), mort trop jeune, sans avoir donné sa mesure, artiste étrange, apre, incorrect, mal pondéré, mais avec du génie, et dont le Boris Godunow (1874) est sans doute l'œuvre dramatique la plus savoureuse de la musique russe, « de l'histoire vraie, la résurrection de la vie »; Borodine (1834-1887), musicien distingué, d'une poésie ténue et raffinée, auteur du Prince Igor et de l'esquisse symphonique si connue Dans les Steppes; Balakirew (né en 1836), qui écrivit de remarquables poèmes symphoniques, dont le plus célèbre est Thamar; César Cui (né en 1835), d'origine française, compositeur facile et fécond; Rimsky Korsakow (né en 1844), auteur de poèmes symphoniques et de nombreux opéras, dont quelques-uns ont beaucoup

de charme (La Pskovitaine, 1875; La Nuit de mai, 1880; Snégourotchka, 1882; Mlada, 1892; La Nuit de Noël, 1895). Nous avons parlé, dans la période précédente, de Tschaikowski (mort en 1893), et de Rubinstein (mort en 1894). Parmi les contemporains, citons Alex. Glazounow (né en 1865), élève de Rimsky, Joseph Withol, Ant. Arensky, Alex. Scriabine, Anat. Liadow, Tanéiew. La Société musicale russe, fondée en 1852, donna naissance en 1861 au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, et par ses succursales dans tout l'empire contribua aux progrès de l'art russe. Dans l'abondance un peu désordonnée de cette musique, on sent de grands efforts pour fonder l'art national; mais le génie où s'incarnent ces aspirations n'a pas encore paru.

Dans d'autres pays d'Europe, l'àme populaire cherche une expression artistique en Norvège, où Grieg et Svendsen continuent d'écrire leurs œuvres poétiques et frèles, qui ont agi fortement sur les maîtres d'Allemagne, de France et d'Italie, par la nouveauté des modulations; en Hongrie, en Bohème, avec Smetana, Dvorak et Bendl; en Espagne, avec F. Pedrell; en Flandre, avec Edgar Tinel et Peter Benoît. Dans presque tous les pays d'Europe, se réveille sous la torpeur séculaire le désir ardent et touchant de penser et de vivre par soi-même.

BIBLIOGRAPHIE

L'Art en Europe. Voir ci-dessus, t. XI, page 939. En outre la col· lection de la Gazette des B.-A., et surtout les trois volumes consacrés aux Expositions de 1878, 1889 et 1900. L'Art français en 1889, publié sous la direction de M. Antonin Proust, 1889, in-4. La collect. des Künstler Monographien, publiée sous la direction de Knackfuss. Geschichte der Kunst der XIX Jahrhunderts, par C. Gurlitt, Berlin, 1900, in-8.

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La Musique. Voir ci-dessus, t. XI, p. 939, et en outre Hugues Imbert, Profils de musiciens, 1888; Nouveaux profils de musiciens, 1892. Georges Servières, La musique française moderne, 1897. A. Soubies, Histoire de la musique allemande, 1896; de la musique russe, 1898; de la musique portugaise, 1897; de la musique hongroise, 1897; de la musique bohême, 1898; de la musique belge, 1900; de la musique espagnole, 1900.- H. Reimann, Johannes Brahms, 1897, Berlin. - Paul Voss, Georges Bizet, 1899, Leipzig. Pigot, Bizet et son œuvre, 1886. A. Coquard, César Franck, 1891; E. Destranges, L'œuvre lyrique de C. Franck, 1897; Weingartner, La symphonie après Beethoven; Bayreuth. - César Cui, Histoire de la musique russe; A. Habets, Borodine, 1893; P. d'Alheim, Moussorgski, 1896. La collection des Berühmte Musiker, publiés sous la direction de II. Reimann.

CHAPITRE XIX

LES LETTRES EN FRANCE

De 1870 à nos jours.

La décadence relative que nous avons signalée pour la période de 1847 à 1870 a continué de 1870 jusqu'à nos jours. Il y a lieu de croire que, comme il n'y a eu qu'une grande époque littéraire par siècle depuis la Renaissance, il faudra attendre jusqu'au xx siècle pour revoir la littérature française refleurir d'un plein éclat. En attendant, au témoignage même des étrangers, elle est encore singulièrement vivace et intéressante. Elle n'a pas trouvé de forme nouvelle ni de direction nouvelle. Sauf quelques tentatives que le succès n'a pas complètement couronnées, elle poursuit les mouvements déjà connus. Elle a ses réalistes sous d'autres noms moins clairs, ses romantiques attardés, ses historiens, maîtres des méthodes fixées par leurs illustres prédécesseurs, ses critiques, disciples originaux, mais disciples de Sainte-Beuve et de Taine, ses philosophes idéalistes à la suite des Renouvier ou positivistes à la suite des Comte, etc. Elle compte du reste dans tous les ordres de l'activité intellectuelle des hommes très distingués.

La Poésie. Un poète philosophe appela dès les dernières années de l'Empire l'attention des lecteurs, c'était Sully-Prudhomme. Très original, très personnel, n'appartenant à aucune école, rappelant un peu Lamartine et Musset par le goût d'exprimer ses sensations intimes, mais de moins grande imagination et d'analyse plus subtile et plus profonde, il disait ses 1. Voir ci-dessus, t. XI, p. 678.

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