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puisse lui être imposée. Depuis la réforme de 1832, la clôture avait été étudiée par 14 commissions parlementaires, dont aucune n'avait abouti. Pour l'introduire il fallut l'irritation où plusieurs années d'obstruction irlandaise avaient jeté le Parlement.

Après le vote des lois d'exception, Gladstone continua son ancienne politique de réformes et de sévérité combinées. Il fit voter en août 1881 un nouveau Land act qui donnait aux tenanciers le droit de faire fixer leurs fermages pour quinze ans par des tribunaux spéciaux, et qui leur promettait des subventions pour acheter leurs tenures et devenir propriétaires. Parnell inclinait à l'accepter, mais, pour conserver l'appui de Davitt et des révolutionnaires, il dut s'en tenir au programme de la Ligue « la terre aux paysans ». A mesure que la résistance : augmentait, Gladstone appliquait plus sévèrement les lois de compression. Le 2 février 1881, la liberté provisoire de Davitt était annulée. En septembre, la Ligue agraire réunit à Dublin une convention nationale qui déclara que le seul remède aux maux présents était d'accorder le Home rule à l'Irlande. Gladstone répliqua qu'il maintiendrait à la fois la domination anglaise et le droit de propriété en Irlande : il fit arrêter Parnell et tout l'état-major de la Ligue pour avoir usé d'intimidation; il annonça la dissolution de la Ligue (18 octobre 1881). Toutes ces mesures étaient fort bien accueillies par l'opinion anglaise le ministre ayant annoncé l'arrestation de Parnell pour la première fois dans une grande réunion publique à Chester, la nouvelle souleva de longs applaudissements. Mais l'Irlande était assez bien organisée pour se défendre seule. Parnell avait donné comme mot d'ordre de ne plus payer de fermages avant la fin du régime de compression et la mise en liberté des chefs nationalistes. Les évictions augmentèrent, et se firent par la force armée quand les Irlandais opposaient aux landlords la résistance passive. Dans l'une d'elles, deux femmes furent tuées par la police; on arrêta un pelit garçon pour avoir sifflé; on condamna trois dames à trois et à six mois de prison sous prétexte qu'elles avaient intimidé un landlord en élevant des huttes pour abriler ses tenanciers évincés. L'agitation agraire était continuée par la Ladies land, league fondée par la sœur de

Parnell. Le 2 janvier 1882, dans un grand mecting réuni à Dublin, Parnell reçut pour la première fois le nom bientôt célèbre de « roi sans couronne de l'Irlande ». Le 3, le conseil municipal de Dublin lui accordait le droit de cité, ainsi qu'à un de ses collègues emprisonné.

Le gouvernement aima mieux négocier avec Parnell que de continuer la politique de coercition; il traita avec lui et ses amis dans la prison de Kilmainham, où ils étaient détenus. Le ministère acceptait une loi proposée par un nationaliste irlandais à la Chambre pour faire remise aux cultivateurs des fermages arriérés; les nationalistes s'engageaient à ne plus faire d'obstruction. Ce fut le pacte de Kilmainham. Parnell et ses amis sortirent de prison. Le lord-lieutenant d'Irlande et son secrétaire principal donnèrent leurs démissions, ce qui parut marquer la fin du régime d'exception. Mais le nouveau secrétaire principal, à peine débarqué, fut assassiné en plein jour, à Dublin, dans Phoenix Park, où il se promenait avec le sous-secrétaire de l'ancien gouvernement (6 mai 1882). C'est à ce dernier seul que les assassins en voulaient. Ils appartenaient à la société des <<< Invincibles » section de cette Fraternité républicaine irlandaise qui n'avait jamais accepté les voies parlementaires. Ils échappèrent longtemps aux recherches de la police et ne furent découverts que par les dénonciations d'un d'entre eux, Carey, conseiller municipal de Dublin. Carey, gracié pour prix de sa délation, fut envoyé au Cap sous un faux nom; mais un des Invincibles avait retrouvé sa trace, il le rejoignit et le tua.

Parnell avait rédigé et signé avec Davitt un manifeste pour protester contre l'attentat de Phoenix Park. Mais la convention de Kilmainham n'en fut pas moins sacrifiée. Elle avait été fort mal accueillie dès le début par les conservateurs et par une partie des libéraux. Les ennemis de l'Irlande, nombreux en Angleterre, ajoutèrent foi aux bruits qui représentaient Parnell comme le complice des meurtriers, alors que leur crime était en réalité dirigé contre sa politique. Gladstone annonça immédialement de nouvelles mesures d'exception; il fit voter le Prevention of crime bill, qui mettait l'Irlande pour trois ans sous un régime de rigueur, y établissait des cours criminelles sans

jury et accordait à la police un droit de perquisition sans limites. Parnell recommença son obstruction, rendue plus difficile par l'adoption de la clôture. En Irlande, il réussit à reconstituer la Land league sous le nom d'Irish national league (17 octobre 1882). Il recevait toujours de l'argent d'Amérique. La plupart des anciens fenians restaient attachés à lui, mais les partisans de la « force physique » aux États-Unis rentrèrent en activité. Leur journal, l'Irish World, de New-York, rédigé par Patrick Ford, se mit à recommander l'usage de la dynamite pour effrayer le gouvernement anglais. Les bombes éclatèrent à Glasgow (20 janvier 1883) dans les services de la police, à Londres, puis au London Bridge (1884). Enfin une bombe fut découverte par hasard sous le palais du Parlement (24 janvier 1885) et le même jour une explosion à la Tour de Londres blessa plusieurs enfants. Le ministre fit aggraver les peines portées contre les détenteurs de matières explosibles. Parnell avait été de nouveau accusé par l'opinion anglaise de pactiser avec les gens de la « force physique ». A l'ouverture de la session de 1883, l'ancien secrétaire principal de l'Irlande, Forster, reproduisit cette imputation. Parnell répliqua que c'était un inensonge et désapprouva « les tendances et le programme de Patrick Ford ». L'influence de Parnell sur les Irlandais était alors au plus haut point. Le clergé catholique avait bien condamné le boycottage sur l'ordre de Rome, mais il avait décidé le pape à ne point prendre parti contre Parnell, malgré une démarche du gouvernement anglais. Les Irlandais d'Amérique réunirent 37 000 livres qui furent offertes à Parnell par Davitt dans un banquet, à Dublin. « Voilà, dit Davitt, la réponse du peuple irlandais aux calomnies de M. Forster.» (11 décembre 1883.)

La Réforme électorale. Les deux dernières années du cabinet Gladstone furent occupées surtout par la discussion d'une réforme électorale complémentaire, que les libéraux réclamaient depuis 1867. Elle se fit en deux parties. 1o Les conditions de la franchise (droit du vote) accordée aux boroughs ou bourgs (les anciennes villes) en 1867 furent étendues aux comtés (circonscriptions rurales et villes modernes). Partout il

suffit désormais, pour être électeur, d'occuper, comme locataire ou propriétaire, mais seul, une maison quelconque inscrite au rôle de l'impôt (household franchise) ou de payer, dans une maison qu'on partage avec le propriétaire, un loyer d'au moins 250 francs par an (lodger franchise). Les householders sont avantagés, puisqu'on ne leur demande pas de condition de loyer; il est vrai qu'en Angleterre l'usage d'occuper une petite maison par famille est général dans les classes moyennes. 2o Il fallut ensuite enlever des sièges aux boroughs qui avaient en moyenne un député par 40 000 habitants, pour les donner aux comtés qui n'avaient qu'un député par 78 000 habitants. Cette redistribution fut vivement débattue. Les radicaux voulaient des circonscriptions à peu près égales et taillées d'après la population. Les conservateurs réclamaient le maintien de la tradition; la Chambre des lords arrêta le projet de réforme pendant une année, jusqu'à ce que Gladstone eût fait connaître son plan de redistribution (1884-85). La loi définitive laissa aux 34 boroughs les plus peuplés leur ancienne représentation, élue au scrutin de liste, réduisit 37 boroughs au-dessous de 50 000 habitants, à un seul député, supprima les circonscriptions particulières formées par 105 boroughs au-dessous de 16 000 habitants, et donna les sièges repris aux comtés, qui furent partagés en circonscriptions de 50 000 âmes en moyenne, nommant chacune un représentant. Gladstone ne se contenta pas de redistribuer les sièges, comme on l'avait fait en 1838 et 1867. Il en créa douze nouveaux, ce qui portait le nombre des députés à 670. La réforme fut appelée, d'un nom significatif venu du nationalisme radical: Acte pour la représentation du peuple. Ce n'était pourtant qu'une sorte de compromis. On n'avait pas voulu établir le suffrage universel; si le nombre des électeurs s'élevait à plus de 4 millions, 1800 000 adultes mâles n'avaient pas la franchise c'étaient les fils de famille habitant chez leurs parents, les gens logés en garni, les domestiques, et une partie des ouvriers agricoles; une autre condition encore est désavantageuse pour les ouvriers, celle qui exige pour être inscrit sur les listes électorales douze mois (en réalité dix-huit) de résidence au même endroit. Les propriétaires et en général les personnes aisées peuvent se faire

inscrire comme électeurs dans toutes les circonscriptions où ils se trouvent dans les conditions requises. Le vote plural est possible parce que les élections n'ont pas lieu partout le même. jour. Il est attaqué par les radicaux, qui lui opposent la formule « one man, one vote ». Enfin les partis démocratiques en sont encore aujourd'hui à réclamer l'établissement de l'indemnité parlementaire (qui existe dans les colonies anglaises), et du scrutin de ballottage, car le système du tour unique les empêche de prendre position, par crainte de faire réussir le candidat conservateur. Tout incomplète qu'elle paraisse, la réforme électorale de 1885 est de beaucoup la plus importante qui ait été faite en Angleterre. Le nombre des électeurs a été plus que triplé en Irlande (le nombre des députés restant le même); dans l'ensemble du Royaume-Uni, il a augmenté de 75 pour 100.

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Les droits des femmes. Les femmes n'ont pas encore en Angleterre le droit de voter aux élections parlementaires, malgré les revendications déjà anciennes des féministes et des radicaux. Mais elles volent aux mêmes conditions que les hommes dans toutes les élections municipales, celles des Boards of guardians (assistance publique), des School Boards (1870), des conseils de comté (1888) et de paroisse (1894). Elles sont éligibles aux deux premières de ces assemblées, et des femmes siègent en effet dans la plupart des conseils de l'assistance et des écoles, où elles représentent en général les sectes dissidentes, le radicalisme, parfois le socialisme. Le droit pour les femmes de voter aux élections parlementaires a été adopté en principe par la Chambre des communes en 1886 et en 1897, mais la Chambre n'a pas procédé sur ce point à la troisième lecture après laquelle le sort d'un projet est définitivement réglé. L'égalité civile a été à peu près accordée aux femmes par une série de mesures contemporaines (abolition ou réglementation de la prostitution, droit pour la femme mariée de disposer librement de sa propriété et de ses gains, etc.). Le mouvement pour l'émancipation des femmes est commun à tous les pays anglais. Si le Royaume-Uni a reconnu aux femmes plus de droits que les autres pays européens, plusieurs de ses colonies l'ont beaucoup dépassé sous ce rapport.

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