Page images
PDF
EPUB

monétaire. A partir de 1872, une baisse se manifesta dans le prix du métal blanc par rapport à l'or. Dans la crainte d'être inondés par une monnaie dépréciée, les pays composant l'Union latine durent prendre des mesures pour protéger leur circulation monétaire. En 1874, ils adoptaient le système des contingents pour la frappe des écus de 5 francs; en 1876, la France suspendait entièrement la frappe de ces pièces, et la convention de novembre 1878, qui prorogeait l'Union, consacrait cette mesure. D'autre part, l'étalon d'or se généralisait : l'Allemagne, les États-Unis, les États scandinaves l'adoptèrent presque simultanément. Le métal blanc était donc réduit à servir presque uniquement de monnaie d'appoint. Une opinion se fit. alors jour, qui trouva des défenseurs importants en France et en Angleterre, notamment parmi les représentants des classes agricoles. Ses partisans attribuèrent la baisse des prix à la raréfaction monétaire résultant du rejet de l'argent comme métal étalon. Les partisans du bimétallisme s'agitèrent; sous leur pression, trois conférences monétaires internationales se réunirent à Paris en 1878 et en 1881, puis à Bruxelles en 1892, dans le but d'arriver à une entente, au moins entre les grandes nations commerciales pour remettre l'argent sur le même pied que l'or. Leurs efforts ont été perdus, et malgré l'appui prêté par le gouvernement français aux délégués des États-Unis. en 1892, aucun accord de ce genre n'a pu être conclu. L'Union latine, qui se continue d'année en année par tacite reconduction, est donc depuis 1878 au régime de l'étalon boiteux. Grâce à cette politique, le stock monétaire de la France, bien que comprenant une grande quantité de monnaies d'argent, n'a pas été déprécié, et nous avons pu conserver à nos écus la pleine valeur libératoire. Un recensement effectué en 1897 a permis d'estimer à 6 370 millions de francs la valeur de notre stock de monnaies, dont 4 200 millions en monnaies d'or, 1935 millions en écus de 5 francs, et le reste, soit 240 millions, en monnaies divisionnaires d'argent.

[ocr errors]

Le commerce intérieur. Le trafic commercial intérieur s'est développé rapidement. En 1869, le mouvement des voyageurs sur les chemins de fer était de 111 millions; en 1897, il

-

s'élevait à 374 millions; - celui des marchandises a, de son côté, plus que doublé, passant de 6271 millions de tonnes kilométriques au chiffre de 13 790 millions. Cet essor était grandement facilité par l'abaissement des frets. Le tarif moyen par voyageur et par kilomètre tombait de 5 cent. 44 en 1869, à 3 cent. 77 en 1897, et celui par tonne kilométrique, de 6 cent. à 5 cent. 044.

Le mouvement sur les rivières et canaux, sur lesquels les droits de navigation ont été complètement abolis en 1880, a, pendant le même temps, plus que doublé, passant de 2 milliards de tonnes à 4 366 millions.

Le commerce extérieur. Les chiffres du commerce extérieur ne témoignent pas d'un élan aussi rapide que celui constaté pendant la période précédente. La moyenne du commerce spécial, importation et exportation réunies, qui était de 6700 millions pour la période de 1867-1876, ne s'est élevé qu'à 7500 millions pour celle de 1887-1896, et si en 1898 il a presque atteint 8 milliards, c'est qu'une mauvaise récolte a nécessité une importation extraordinaire de céréales. Néanmoins, en lisant ces chiffres il ne faut pas oublier que, par suite de la baisse des prix, ces valeurs cachent des quantités très différentes. Dans la période 1867-1876, l'importation des matières nécessaires à l'industrie avait été de 2 milliards de francs en moyenne; en 1898, elle s'est élevée à 4300 millions; et la valeur des produits fabriqués exportés passait de 1700 à 1900 millions de francs.

[blocks in formation]

Cédant à la fois à des raisons politiques et à des raisons économiques, la France a travaillé depuis une vingtaine d'années à reconstruire son empire colonial. Elle espérait y trouver un emploi pour ses capitaux, et des débouchés pour les produits de son industrie. L'œuvre accomplie a été merveilleuse. Nos territoires du Sénégal ont été reliés au Niger, et nous avons occupé la plus grande partie du Soudan, en même temps que

nous avons créé la colonie du Congo français. En 1881, le protectorat de la Tunisie venait compléter notre grande possession algérienne; deux ans après, l'Annam et le Tonkin s'ajoutaient en Indo-Chine à notre colonie cochinchinoise; enfin, en 1895, nous annexions Madagascar dans l'océan Indien.

Notre domaine colonial, si peu important encore en 1870, a aujourd'hui une étendue de 4 millions 1/2 de kilomètres carrés, et contient plus de 50 millions d'habitants. L'œuvre de conquête est maintenant achevée; nous abordons celle, plus difficile, de la mise en valeur. Après bien des tâtonnements, il semble qu'on soit enfin arrivé à trouver une méthode on se propose de s'attacher d'abord au développement agricole de ces possessions coloniales, afin d'enrichir ainsi à la fois les colons européens qui vont s'y établir et les indigènes. Ce sera le moyen de créer pour nos industries une clientèle dont les besoins augmenteront avec le bien-être; plus tard, on s'occupera de développer les ressources industrielles des colonies. Cependant, par une contradiction étrange, après avoir conquis des colonies, il semble que nous craignions de les voir prospérer agriculteurs et industriels redoutent la concurrence que certains produits coloniaux pourraient venir faire aux leurs sur le marché métropolitain qu'ils entendent se réserver, et, par leur volonté de fermer les marchés des colonies à leurs concurrents étrangers, ils entravent, d'autre part, les relations des colonies avec leurs marchés naturels. Il faut espérer que cet esprit étroit se modifiera avec le temps les seuls véritables avantages qu'une métropole peut ambitionner de tirer de ses colonies, ne doivent être que des résultats indirects de leur prompt et complet développement.

[blocks in formation]

Les salaires. La baisse des prix dont la continuité a obligé les agriculteurs et les industriels à des efforts nouveaux pour maintenir le chiffre de leurs bénéfices, a été entièrement à l'avantage des classes ouvrières. Loin de baisser comme les

prix, en effet, les salaires des ouvriers de l'industrie, de même que ceux des ouvriers agricoles, ont continué leur mouvement ascendant, commencé pendant la période précédente. Suivant une enquête récente de l'Office du travail, on peut estimer à 40 0/0 environ, dans l'ensemble, l'augmentation moyenne du salaire nominal des ouvriers, et à 60 0/0 l'augmentation moyenne de celui des ouvrières, de 1860-1865 à 1891-1893. Cette augmentation a évidemment varié suivant les métiers et les régions, et ne s'est pas effectuée partout du même pas. Mais, chose importante, tandis que pendant les années antérieures une grande partie de l'élévation des salaires avait été neutralisée par une élévation correspondante des prix, l'augmentation du salaire réel, dans ces vingt dernières années, correspond sensiblement à celle du salaire nominal.

Le coût de la vie n'a pas beaucoup varié; il paraît même avoir plutôt baissé qu'augmenté. Deux produits seuls sont en hausse la viande et les produits de la laiterie, et le logement; ce dernier, dans les grandes villes, où l'affluence de population est de plus en plus grande, est en élévation très marquée; tous les autres articles de nourriture, de vêtement, d'éclairage, de chauffage, sont en baisse. On estimait que, à Paris, le chiffre des dépenses pour une même consommation, comprenant la nourriture, le chauffage et l'éclairage, qui eût été de 1295 francs en 1864-1873, ne s'était élevé qu'à 1353 francs en 1884-1893; ce serait une augmentation de 5 0/0 à peine.

Les classes ouvrières ont donc bénéficié dans l'ensemble d'une amélioration réelle de leur sort pendant ce dernier quart de siècle. Mais il ne faut pas se borner à considérer la dépense nécessitée à deux époques différentes pour la satisfaction des besoins primordiaux. Il faut également se rendre compte des modifications survenues dans la nature des besoins; or, ceux-ci ont singulièrement augmenté pendant ce court espace de temps. De nouveaux besoins sont nés; la classe ouvrière, de même que les autres classes de la société, et à aussi juste titre, règle maintenant sa vie sur un type plus élevé.

La même enquête de l'Office du travail nous montre que concurremment avec cette élévation des salaires la durée du

travail est allée en diminuant. La moyenne de la longueur de la journée réelle du travail ne serait plus que de dix heures et demie, et les deux tiers des journées varient de dix heures à onze heures. Les journées les moins longues se rencontrent dans les exploitations minières, métallurgiques ou dans les grandes verreries, où la journée normale est inférieure ou égale à neuf heures. Les plus longues se font dans les industries textiles, où on signale encore des journées de douze heures.

La législation ouvrière. Ces heureux résultats n'ont été en grande partie acquis qu'au prix de luttes parfois fort vives, toujours douloureuses, entre les ouvriers et les patrons. L'arme des premiers a été la grève, arme légitime, mais dangereuse, aussi bien pour les attaquants que pour les attaqués, et dont les ouvriers ont fait parfois un usage irréfléchi. Le nombre des grèves a surtout augmenté depuis la crise de 1882. En 1898, il a été de 368, affectant plus de 82000 ouvriers, et entraînant 1 216 306 jours de chômage. Plus de la moitié se sont terminées par la réussite des réclamations ouvrières ou par une transaction; 60 0/0 d'entre elles avaient pour but une demande d'augmentation de salaires ou la résistance à l'annonce de leur diminution.

En 1884, la loi créant les syndicats professionnels a enfin accordé aux ouvriers le droit d'association, qu'ils réclamaient depuis si longtemps, comme le complément nécessaire du droit de coalition. Les ouvriers ont profité largement de cette liberté nouvelle en 1897, on complait 2316 syndicats ouvriers, réunissant 431 000 membres. Les syndicats patronaux étaient au nombre de 1823 avec 159 000 membres. On comptait en outre 170 syndicats mixtes groupant 32 000 patrons et ouvriers. Cette loi, en permettant aux ouvriers de se grouper d'une manière permanente, leur a donné la possibilité de mieux connaître la nature de leurs intérêts professionnels et d'agir avec plus de force dans la revendication de leurs droits. Il est à déplorer, malheureusement, que trop souvent les syndicats soient devenus de véritables instruments entre les mains de simples politiciens, professionnels de la grève, qui s'en sont servis pour se

« PreviousContinue »