Page images
PDF
EPUB

d'être appliqué dans le Sud-Ouest africain et l'Afrique Orientale, devenues des colonies de la couronne. De même, dans la conception diplomatique de la politique coloniale de l'Allemagne on remarque plus d'une contradiction apparente. Souvent très agressifs envers les Anglais ces derniers étaient eux-mêmes furieux de voir une concurrence surgir dans le domaine colonial -les Allemands furent toujours contenus en réalité par un gouvernement qui disait avec le prince de Bismarck: « L'Angletere est plus importante pour nous que Zanzibar et toute l'Afrique orientale », et qui se gardait bien de compromettre, par des ambitions trop exigeantes, opposées à celles des Français, le travail de rapprochement avec la France qui est devenu, dans ces dernières années, un des soucis les plus constants de la politique de l'Empire allemand.

L'Afrique Orientale allemande. - La colonie allemande dont l'histoire a fait le plus de bruit est l'Afrique Orientale. Elle est pour ainsi dire représentative de toute la politique coloniale de l'Allemagne : c'est elle qui a été le champ d'expérience des différents systèmes, c'est surtout à propos de son développement que s'est affirmée la rivalité de l'Allemagne et de l'Angleterre. Pour faire un historique succinct des entreprises allemandes en Afrique, il suffit donc d'étudier le passé de cette colonie, et, ce travail fait, on n'a plus qu'à dire quelques mots des autres pour donner une idée de l'ensemble.

En 1884 le Dr Peters, directeur de la Société allemande de colonisation, aidé puissamment par l'explorateur Gérard Rohlfs, devenu consul général d'Allemagne à Zanzibar, s'enfonçait dans l'intérieur de l'Afrique et signait avec les chefs de l'Ousagara et des pays voisins une série de traités de protectorat. Immédiatement il les rapporta à Berlin. Dès le 12 février 1885 la Compagnie allemande de l'Afrique Orientale était fondée; elle recevait, le 27, sa charte de suzeraineté : la colonie allemande de l'Est africain naissait. Presque aussitôt un des agents de la compagnie conclut pour elle des traités plus au nord, sur 1 800 kilomètres de côtes, entre la rivière Tana et le cap Gardafui. Le sultanat de Vitou était la partie la plus riche de ce domaine.

On s'émut en Angleterre, où on considérait le sultanat de

Zanzibar comme relevant virtuellement de l'Empire britannique. L'indépendance du sultan avait bien été garantie par une déclaration franco-anglaise de 1862, mais l'influence anglaise dominait à Zanzibar; un officier anglais commandail l'armée zanzibarite, un autre sujet de la reine était conseiller du sultan. Sur la terre ferme, dans le lointain intérieur, les efforts des missionnaires écossais, auxquels Livingstone avait tracé la voie, semblaient réserver la région des grands lacs à la domination future de la Grande-Bretagne. Aussi les exploits de Peters et de ses émules firent-ils scandale en Angleterre. Le cabinet anglais réclama au nom du sultan de Zanzibar, tandis que ce dernier envoyait dans l'Ousagara, pour y établir son autorité, une expédition commandée par un officier britannique. L'Allemagne répondit que le sultan n'occupait pas les territoires en litige conformément aux prescriptions de l'acte de Berlin et que, par conséquent, les acquisitions faites au nom de la Compagnie allemande par le Dr Peters étaient valables. Le ministère Gladstone ne voulut pas pousser les choses à l'extrême il se contenta de déclarer qu'il y avait place pour deux dans l'Est africain et on fonda en Angleterre l'Imperial British East Africa Company pour faire concurrence à la compagnie allemande. La nouvelle venue ne tarda pas à annexer un certain nombre de territoires, du moins théoriquement, par des traités nègres, et bientôt les protectorats anglais et les protectorats allemands s'enchevêtrèrent, surtout vers Mombaze et le nord.

Cette situation exigeait une liquidation qui devait être d'autant plus aisée que, nous l'avons vu, le prince de Bismarck ne voulait pas se brouiller avec l'Angleterre. Son zèle colonial était fort tiède; il se laissait entraîner par des hommes ardents comme le Dr Peters, et surtout par l'opinion publique qui les appuyait, mais il ne les suivait que de loin et ne ratifiait qu'une partie des résultats de leurs efforts. Son scepticisme en matière coloniale éclatait parfois en des sorties originales. Un jour il déclarait que les colonies seraient pour l'Allemagne ce qu'est l'hermine pour certains nobles polonais qui n'ont pas de chemise. Parlant de la nécessité de conserver l'œuvre du Dr Peters, il

se contenta de dire au Reichstag: « Il se pourrait que dans trente ans on se repentît d'avoir dédaigné le titre de possession qui nous est aujourd'hui offert.... il faut au moins s'assurer que ces pays ne seront pas occupés par d'autres puissances ». Et pour les conserver, sans toutefois prétendre à une domination trop étendue, il s'arrangea avec l'Angleterre. L'Allemagne commença par délimiter, de concert avec la France et l'Angleterre, signataires du traité de 1862, les possessions du sultan de Zanzibar, qui furent bornées (déclaration du 7 juillet 1886) aux îles et à une bande littorale de dix milles d'épaisseur; puis elle partagea avec l'Angleterre, par un arrangement du 1er novembre 1886, le pays en arrière de cette étroite zone côtière. La frontière des deux sphères d'influence était déterminée par une ligne partant de la côte, contournant au nord la base du Kilimandjaro et aboutissant à la rive orientale du lac Victoria, au point où elle est coupée par le premier degré de latitude sud. Les pays du sud étaient réservés à l'action de l'Allemagne, ceux du nord à l'action de l'Angleterre, mais de ce côté de la frontière l'Allemagne conservait, comme une enclave dans le territoire britannique, le sultanat de Vitou.

La révolte indigène. Transformation de la colonie. -Sans doute cette délimitation ne s'étendait pas assez loin dans l'intérieur pour écarter toute difficulté à venir. Les Allemands désiraient atteindre la rive orientale du lac Tanganyka et la frontière de l'État du Congo. Mais, en dehors de quelques polémiques de presse, la rivalité de l'Angleterre et de l'Allemagne s'apaisa pour un temps. Les Allemands étaient en proie à de graves difficultés sur leur territoire, et bientôt l'Angleterre, en ressentant le contre-coup jusque dans ses possessions voisines, fut amenée à collaborer avec sa rivale pour y mettre fin. Le 28 avril 1888 la compagnie allemande s'était fait concéder par le sultan de Zanzibar l'administration de la partie de ses domaines de la côte de terre ferme qui confine au territoire allemand. Les indigènes furent exaspérés par ce changement d'autorité et les Allemands ne firent rien pour le leur rendre léger. On adopta des mesures fiscales odieuses aux traitants arabes. On introduisit dans le pays une administration minutieuse que ne

comportait pas son état social, et quelque temps après le prince de Bismarck dut reconnaître devant le Reichstag que la compagnie avait envoyé dans l'Afrique orientale des employés

comme s'il s'était agi d'administrer un district de Poméranie ». Tout le pays se souleva et, au commencement d'octobre, les Allemands chassés de partout ne gardaient plus que Bagamoyo et Dar-es-Salam. Le gouvernement allemand s'occupa d'établir le blocus de la côte pour empêcher les indigènes de recevoir des armes; il proposa à l'Angleterre d'y prendre part. Il représenta à cette puissance que le soulèvement était causé surtout par des négriers troublés dans leur commerce; mais elle se laissa bien moins convaincre par des arguments philanthropiques que par peur de voir la révolte s'étendre au territoire. britannique et surtout par le sentiment des inconvénients qu'il y aurait eu à laisser l'Allemagne agir seule sur la côte du Zanguébar. Le 5 novembre 1888 un blocus en commun fut proclamé; la France et l'Italie y adhérèrent pour assurer la visite des navires battant leur pavillon.

Mais il devint bientôt évident pour les Allemands que des mesures purement maritimes ne seraient pas suffisantes. Un chef arabe nommé Bouchiri était parvenu à se rendre maître de toute la côte. Le moment arrivait où il ne serait plus resté un seul Européen dans l'Afrique Orientale. Cette situation obligea le gouvernement impérial, rompant avec le programme de 1884, à intervenir directement dans les territoires de la compagnie. Un crédit de 2 millions de marks fut demandé au Reichstag pour couvrir les frais de l'expédition, et il fut voté le 26 janvier 1889, avec le concours du centre catholique, remué par la croisade du cardinal Lavigerie contre les horreurs de la traite. M. de Wissmann, le célèbre explorateur, fut envoyé dans l'Afrique orientale avec le titre de commissaire impérial. Il eut bientôt entre les mains une troupe noire de 1100 hommes, avec laquelle il pacifia le littoral. Au cours de l'automne 1889 il eut la chance de s'emparer de Bouchiri, qui fut exécuté. Il fallut cependant voter en novembre un nouveau crédit de 1 950 000 marks pour couvrir les frais de la campagne qui mit fin à la grosse révolte, mais pas à l'agitation du pays,

surtout de l'intérieur où la rébellion a continué à l'état endémique et sporadique jusqu'à ces derniers temps.

Cette intervention directe de l'Empire dans la principale de ses colonies marque d'ailleurs un important tournant dans l'histoire coloniale de l'Allemagne la fin des pouvoirs régaliens des compagnies contrairement au programme formulé en 1884. Le premier soin de M. de Wissmann, en arrivant dans l'Afrique Orientale, avait été de déposer les agents de la compagnie et de remplacer son drapeau par celui de l'Empire. Il ne fut jamais relevé. L'Afrique Orientale allemande devint une colonie de la couronne; à partir du 1er avril 1891, et après une période de transition, elle fut administrée comme telle. D'ailleurs l'Empire se décidait à cette époque à s'occuper directement et de plus près de son domaine d'outre-mer. Une compagnie de navigation reçut une subvention de 900 000 marks pour établir un service régulier de vapeurs entre Hambourg et les ports de l'Afrique Orientale. Le 1er avril 1890 un Office colonial spécial fut créé au ministère des Affaires étrangères, et au mois d'octobre de la même année se réunissait pour la première fois le Conseil colonial, assemblée consultative composée de fonctionnaires et de notabilités coloniales désignées par le gouvernement.

Le Traité du 1er juillet 1890. En même temps presque qu'intervenaient ces grands changements dans les principes de l'administration des colonies, la rivalité territoriale de l'Angleterre et de l'Allemagne, qui avait recommencé à se manifester, et avec beaucoup d'aigreur, dans l'Est africain, était définitivement écartée par le traité du 1 juillet 1890. On a vu que l'arrangement du 1er novembre 1886 n'avait poussé la frontière anglo-allemande que jusqu'au lac Victoria. Au delà de ce lac, entre sa côte occidentale et la frontière de l'État indépendant du Congo, s'ouvrait une large brèche par laquelle les coloniaux allemands pouvaient espérer atteindre les pays de la haute vallée du Nil, surtout l'Ouganda, et par laquelle également les Anglais pouvaient essayer de relier leurs territoires du nord et du sud et réaliser ainsi la formule rhodesienne : «Du Cap au Caire ». Les visées des coloniaux allemands se manifestèrent par le voyage du D' Peters, qui,

« PreviousContinue »