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aux ouvriers agricoles en leur donnant des facilités pour le paiement. Ces demandes ont abouti à deux mesures : 1o en 1887, on a autorisé les administrations locales à acheter des terres pour les louer en petits lots (allottments); c'était surtout un moyen de donner un jardinet aux ouvriers en luttant contre la tendance des landlords de Grande-Bretagne, qui ne veulent louer qu'à de grands fermiers; -2° en 1892, on a permis aux conseils de comtés d'acheter du terrain pour le revendre en petites tenures (small holdings), de manière à créer une classe de paysans propriétaires. La loi de 1894, qui institue les conseils de paroisse, les autorise à réclamer des allottments ou des small holdings au conseil de comté. L'esprit de toutes ces lois est de faire intervenir l'État pour créer la petite propriété aux dépens de la grande c'est le programme radical. Il a pour contre-partie le programme de la nationalisation du sol, proposé en Angleterre dès la fin du XVIIe siècle et repris en 1880 par le naturaliste A.-R. Wallace. M. Wallace a écrit un volume dans lequel il demande que les terres soient rachetées par l'État aux landlords et concédées aux individus suivant leurs besoins, à condition de les travailler directement et pour une durée limitée. Ses idées sont représentées par la Ligue pour la nationalisation du sol (1882). Une autre société, la Ligue pour la restitution de la terre (1884), s'inspire des théories de l'Américain Henry George. George veut arriver au même résultat que M. Wallace, mais par un procédé plus radical: l'État obligerait les propriétaires à lui abandonner leurs terres sans indemnités en les frappant d'un impôt unique équivalant exactement au revenu foncier. L'ouvrage de George, Progress and Poverty, publié en 1879, eut en Grande-Bretagne, comme dans tous les pays anglais, un succès prodigieux. On s'accorde à reconnaître qu'il a orienté vers le collectivisme plusieurs des leaders du socialisme contemporain.

George considérait la nationalisation du sol comme une panacée qui guérirait toutes les misères sociales. Il n'était pas opposé au capital et considérait le salariat comme une nécessité. Le collectivisme et le programme de la lutte de classes furent propagés en Angleterre par un disciple de Marx, M. Hyndman, qui fonda la Fédération socialiste démocratique (1883), le pre

mier organisé des partis socialistes contemporains en Angleterre. La Société fabienne, fondée peu de temps après avec un programme socialiste modéré, par des gens qui ne voulaient pas entrer en lutte contre le parti libéral, est surtout un groupe d'études qui compte parmi ses membres des publicistes et des hommes politiques de réputation. Pendant longtemps l'agitation socialiste ne se fit guère qu'à Londres. Les propagandistes profitèrent d'une crise industrielle et commerciale qui avait commencé en 1883 et qui se prolongea jusqu'en 1888. Pendant les années 1886 et 1887, il y eut des manifestations d'ouvriers sans travail auxquelles se mèlèrent les membres de la Fédération. La plus dramatique fut celle du 13 novembre 1887 où les socialistes, les sans-travail et les Irlandais essayèrent de tenir un meeting monstre sur la place de Trafalgar Square que le gouvernement conservateur avait interdite aux réunions publiques. Ils furent repoussés par la police et par les soldats; plusieurs furent blessés, d'autres arrêtés et condamnés à la prison. A cette époque les socialistes étaient encore très peu nombreux; ils n'avaient aucune influence dans les élections, ils n'espéraient pas arriver à leur but par la conquête des pouvoirs publics. Les syndicats ouvriers étaient indifférents et parfois hostiles à leur propagande.

Les trade-unions

Le nouveau trade-unionisme. s'étaient constituées, comme on l'a vu, avant la renaissance du socialisme en Grande-Bretagne. Elles avaient pris une attitude pacifique et se bornaient à réclamer des améliorations de détail dans la société actuelle; en même temps que des associations destinées à marchander les conditions de travail avec les patrons, elles étaient des sociétés d'assurance et de secours mutuels qui demandaient à leurs membres des cotisations élevées (en moyenne 1 fr. 25 par semaine); aussi ne pouvaient-elles se recruter que parmi les ouvriers qualifiés; les principales d'entre elles étaient les différentes unions des mineurs, celles des mécaniciens, des constructeurs de navires, des fileurs de coton. Les ouvriers non qualifiés, c'est-à-dire les manœuvres, n'étaient point admis dans les anciennes unions parce qu'ils n'étaient pas en état de payer des cotisations élevées et régu

pas

lières. Ainsi le syndicat des maçons n'admettait pas les gâcheurs de plâtre, celui des travailleurs de la voie ferrée n'admettait les hommes d'équipe, ceux des fileurs et des mineurs n'admettaient pas les travailleurs auxiliaires. Circonscrit aux ouvriers qualifiés, le mouvement syndical avait fait des progrès constants depuis la législation de 1875. Vers 1889 l'Angleterre comptait plus d'un million d'ouvriers syndiqués. Plusieurs syndicats s'étaient constitués en fédérations qui essayaient d'englober tous les gens du même métier dans le Royaume-Uni. L'organisation commune était toujours celle qui avait été constituée en 1888. Chaque année, un Congrès annuel réunit des délégués de tous les syndicats dans une ville industrielle. Il est reçu, comme pourrait l'être un congrès d'industriels ou de négociants, par la municipalité et par les personnages notables de la cité et des environs; le congrès délibère sur un ordre du jour préparé par le comité parlementaire de l'année précédente et il renouvelle ce comité pour un an; en général les mêmes commissaires sont réélus, et parmi eux se trouvent les principaux des labour members ou députés ouvriers. Vers 1889, les personnages, vieillis dans le trade-unionisme, étaient habitués aux anciennes méthodes, aux théories d'autrefois; ils représentaient donc l'élément conservateur hostile aux doctrines socialistes et à l'intervention de l'État. Par contre beaucoup de syndiqués plus jeunes avaient été touchés par la propagande des nationalisateurs du sol, et même des socialistes; ils apportaient des propositions révolutionnaires que les autorités du syndicalisme faisaient rejeter. C'est ainsi que les congrès avaient repoussé en 1875 la question du travail aux pièces, en 1882 et 1883 des vœux en faveur du suffrage universel: le principe de la nationalisation du sol, présenté plusieurs années de suite aux Congrès, ne fut adopté qu'en 1888. C'était le premier succès des syndicats à tendances socialistes.

Leurs forces furent bientôt augmentées par l'organisation des ouvriers non qualifiés, l'un des faits les plus importants de l'histoire sociale de l'Angleterre contemporaine. En 1889, après une grève monstre, les ouvriers des docks de Londres fondèrent un syndicat sous la conduite de MM. John Burns et Tom Mann,

deux membres socialistes du syndicat des mécaniciens; les employés du gaz s'étaient déjà organisés sur l'initiative d'un des leurs, William Thorne, membre de la Fédération socialiste démocratique. Ce fut bientôt le tour des dockers des autres ports, des matelots et chauffeurs du commerce, etc. Pendant une année il y eut parmi les manœuvres de tout genre une fièvre d'organisation. Les nouveaux syndicats, composés de gens qui touchent des salaires fort irréguliers, ne peuvent entretenir des caisses de chômage, de secours mutuels comme les anciennes unions. Ils décident de n'avoir qu'une caisse de grève, et par conséquent tout leur effort se porte vers la lutte contre les patrons. Avec de pareilles dispositions imposées par les circonstances, la propagande socialiste est facilement accueillie. Dès que les représentants des nouvelles unions sont reçus dans les Congrès annuels, l'ancienne politique est défaite. Le congrès de 1890 adopte un vou en faveur d'une loi pour établir la journée de huit heures, celui de Norwich (1894) vote une résolution en faveur de la nationalisation du sol (déjà votée en 1888) et des instruments de production (idée collectiviste nouvelle). La majorité du comité parlementaire se décida à faire une sorte de coup d'État et refusa de reconnaître comme délégués ceux qui avaient cessé d'exercer le métier qu'ils représentaient. A la suite de cette mesure, le congrès de Cardiff (1895) est revenu sur la dernière partie du vole de 1894. Mais le congrès d'Édimbourg (1896) a adopté pour le sol, les mines, les chemins de fer le principe de la nationalisation, et, pour certaines entreprises industrielles, le principe du socialisme municipal. Il faut remarquer en outre que les différents congrès réclament de plus en plus le vote de lois ouvrières et l'intervention de l'État ou des corps locaux. Le temps est passé où les chefs de syndicats disaient Moins l'ouvrier a affaire à la loi, mieux cela vaut pour lui ». Dans les trade-unions, comme partout en Angleterre, le laissez-faire a cédé devant l'idée d'intervention des pouvoirs publics et d'obligation légale; la transformation devient de plus en plus apparente à mesure que l'ancien personnel disparaît el fait place à des gens animés de l'esprit nouveau.

Les syndicats semblent aussi décidés à prendre part à la vie

politique d'une façon plus active; on a proposé aux congrès des trade-unions d'organiser une véritable Trade-Federation, c'està-dire un parti nouveau comprenant toutes les organisations ouvrières. Le congrès de Belfast (1893) a décidé en principe la création d'une caisse destinée à faire élire des labour members partisans de l'appropriation collective des moyens de production. Ce serait une sorte de parti de classe, au lieu des labour members isolés du mouvement corporatif général, dépendant uniquement pour leur programme de leur circonscription et siégeant à la Chambre avec les radicaux à la gauche du parti libéral. Mais l'organisation proposée est toujours à l'état de projet; le congrès de 1898 a dû se séparer prématurément à la suite de l'incendie de son local, sans avoir pu discuter à fond la Trade-Federation et la question des labour members. La lutte de classes n'a donc été portée sur le terrain électoral que par la Fédération socialiste démocratique et par le Parti ouvrier indépendant fondé en 1893. Ni l'un ni l'autre n'ont pu faire passer un de leurs candidats à la Chambre des communes. Deux socialistes avaient été élus (indépendamment de toute organisation) en 1875. L'un, John Burns, est devenu un radical; l'autre, Keir Hardie, ancien mineur et leader actuel du parti indépendant, a été battu en 1895. La Fédération a conservé les doctrines et la tactique du parti socialiste allemand. Le Parti ouvrier, plus large et plus sentimental, a recruté une partie de ses membres parmi les socialistes chrétiens, les philanthropes, les salutistes, et semble en voie de progrès à cause des concessions qu'il a faites à l'opinion anglaise. En général, le socialisme anglais (sauf la Fédération et une partie des Fabiens) est pénétré d'humanitarisme religieux et ressemble beaucoup aux socialismes continentaux d'avant 1848.

VI. La coalition du Home Rule; Gladstone, puis Roseberry (1892-95).

Aux élections de juillet 1892, le parti libéral eut une majorité assez faible, grâce au pays de Galles, à l'Écosse et à l'Ir

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