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il fût resté sur la défensive derrière la Loire, en maintenant le prince Charles avec des troupes qui auraient gagné tous les jours en nombre et en discipline. Au moment favorable, cette armée aurait marché à l'ennemi avec d'autant plus de chances de succès qu'elle avait déjà été victorieuse à Coulmiers, et qu'elle était pleine de confiance en son général.

L'impatience nous a gagnés, et nous avons épuisé en efforts partiels et stériles des ressources qui eussent pu sauver le pays.

Le tiers de nos départements a été ravagé systématiquement, nos villes et nos campagnes ont été pillées, notre dette se trouve augmentée de plusieurs milliards, et nous avons dû céder deux provinces, dont le patriotisme est, grâce à Dieu, assez élevé pour attendre l'heure de la revendication.

Quel parti allons-nous prendre? Ceux qui nous craignent, et parmi eux il faut compter nos vainqueurs d'hier, - ceux qui se font toujours les courtisans de la fortune, et enfin, parmi nous, les timides, déclarent que le rôle de la France est terminé, et que nous devons chercher dans l'industrie et dans les arts la compensation et l'oubli de nos désastres. Nous vivrions ainsi au jour le jour, pendant que la Prusse accomplirait son programme. Après avoir absorbé ou vassalisé le Danemark, la Hollande et la Belgique, elle appliquerait à l'Autriche le trop fameux principe des nationalités, en lui enlevant ses provinces allemandes et en abandonnant le reste, au nom du panslavisme, à la

Russie, son alliée du moment. Ce jour-là, l'Europe aura reculé de plusieurs siècles dans la voie du progrès et de la liberté. — La France se trouvera menacée dans son indépendance; elle voudra lutter, mais il sera trop tard.

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Revenons donc à nos anciennes et vraies traditions politiques. Ne nous désinteressons pas des affaires générales : nous isoler serait plus qu'une abdication, ce serait un suicide. — L'acharnement de nos ennemis à profiter de la victoire, à accumuler des barrières entre eux et nous, prouve combien ils nous craignent. Ayons foi dans l'avenir et ne nous laissons pas influencer par les timides qui, sous prétexte de nous sauver, nous mèneraient sûrement à notre ruine. Nous avons subi de grands désastres. A Wissembourg, à Reischoffen et à Sedan, l'Allemagne nous a vaincus, mais nous avons lutté un contre trois. A Borny, à Gravelotte, à Mars-laTour, nous avons gardé nos positions, quoique bien inférieurs en nombre. Les succès de l'armée prussienne n'ont commencé que du jour où elle s'est trouvée vis-à-vis de populations désarmées, de conscrits qui n'avaient jamais tiré un coup de fusil, et encore les a-t-elle chèrement achetés, et encore a-t-elle été battue à Coulmiers, à Bapaume. En 1806, après Iéna et Auerstaedt, où nous avons vaincu, un contre deux, l'armée qui passait pour la plus belle de l'Europe, - notre cavalerie s'est emparée au galop de presque toutes les places fortes de la Prusse. Elles se sont rendues à la pre

mière sommation, sans attendre la menace d'un bombardement; elles n'ont pas, comme les nôtres, supporté héroïquement l'incendie, la faim et les privations de toute espèce.

Réorganisons donc notre armée et sachons attendre. Ne cherchons pas d'alliances, elles viendront à nous quand nous aurons repris notre place. Les États secondaires de l'Europe ne voient de salut qu'en nous. - Nous avons signé un traité; nous le respecterons, quelque douloureux qu'ait été le sacrifice notre honneur y est engagé. Mais si un jour, comptant sur des succès faciles, la Prusse cherche à étendre sa domination sur des voisins plus faibles, elle nous trouvera debout, et nous marcherons contre elle, pleins de confiance dans notre droit, heureux de pouvoir réparer les désastres où nous ont jetés une organisation militaire déplorable et une politique d'expédients.

Nous nous trouvons aujourd'hui dans des conditions analogues à celles de nos pères après Rosbach. Le chevalier de Guibert, et à sa suite un grand nombre d'officiers, ne voyaient le salut de l'armée française que dans la copie servile des institutions militaires du grand Frédéric. Le soldat ne devait plus être qu'une machine, dressée à charger et à décharger son arme à commandement. On faisait ainsi abstraction de son entrain, de son intelligence, de son âme. Heureusement les officiers, qui vivaient journellement avec le soldat, avaient compris que l'avenir de notre armée se trouvait

dans une tout autre tactique. Le chevalier de Follard avait posé ce principe, que la force de l'infanterie ne résidait pas seulement dans ses feux, mais aussi dans la baïonnette. Le maréchal de Broglie se fit l'apôtre de cette nouvelle théorie, qui fut glorieusement pratiquée pendant les guerres de la révolution et de l'empire; c'est à elle que nous avons dù en grande partie nos succès. La grande faute tactique que nous avons commise pendant cette dernière campagne a été de nous exagérer la puissance des nouvelles armes. L'infanterie a été le plus souvent mise en position à 2,000 mètres de l'ennemi, là où notre artillerie et notre mousqueterie étaient impuissantes pendant que l'artillerie prussienne faisait dans nos rangs les plus grands ravages. Pendant les guerres du premier empire, notre artillerie fut presque toujours inférieure en portée et en calibre à celle de nos adversaires; on y remédiait en portant résolument nos soldats en avant; l'artillerie, se rapprochant assez de l'ennemi, pouvait profiter des grands avantages que lui donnaient la légèreté et la mobilité de ses pièces. Si nous avions agi de même, si nous avions suivi la même tactique qu'en Crimée et en Italie, les premières armées allemandes auraient été écrasées dans le premier choc, et nous aurions eu le temps de mettre notre armée sur un pied convenable si la guerre avait continué. Conservons donc nos anciennes traditions, conservons le plus possible d'institutions qui ont fixé la victoire sous nos drapeaux pendant si longtemps.

La loi de 1832 sur le recrutement a été acceptée par les populations parce qu'elle réserve les droits si légitimes de la veuve, du père infirme et de l'orphelin. Respectons ce droit acquis, tout en faisant plier la loi à toutes les exigences de notre situation nouvelle. Admettons le service obligatoire, considérons comme sacré le devoir de tout Français de marcher à la frontière lorsque le pays est menacé; mais admettons aussi des tempéraments qui permettent aux jeunes gens qui se destinent aux carrières libérales ou à l'industrie de ne pas négliger leurs études. Il ne faut pas, en un mot, que le niveau moral et intellectuel du pays puisse descendre avec des institutions incompatibles avec nos mœurs et nos idées. Par suite des chemins de fer, la mobilisation des armées modernes doit être pour ainsi dire instantanée. Cherchons à obtenir ce résultat sans employer un mode de recrutement qui détruirait l'esprit d'unité qui fait la force de notre pays. Notre organisation régimentaire nous a fait triompher de bien des obstacles sur les champs de bataille; elle a aidé à nos succès depuis 1792. Conservons-la dans ses parties essentielles et n'apportons de réformes que dans les dépôts, dont la constitution peut être améliorée, grâce aux conditions nouvelles que nous créent le développement de l'industrie et la facilité des communications. Ne nous calomnions pas; les différents rouages de l'armée offrent les plus grandes garanties comme bases d'instruction. Ce qui nous a manqué, c'est

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