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Conclusions.

Après avoir résumé, parfois en un grand nombre de pages, et pour mon seul plaisir personnel, chacun des travaux historiques publiés par le Comité d'Études, j'ai été amené, pour la rédaction de cet article, à réduire chaque sujet à quelques paragraphes essentiels, parfois même à la sèche énumération d'une ligne de catalogue. Il serait donc vain de penser trouver dans cette courte énumération le travail d'un commentateur ou d'un historien, encore moins celui d'un critique. Il s'agissait tout simplement de remettre ici en mémoire toute une floraison d'études désintéressées entreprises dans des conditions matérielles très diverses et le plus souvent fort médiocres. Il y a là une manifestation d'activité, de volonté et de savoir qui fait le plus grand honneur aux coloniaux.

Innombrables sont les leçons qu'on tirerait de la lecture de ces mémoires si l'on avait accoutumé de lire l'histoire pour en dégager des enseignements. Il y a là des détails qui sont de tous les temps et de tous les jours. Mais à côté des détails, bons et mauvais, qui trahissent la fragilité des œuvres humaines, il y a l'ensemble, le résultat total acquis, l'effort réalisé par toute une nation, et il est prodigieux.

Pour en mesurer l'importance, songeons qu'il y a juste cent ans, un modeste voyageur français, dont la science devait immortaliser le nom, René Caillié, partait de Boké sous des habits d'emprunt, et accomplissait, à travers un pays hostile dans toute son étendue, un voyage qui devait durer plus de 500 jours. Aujourd'hui cet immense pays

goûte les bienfaits de la paix, ses habitants sont accueillants à tous, le commerce y est prospère, les déplacements s'y font par des moyens perfectionnés, et l'on y trouve des gens qui, en dépit de dures préoccupations de métier, gardent la sérénité d'esprit suffisante pour y faire une œuvre intellectuelle remarquée: il fait partie des terres françaises.

Henry HUBERT.

LA DÉFENSE ET LA CRITIQUE

DE LA

POLITIQUE DE DUPLEIX

I. La défense.

On sait comment Dupleix engagea et poursuivit, à l'insu puis contre le gré de la Compagnie des Indes, la politique qui devait le conduire à la gloire et à la ruine. En 1749, vingt-sept ans après son arrivée à Pondichěry, il crut pouvoir intervenir dans les querelles des princes du Carnatic et du Décan et cette intervention qu'il pensait devoir être de courte durée, l'entraîna dans une guerre qui était loin de tourner à notre avantage, lorsque, cinq ans plus tard, il fut rappelé en France et remplacé par Godeheu. Mais ce qu'on connaît moins, ce sont les arguments par lesquels, au fur et à mesure que les hostilités se développaient, il entreprit d'expliquer et de justifier ses actes, pour maintenir son crédit auprès de la Compagnie, de la cour et de l'opinion. Ce sont ces arguments que nous allons faire connaître, en recourant à ses lettres et aux rapports de ses agents ou de ses familiers. Dans une contrepartie nécessaire, nous verrons les raisons que lui opposèrent, toujours avec une déférence marquée, ceux qu'il voulait convaincre et qu'il ne per

REVUE DE L'HIST. DES COLONIES.

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suada pas et nous assisterons ainsi au heurt de deux systèmes où l'on sera étonné de trouver moins de passion et plus de logique et de bon sens qu'on se l'imagine. Le débat ne diminue pas Dupleix mais il ne tourne pas non plus à la confusion de la Compagnie.

SI. LA POLItique de Dupleix d'après sa CORRESPONDANCE AVEC LA COMPAGNIE, LES MINISTRES, LES COMMISSAIRES DU ROI, SES AMIS ET SA FAMILLE.

La politique de Dupleix repose sur le principe que la Compagnie ne pouvant faire du commerce dans l'Inde qu'avec des capitaux importés de France, et ces capitaux venant parfois à manquer ou étant insuffisants, il n'y avait qu'un moyen de parer à cet inconvénient, c'était de posséder dans la péninsule elle-même un territoire assez étendu pour en tirer un revenu fixe et constant qui permit de se passer du concours de la métropole.

La guerre de 1746 à 1748 avait fait sentir à Dupleix les incommodités et même les dangers de compter exclusivement sur la Compagnie ; quelques efforts qu'elle eut alors faits pour lui envoyer de l'argent et des vaisseaux, ces secours n'arrivèrent pas ou arrivèrent trop tard; les retards eux-mêmes augmentèrent la défiance des populations qui nous refusa tout crédit. On se trouva à la veille de faire faillite; les employés et même les officiers tenaient des propos plus fâcheux les uns que les autres et l'on entendait dire couramment : pas d'argent, pas de Suisses! Pour consolider ou relever la situation difficile où se trouva Pondichéry, Dupleix dut engager une partie de ses fonds personnels lui seul eut tout le poids de la défense.

Il en arriva naturellement à penser que si la Compagnie avait eu dans l'Inde un revenu fixe, il lui en eût moins coûté pour porter secours à nos établissements, et ce secours eut été mieux assuré. Le souvenir de ces misères était resté profondément gravé dans son cœur ; mais comment faire face à de pareilles nécessités si elles se représentaient ?

« Jusqu'à présent, dit-il en son mémoire du 16 octobre 1753, les circonstances n'avaient pas permis d'y songer [à avoir un revenu fixe], et si l'idée en était venue, on l'aurait rejetée presque aussitôt. Des occurrences que la dernière guerre avait présentées ont servi à faire apercevoir des objets auxquels on n'eût jamais pensé par la raison qu'on ne pouvait se persuader de la possibilité; un enchaînement de circonstances qu'on aurait eu bien de la peine à prévenir a cependant conduit au but que l'on cherche depuis longtemps ! »

Aveu précieux! Ainsi, jusqu'en 1748 tout au moins, personne, pas même Dupleix, n'eut la moindre idée de la politique dont on lui fait aujourd'hui honneur ; si elle lui fût venue à l'esprit, tout comme un autre il l'eût aussitôt rejetée. Quel est donc le fait qui l'amena à changer d'avis et à suivre la direction nouvelle où il devait illustrer son nom? Il faut bien le dire, c'est le simple hasard, ce grand inspirateur des actions humaines.

Nous l'avons exposé plus longuement ailleurs. Au début de 1749, Chanda S. et Muzaffer j., désireux l'un de s'emparer du Carnatic et l'autre du Décan, demandèrent à Dupleix de mettre à leur disposition les troupes nécessaires pour réaliser leurs ambitions; ils s'engageaient à payer toutes les dépenses.

Dupleix qui depuis la paix ne savait que faire de ses hommes et n'avait pas de bateau pour les renvoyer en France, accepta ces propositions et dès le 14 juillet 1749

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