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Portraits

I

A François Clouet, peintre du roy

Pâle dans la blancheur de la fraise à godrons,
Frêle sous les brocarts ouvrés d'orfèvrerie
Où l'émeraude à l'améthyste se marie
Sur le lin vaporeux de la guimpe à bouillons,

La princesse au bandeau relevé de fleurons
Laisse vers un missel errer sa rêverie,
Et sur le blanc vélin éclate l'armoirie
De sinople et d'azur chargés de deux aiglons.

Et tandis que devant, les couriines, des hardes
Des reitres acharnés croisent les hatiebardes,
Elle sourit ingénument à voir le ciel

S'écouler en so main qui retient le missel,
En sa fragile main où l'or des vieux anneaux
Fige dans un rubis le sang des huguenots.

II

A Ingres

Raide, haut cravaté, son habit bleu barbeau
Très boutonné sur un gilet ventre de biche,
La face glabre d'où s'échappe une barbiche
Par l'intacte blancheur de son linge à jabot,

Monsieur de Chantemerle en un cadre vieillot
Qu'un sévère cordon suspend à la corniche,
Sourit béatement au sourire postiche
De sa femme parmi ses manches à gigot.

Et tandis qu'au milieu des flambeaux à colonne
L'heure d'un vieux cadran s'émiette monotone,

L'amour, qui dans les fleurs d'un clair jardin brandit

Son carquois et son arc, observe d'un trumeau
Que dame Chantemerle en son cadre sourit

Au portrait du cousin placé sur le piano.

III

CORBEILLES

Ainsi que les vanniers au fond de leurs réduits
Tressant le brin flexible entre leurs doigts agiles
Asservissent l'osier en corbeilles fragiles

Pour la grâce des fleurs et le charme des fruits,
Quand je vois s'écrouler sur ton sein velouté
En flots de cuivre roux tes cheveux opulents,
Comme on verse des fleurs en ces paniers charmants
Je voudrais que mes vers continssent ta beauté.

CHANSONS

A Mlle Cléo de Mérode

Dans la châsse ouvragée où les émaux et l'or
Bossués de rubis et de perles éteintes
Sous le temple voûté renferment un trésor
D'anciens rois de jadis et des reliques saintes,

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Est parmi du soleil en de longs cheveux roux
Où je plonge mon front alourdi de névroses
En écoutant chanter comme un enfant jaloux
Un coquillage fait d'un peu d'ombre et de roses :
C'est l'oreille de mon amie!

PAUL LECLERCQ

La Société, la Jeunesse

et M. Emile Zola

L'auteur des Rougon-Macquart a jeté à travers les conventions littéraires, l'ouvrier et le paysan — je ne dirai point tels qu'ils sont, ce serait une banalité dépourvue de sens, mais tels que les comprend le réformateur ou le révolutionnaire. Après la chambre de Jenny l'ouvrière, célébrée par les littérateurs du milieu de notre siècle, apparurent les corons des mineurs, où tous, pêle-mêle, dorment, aiment, vaquent à toutes les fonctions animales, tableau dramatique et en même temps fidèle, que confirment les enquêtes sur les dangers physiques et moraux du surpeuplement. Au lieu de Mimi Pinson, ce fut Nana et le comte chevauché par la courtisane, que le moyen âge avait connu, que l'artiste des stalles de Bois-le-Duc avait sculpté et Otway introduit dans Venise sauvée sous une forme vague, générale, tout juste humaine, dont M. Zola a fait le signe caractéristique de la fin d'une classe contre laquelle se retourne sa propre corruption.

Balzac avait peint la bourgeoisie au sens strict du mot, les industriels de Saint-Simon, banquiers et commerçants devenus, sous LouisPhilippe les riches et les puissants mais non point encore les grands de l'Etat, placés entre l'aristocratie finissante et le peuple encore inconscient exclu de la garde nationale et de l'électorat.

M. Zola décrit la classe des dirigeants actuels où les séparations ne sont plus que de pure forme, où l'argent fait entrer et d'où la ruine exclut; il a exposé, avec plus d'intérêt qu'aucun rapport de commission parlementaire, les entreprises, travaux, banques, journaux, par lesquelles on poursuit l'argent; d'accord avec les critiques de la vieille économie politique, il a montré comment se forme le capital, — par héritage de privilèges plus ou moins anciens, fiefs médiévaux, usurpation de biens nationaux, majorats de noblesse impériale, ou encore subitement, par coups de bourse, agiotage sur le travail et l'épargne d'autrui, spéculation sur les objets de première nécessité.

Les riches, disait l'ancienne économie politique, sont les descendants de ceux qui ont épargné, les pauvres ceux des imprévoyants. Ce sont des choses qu'on nous enseigna comme les devoirs envers Dieu, mais que les savants n'osent plus soutenir de bonne foi. Par les enquêtes et les observations accumulées au cours de ce siècle, on sait que le salarié se trouve par sa situation même, obligé de vivre au jour le jour. Le salaire n'est payé, en effet, qu'à la journée ou à l'heure de travail effectif, et souvent le travail manque. L'ouvrier le plus

actif est contraint à des mortes-saisons, à des chômages involontaires plus ou moins longs et si l'on veut de bonne foi évaluer son gain, il faut multiplier son salaire par le nombre de jours où il l'a gagné, ce qui en fait parfois baisser le taux de plus de la moitié. Et quand l'ouvrier arriverait à mettre quelques centimes de côté chaque jour, réussirait-il à amasser ce qu'il faut pour diriger une usine ou une entreprise? Enfin cette épargne l'oblige à se priver, à supprimer des satisfactions sans les remplacer par d'autres, c'est-à-dire à descendre au-dessous de la civilisation. Pour épargner, c'est la lecture, les sorties, les relations, les réunions qu'il retranche, plutôt que le petit verre. L'épargne supprimant l'alcoolisme, quelle illusion! Mais d'où vient l'alcoolisme, sinon de la cherté des vivres, de la séparation de l'homme et de la femme travaillant en des ateliers séparés, du peu de temps laissé pour le principal repas? Voyez ce qui se passe au régiment où des causes analogues produisent le même effet.

Toutes les misères qui dérivent du salariat sont, il est vrai, constatées et admises par tous les sociologues de conscience. Mais le public les ignorerait longtemps si un écrivain comme M. Zola n'en faisait point les matériaux de ses constructions, si, dans Coupeau et dans plusieurs des Rougon-Macquart, il n'avait peint l'onvrier écrasé par les circonstances matérielles de sa vie et par des tares héréditaires venues des mauvaises conditions dans lesquelles ont vécu ses ascendants. La littérature habituelle peignait le travailleur suivant les formules de l'ancienne économie politique; ménager et heureux, ou dépensier et misérable, en conformité avec les ci devant lois naturelles. M. Zola le montre sans économie parce qu'il n'a pas d'argent et sans initiative parce qu'il n'a point de loisirs. Observateur scrupuleux, M. Zola évite de tomber d'un idéalisme dans un autre; si, dans ses œuvres, le misérable n'est pas responsable de sa misère, il ne devient pas le Peuple sans tache de Lamennais ou de Pierre Leroux: il reste sali, déformé, abimé par des maux qu'il subit sans savoir pourquoi.

Devant cette révélation, le public, tout d'abord dérouté, a commencé par s'arrêter aux apparences; il n'a vu que l'extérieur de l'Assommoir, les gestes et les façons des personnages. Ce fut le temps où l'on croyait avoir jugé quand on appelait M. Zola un ordurier. Puis on s'est rendu à la sincérité de l'auteur. On lui a reproché alors de voir tout en mal, de n'idéaliser pas plus les pauvres que les riches. On a parlé de son pessimisme. Pessimiste, lui, dont chaque ligne inspire la compassion des souffrances présentes et communique la générosité d'une âme inquiète de l'avenir !

Seule la présente dernière préoccupation de M. Zola ferait croire à une lacune dans sa large conscience de la société contemporaine. M. Zola s'adresse à la jeunesse, ou plutôt à la célèbre « jeunesse des Ecoles » qui manifestait pour la République sous l'Empire et sous le Seize-Mai, et il s'étonne de ne plus la trouver progressiste, ni généreuse. C'est que la bourgeoisie libérale a vécu. Les fils des républicains d'autrefois sont maintenant conservateurs; les plus bruyants

se font antisémites. Les temps sont passés où les élèves de l'Ecole polytechnique forçaient la consigne et bousculaient leur général pour se mêler aux révolutions. Les polytechniciens d'aujourd'hui sont élèves des jésuites. Catholique aussi l'Ecole normale, qui fut voltairienne au temps d'About. Le Quartier latin, frondeur, plein de chansons et de gaieté ne revit plus que dans les descriptions de Trilby. A-t-il jamais existé? Je pense qu'autrefois, comme aujour d'hui, la plupart des étudiants passaient leurs soirées à boire de la bière et à jouer la manille, familiers avec le gérant et tutoyant les garçons comme sur le Cours ou les Allées de leur ville natale. Le quartier latin ne fut probablement jamais autre chose que la province bourgeoise transportée à Paris. Quand elle était progressiste, il l'était comme elle, sans poésie et sans feu; dès qu'elle se modéra, il devint lui aussi juste-milieu et il continue de l'être. De ci, de là, dans cette cohue se détachent quelques individus amoureux de progrès et avides de science. Ceux-là vivent hors de la jeunesse, étudient loin des étudiants. Convaincus que l'on ne change rien avec des cris et des manifestations, ils travaillent à connaitre les méthodes d'investigation sociale et les faits qu'elles ont permis de découvrir et de classer. Peu satisfaits du présent, ils cherchent l'avenir et ne croient point le découvrir par le rationalisme subjectif ou la métaphysique sentimentale. Confiants dans la liberté politique et dans la liberté de presse, ils sont inquiets de voir les partis uniquement préoccupés d'intérêts électoraux et les journaux forcés par la concurrence de flatter les passions du public au lieu de les combattre. C'est une joie pour eux quand un auteur en vue s'exprime selon son cœur et son idée sans prendre avis à droite ou à gauche. Que M. Zola ait tort ou raison, ceux-là sont avec lui, parce qu'il parle comme un homme et non comme un personnage.

ALBERT MÉTIN

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