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St-Gothard, il se reprit à espérer, le chemin de fer du Grimsel devant nécessairement avoir pour complément la ligne Delle-Delémont-Bienne. Mais le Grand Conseil ne put se résoudre à aucun sacrifice, ni pour le Grimsel, ni pour le Gothard. Kaiser, co-rapporteur de la commission, resta en minorité.

La décision du Grand Conseil causa au Jura un vif et général mécontentement. Les effets s'en firent ressentir partout, notamment au Grand Conseil même, où le dissentiment existant entre les députés de l'ancienne et de la nouvelle partie du canton éclatait, à la moindre occasion, en querelles et protestations. Il arriva même qu'au cours de certains débats sur la question des impôts, tous les députés jurassiens, sans distinction de parti, quittèrent en corps la salle des délibérations.

Il devenait urgent de terminer par un arrangement ces luttes infructueuses. La majorité du Grand Conseil finit enfin par donner la main à un arrêté aux termes duquel l'Etat de Berne accordait 7 millions pour l'établissement des lignes Bienne-Tavannes et Sonceboz-Chaux-de-Fonds. promettait 750,000 fr. pour le tracé Porrentruy-Delle et s'obligeait à céder, contre actions, ses chemins de fer à la compagnie qui se formerait, tôt ou tard, pour bâtir les lignes Tavannes Delémont-Bâle et Delémont-Porrentruy.

Un grand pas était fait en avant. Il fallait maintenant tacher d'arriver, avant tout, à la fondation d'une compagnie des chemins de fer du Jura. Ce n'était pas chose aisée, car, au point de vue financier, l'entreprise était loin de se présenter comme une bonne affaire et elle avait pour ennemie la puissante compagnie du Central, qui craignait sa concurrence. Les populations jurassiennes ne se laissèrent, toutefois, pas décourager. Carlin obtint du patriotisme des communes intéressées de grands sacrifices pécuniaires, tandis que Kaiser popularisait le tracé projeté, le défendait contre les critiques auxquelles il était en butte et se mettait en rapport avec de grandes maisons de banque et avec la Compagnie des chemins de fer de l'Est français.

Stockmar était mort à la tàche 18). Carlin aussi succomba avant l'établissement des chemins de fer du Jura: mais les populations qui en jouissent aujourd'hui n'ont pas oublié combien ces deux hommes contribuèrent à les leur procurer... Kaiser seul eut la satisfaction si bien méritée de voir aboutir ses infatigables efforts de tant d'années.

La campagne faite en commun pour l'obtention des chemins de fer avait rapproché les deux partis du Jura. Ce n'était qu'une trève. La lutte reprit, passionnée, sur le terrain religieux. En 1867 et 1868 les questions de la « ré» duction des fêtes chômées dans la partie catholique du >> canton» et de « l'enseignement primaire dans les écoles >> publiques par les membres d'ordres religieux » (sœurs enseignantes) furent enfin vidées. Comme promoteur des lois du 3 septembre 1867 et du 5 mars 1868 réglant la matière, Carlin eut beaucoup à souffrir de la recrudescence d'animosité qui ne tarda pas à se déclarer contre lui et qui alla, par moments, jusqu'à mettre sa personne en danger. Le soir du jour où fut votée la loi sur les sœurs enseignantes, sa femme et ses enfants mineurs furent, en son absence, inquiétés par une manifestation qu'improvisèrent, devant sa maison, quelques zélés ultramontains de Delémont. Des cris: «A bas Carlin!» et des menaces de mort furent proférés, et le jeune Carlin, alors àgé de 9 ans, reçut, à cette occasion, des horions qu'il dut uniquement à l'honneur d'être le fils de son père.

Le concordat du 15 juillet 1801, entre la France et le Saint-Siége, ne connaît par an, outre les dimanches, que quatre jours de fêtes chômables. Le Jura faisant partie de la France lors de la conclusion du concordat, celui-ci y eut nécessairement force de loi. Mais on alla abusivement, surtout à partir de 1814, jusqu'à prétexter d'une vingtaine de jours de fête pour faire cesser tout travail. C'était la ruine morale et financière des populations catholiques jurassiennes. Aussi la réduction de ces fêtes s'imposa-t-elle comme nécessité en 1828 déjà. Mais l'Etat, ne voulant pas procéder de sa seule autorité, entama, à ce sujet, des

négociations avec l'Eglise. Celle-ci sut si bien différer et renvoyer que 38 ans plus tard, le 31 janvier 1866, voyant que l'Etat commençait à perdre patience, elle osa offrir, comme grande concession, de donner aux fabriques et aux établissements industriels qui lui en feraient la demande motivée, des dispenses pour certains jours fériés, à condition, toutefois, que les ouvriers catholiques assisteraient, malgré la dispense, à la messe !

A peine entré au Grand Conseil, Carlin s'était empressé de rappeler aux législateurs bernois la question toujours en suspend. Sur sa motion du 15 mai 1848, le Grand Conseil invita, le 1er juillet, à l'unanimité moins deux coir, le Conseil-exécutif à s'occuper activement de l'affaire.

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Voici la partie la plus importante du discours par lequel Carlin motiva sa proposition:

«... Ai-je besoin de vous prouver ce que l'intérêt moral du pays gagnerait à la réduction des fêtes? Voyez, con» sultez les annales judiciaires, c'est principalement les jours de fète qu'ont lieu les tapages nocturnes, les rixes, » les batailles. La partie la plus robuste de la population » ne passe pas son temps à l'église, et il me suffit de vous » rappeler ce proverbe aussi vrai, aussi juste qu'il est vul» gaire l'oisiveté est la mère de tous les vices.

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Au point de vue de l'intérêt matériel, la réduction des » fêtes serait aussi un sensible bienfait. Qu'on fasse bien » attention que nous avons au moins vingt fêtes chômées: ainsi, 20 jours de moins de travail que dans l'ancienne partie du canton; 20 jours de perdus pour les établisse>ments industriels; 20 jours de perdus pour une contrée › agricole où souvent une seule journée de négligée pour » les semailles ou les récoltes entraîne des pertes irréparables; 20 jours de perdus aussi pour l'ouvrier, qui dé» pense au lieu de gagner!

» La réduction des fêtes serait donc, sous tous les rapports, un véritable progrès.

Que faire pour le réaliser ?...

› Pour ne pas heurter de front les croyances, les conve

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»nances ou les préjugés, on pourrait commencer par des négociations avec les autorités ecclésiastiques. Celles-ci comprendraient ce qu'il y a de juste, de raisonnable dans nos vœux et prêteraient leur concours. Le but, dans » ce cas, serait bien vite et bien facilement atteint.

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» Mais si l'on ne peut obtenir ce concours amiable, qu'arrivera-t-il?

A dire vrai, je ne crois pas beaucoup à l'amour du » progrès, au libéralisme des nonces du pape, qui viennent › à chaque instant nous assurer de leurs bonnes dispositions à seconder l'Etat. L'expérience prouve qu'on a » raison de s'en défier. Notre clergé dira chaque jour » aussi : « Qu'on réduise, qu'on supprime les fêtes; nous ‣ en sommes contents ». Je n'admets pas non plus ce ‣ langage comme sincère.

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» Quoiqu'il en soit, ce ne sont plus des paroles qu'il » nous faut, mais des faits.

> L'Etat n'est pas vassal de l'Eglise. Il a sa dignité et son > indépendance, qu'il ne doit pas se laisser enlever. Et je > veux que l'Etat use de toute la plénitude de ses droits.

» Que notre canton agisse donc une bonne fois avec ⚫ énergie. Je demande que ma motion soit renvoyée au › Conseil-exécutif pour qu'il s'en occupe d'urgence.

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> J'insiste sur l'urgence, parce qu'il en est de certaines » propositions ou motions soumises à l'examen du Con› seil-exécutif, comme de certains fruits qu'on relègue » dans l'ombre pour qu'ils ne puissent jamais mûrir; » témoin la motion sur l'exclusion des emplois publics » des élèves des jésuites, celle sur la révision de la loi ⚫ concernant les arrondissements électoraux, etc., etc.

Je prie l'assemblée de vouloir bien voter la prise en ⚫ considération de ma motion. »

Le vote du Grand Conseil eut pour conséquence la reprise des négociations avec l'évêché de Bâle. Mais ce n'est qu'en 1867 que le gouvernement, las enfin d'être continuellement éconduit, présenta au Grand Conseil le projet de loi suivant :

« LOI

» portant réduction du nombre des fêtes chômées dans la

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partie catholique du canton.

» Le Grand Conseil du canton de Berne

» Vu la décision insuffisante, contraire même au principe de l'égalité des citoyens devant la loi, rendue le » 31 janvier 1866, par l'autorité supérieure ecclésiastique › catholique sur la demande adressée, le 11 janvier 1865, » par les représentants des Etats du diocèse de Bâle pour » obtenir une réduction notable des jours de fête qui y » sont chômés ;

>> Vu les efforts persévérants et réitérés qui ont été » tentés sans succès depuis de longues années, auprès de » la dite autorité ecclésiastique, afin qu'elle concoure » d'une manière efficace à la solution de cette importante » question;

» Attendu qu'il est actuellement du devoir de l'Etat de » recourir aux mesures en son pouvoir pour apporter, autant que possible, remède au nuisible état de choses » existant dans le Jura catholique par suite du grand » nombre de fêtes qui y sont chômées et dont la réduction , est commandée par les intérêts moraux, religieux et économiques de la population;

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» Sur la proposition du Conseil-exécutif,

DÉCRÈTE:

« Article premier. A l'avenir les fêtes chômées, recon» nues légalement dans la partie catholique du canton, » seront réduites aux jours suivants: Noël, l'Ascension, l'Assomption, la Toussaint, la Fête-Dieu et le Nouvel-an. » Art. 2. Sauf les dimanches et les jours de fêtes désignés à l'article 1er, les autres jours de fête chômés jusqu'à présent sont officiellement déclarés jours ouvra

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