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⚫ avons eu aujourd'hui le rare bonheur de voir un homme › rester fidèle à ses convictions jusqu'à sa dernière heure, ‣ et jusqu'à sa dernière heure aussi conserver assez de » lucidité d'esprit pour ne pas faiblir devant l'évocation

des souvenirs impérissables de la première éducation. Il » n'a pas voulu que sa vie fùt démentie par sa mort et que les principes de toute sa vie fussent niés par les cérémonies d'un culte qu'il ne reconnaissait pas. Cette vie doit être pour nous un grand exemple et cette mort un pro⚫ fond enseignement. En face de cette tombe trop tôt ouverte, prenons l'engagement de rester toujours fidèles aux convictions de notre jeunesse, de sorte que, lorsque la terre nous recouvrira à notre tour, nos amis n'aient ⚫ pas à rougir de notre mémoire, et puissent dire de nous » ce que nous disons de Carlin: l'Etat perd en lui un bon » citoyen et l'humanité un homme de bien.»

M. Gobat, avocat, s'avançant vers la tombe, adressa ensuite aux professeurs et étudiants les paroles suivantes :

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• Permettez à un élève de M. Carlin, à son successeur ⚫ dans son étude d'avocat, de vous remercier au nom de la famille Carlin, au nom de ses amis du Jura, pour la » démonstration que vous faites à cette heure avancée de ‣ la nuit, au bord de cette tombe à peine fermée. Nous » sommes fiers des honneurs que vous rendez à notre » concitoyen, et nous vous en remercions du fond de »notre cœur. Quelle ne fut pas notre douleur lorsque » nous apprîmes la nouvelle inattendue de sa mort! Il y a » quelques mois nous l'avions vu au milieu de nous dans ‣ le Jura; sa santé paraissait s'être améliorée; il était gai ⚫ et content. Avant-hier, la mort sans pitié nous l'arrache! Notre deuil est grand, nos regrets dureront toujours. . Nous perdons en Carlin non seulement un homme politique de premier ordre, un homme marquant dans la république bernoise comme dans la patrie suisse, un >> homme de talent, mais encore un homme de cœur; >> et les hommes de cœur sont précieux. Ceux qui ont

› connu M. Carlin savent quelle chaleur, quels sentiments nobles et délicats il y avait dans ce cœur qui a cessé de battre. M. Carlin est mort, mais il vit! Jamais nous ne l'oublierons; son souvenir, pour ses amis, est im⚫ mortel.

>> Sans doute nous ne pourrons plus, comme pendant sa ‣ vie, nous réchauffer, nous fortifier au feu sacré qui n'a » pas cessé un seul instant de l'animer. Mais lorsque nous ⚫ viendrons à Berne, nous accourrons ici. Près de cette tombe nous penserons à lui; en nous rappelant sa vie et ⚫ ses œuvres, nous deviendrons plus fermes et plus résolus pour suivre, à travers nos luttes politiques, la voie » qu'il nous a tracée. Amis de Monsieur Carlin, au revoir » sur cette tombe! »

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Ces paroles étaient à peine prononcées, que M. Ducommun, député, s'avance et s'écrie:

« Carlin! Nous poursuivrons ton œuvre. Je le jure!

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Les villages disparus d'Ajoie

PAR

le Dr P.-A. BOÉCHAT

'Ajoie occupe, en Europe, une position assez centrale, à la limite de grands Etats, au point d'intersection des langues française et allemande. Aussi, n'y a-t-il rien d'étonnant à ce que, dans le cours des siècles, notre pays ait été l'un des passages suivis par les invasions, qui se succédaient de l'Orient vers l'Occident, et qu'il ait partagé, avec l'Alsace et le Comté de Montbéliard, le triste privilège de devenir le théâtre de luttes et de guerres sanglantes.

Au moyen-âge, ses villages ont été tour-à-tour rançonnés, dévastés, incendiés ou détruits.

Il n'en faudrait pas plus, pour expliquer la disparition, du sol de l'Ajoie, de quelques-uns d'entr'eux, qui ont joué un rôle bien modeste, il est vrai, dans son histoire.

Les recherches, faites à ce sujet, nous ont amené à retrouver les traces de sept localités, qui n'étaient pas seu lement des fermes isolées, ou de petits hameaux sans importance.

Plusieurs ont produit des hommes d'une certaine valeur, dont nous rappellerons la mémoire.

Aucun de ces villages n'a été détruit, à notre connaissance, par une catastrophe dont le souvenir soit resté mémorable.

A ces époques reculées, la plupart des maisons étaient construites en bois et couvertes de chaume; les ouver

tures étaient petites et peu nombreuses, le verre étant un objet de luxe, seulement à la portée des châteaux et des maisons féodales.

Les murs, quand il en existait, ne s'élevaient qu'à la hauteur du rez-de-chaussée : les intervalles entre les pièces de la charpente extérieure, étaient remplis de terre glaise, mélangée à de la paille hachée, ainsi qu'on le voit encore fréquemment dans le Sundgau. Le toit, à forte pente, descendait très bas et donnait ainsi de la chaleur, en hiver, de la fraîcheur, en été.

C'est pour ces motifs qu'il est si rare de trouver des débris d'habitations, même là où l'on est certain que des maisons ont existé. A peine, si l'on rencontre parfois quelques substructions, comme des restes de murs, des voûtes de cave, etc.

Il résultait de ce mode de construction, plus de facilité, pour les personnes, d'abandonner leurs habitations ruinées, pour transporter leurs pénates, dans un lieu mieux abrité, ou hors de la portée des attaques extérieures.

Dans le Comté de Montbéliard, M. Duvernoy avait déjà recueilli en 1847, les traces de dix-huit de ces villages disparus, « ignorés, jusqu'aux noms mêmes, de la plupart des >> personnes qui en foulent aujourd'hui le sol (1). »

En 1884, M. Straub, président de la Société pour la conservation des Monuments historiques d'Alsace, dans une séance du Comité, « a entretenu ses collègues des anciens centres d'habitation, dont les noms ont été rayés de la Carte d'Alsace, depuis un temps plus ou moins reculé. » Il a constaté la disparition de 260 localités, représentant plus du sixième des centres d'habitation de l'ancienne province d'Alsace. Il en a consigné le catalogue (2) dans les mémoires de la Société alsacienne, en

(1) C. D. de Montbéliard. Les villages ruinés du Comté de Montbéliard, avec quelques autres d'origine moderne. Arbois, Aug. Javel, 1847, p. 3.

2) A. Straub. Les villages disparus en Alsace. Strasbourg, Schultz et Cie, 1887.

relatant, dans un tableau, pour chaque village, les noms connus et les dates importantes, la situation, l'époque et la cause de la disparition, les restes ou monuments qui indiquent l'emplacement.

Parmi les causes de destruction ou d'abandon d'un grand nombre de ces villages, M. Straub fait figurer, en premier lieu, les guerres et les bouleversements politiques. « Quelque grande catastrophe (1), dit-il, suffit pour » amener la réunion d'un village ruiné, avec une localité >> voisine, dont la population se trouvait renforcée et la >> banlieue agrandie. »

Cet auteur observe, avec raison, combien l'imagination populaire a « renchéri » sur les faits qui se sont passés au 17° siècle, pendant la guerre de Trente ans. Le nom des Suédois évoque encore dans l'esprit du peuple, « une épo» que de cruautés sanglantes, de destructions violentes à » marquer en caractère de feu et de sang. » Il indique que la plupart des villages incendiés ou abandonnés, pendant la guerre de Trente ans, se sont relevés de leurs ruines.

M. Straub attribue aussi à la peste et aux autres maladies contagieuses, une grande influence sur la disparition de villages, comme ceux d'Altenbach, Mauchenheim, Sermersheim, qui furent dépeuplés. C'est surtout pendant le 14° siècle qu'il y eut la plus grande mortalité. La peste reparut ensuite, principalement vers le milieu et à la fin du 15e siècle. On peut dire que, pendant une grande partie du moyen-âge, elle fut une cause de terreur pour les populations.

Parmi les causes applicables à nos villages disparus, M. Straub mentionne encore (2) « le système de centralisation, >> que les grands monastères ont quelquefois employé, au » profit de l'agriculture, en diminuant le morcellement » des terres, par l'acquisition des propriétés foncières de petits villages voisins ».

(1) Ibid. p. 2.

(2) Straub. Ibid. p. 7.

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