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NOTE HISTORIQUE

sur l'année 1076,

où les moines de Moutier furent expulsés de leur abbaye par Henri IV et Bourkard d'Asuel

Dans sa brève et intéressante «Notice sur le Chapitre de Moutier-Grandval », (1) publiée en 1863 par M. Quiquerez dans les Actes de la Société jurassienne d'émulation, on lit ces mots :

« On ignore la date exacte de cet événement (l'expulsion des Bénédictins de Grandval), que nous avons placé entre les années 1075 et 1079. »

Cette lacune, que semble regretter M. Quiquerez, est-elle bien difficile à combler ? Nous ne le pensons pas. Pour le faire, on n'a qu'à lire avec attention le récit succinct, mais riche de détails, que nous fait de cet événement le judicieux et savant chroniqueur d'Alsace, Caspar Merklin.

Il paraît avoir puisé aux meilleures sources. Or, en étudiant de près, en analysant avec soin le texte de sa relation, en la rapprochant des dates précises que nous fournit l'histoire de (1) Actes, p. 137.

la lutte entre l'empire et le sacerdoce, au temps de Henri IV et de Grégoire VII, on arrive aisément à cette conclusion:

C'est en 1076, et non avant ni après, qu'eut lieu le fait historique en question.

Ecoutons d'abord le récit de Merklin. Il nous apprend :

1o que la cause de l'expulsion violente des religieux de Moutier par Henri IV ne fut autre que leur attachement inviolable au pape Grégoire VII;

2o que leur expulsion fut l'œuvre du César teuton de connivence avec l'évêque Bourkard d'Asuel;

3° que la déposition (exauctoratus) du roi Henri fut suivie d'un conflit violent entre l'évêque de Bâle et les « avoués» ou protecteurs de l'abbaye de Moutier, qui demandaient à l'évêque la réintégration des moines dans leur maison et dans leurs biens;

4° que ce conflit dura plusieurs années - non paucis annis, - et qu'enfin

5o il se termina par l'engagement que prit l'évêque Bourkard de construire un monastère à Bâle en faveur des orphelins de Moutier.

Or, il est certain:

1° que les moines de Moutier n'ont pu être mis en demeure de se prononcer pour ou contre Grégoire VII, qu'après sa prétendue déposition décrétée par le conciliabule de Worms, comme aussi après l'excommuni

cation lancée par le concile de Rome et le Pape contre le roi de Germanie et l'évêque de Bâle;

2o que c'est le 24 janvier 1076 que Bourkard d'Asuel apposait sa signature au décret du conciliabule de Worms (1);

3o que son excommunication eut lieu avec celle du roi, un mois après, soit le 28 février 1076;

4o que c'est à dater de cette double excommunication que les moines de Moutier, fidèles au Pape, se virent dans la nécessité de refuser tout hommage au roi et toute soumission à l'évêque de Bâle.

Et comme le châtiment suivit de près le «< crime » d'insubordination ou de prétendue révolte des religieux de Moutier, c'est dans le courant de cette méme année 1076 qu'eut lieu, et non plus tard, ni auparavant, leur expulsion de leur monastère par les armes de Henri IV ou d'un de ses lieutenants, comte ou baron.

N'est-ce pas d'ailleurs ce que fait entendre clairement Caspar Merklin? Après avoir raconté en termes énergiques l'expulsion des moines de Moutier, il ajoute : « Et lorsque, ensuite, posteaquam Henri eut été déposé de son trône royal, un conflit surgit entre l'évêque et les avoués du monastère (2). » Or, la déposition

(1) Voir Trouillat, Monuments, I, 214–217, note.

(2) Ces avoués, dit Merklin, étaient les comtes d'Eguisheim, de Sogern, d'Asuel et de Frobourg, mais non du Vorbourg, comme le dit par erreur M. Vautrey (Jura bernois, Soyhières).

de Henri IV, qui le dépouillait de l'autorité royale exauctoratus, fut prononcée à la diète de Fortzheim le 15 mars 1077. Il est donc manifeste qu'à cette date, d'après Merklin, l'attentat de Moutier était consommé, et cela depuis quelque temps, c'est-à-dire depuis quelques mois.

Merklin dit encore que ce conflit dura plusieurs années, et n'eut d'autre issue que la construction d'un nouveau monastère, ouvert à Bâle par Bourkard d'Asuel, aux religieux expulsés de Moutier. Or, l'historien de Bâle Wurstisen, fixe sans détour la construction du monastère de St-Alban à l'année 1083. Dès lors, pour concilier le texte de Merklin avec l'affirmation de Wurstisen, on n'a qu'à remonter de plusieurs années non paucis annis à la cause et à l'origine du conflit survenu entre l'évêque de Bâle et les avoués de l'abbaye de Moutier. Et certes, ce n'est pas trop de sept ans (1076-1083), pour justifier cette expression catégorique non paucis annis.

De ces données, qui s'éclairent les unes les autres, se dégage, on le voit, la nécessité de fixer à l'année 1076, la fin de l'abbaye de Moutier-Grandval, et en même temps, par contrecoup et par les mêmes causes et les mêmes moyens, la suppression de l'abbaye de SaintUrsanne, qui dépendait de celle de Moutier, ou plutôt sa conversion, comme à Moutier, en une collégiale de chanoines séculiers.

C'est en nous basant sur ces considérations d'une critique plus attentive, que nous avons pu et dû fixer, pour l'événement en question, la

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