L'assemblée départementale pensait, en faisant ce classement, que le projet de déclassement des routes départementales, en ce moment à l'étude, permettrait de disposer de ressources suffisantes pour assurer les dépenses d'entretien de ces lignes d'intérêt commun. Mais les formalités de déclassement des routes ne sont pas terminées, et les ressources sur lesquelles comptait le conseil général ne deviendront libres, selon toute vraisemblance, qu'en 1885. Dans ces conditions, il importait de prendre les mesures nécessaires pour faire face à la dépense en 1884. Pour un entretien régulier, il faudrait 140 cantonniers et chefs cantonniers, à 650 fr. l'un, qui exigeraient une dépense de 91,000 fr.; les matériaux et ouvrages d'art coûteraient environ 30,000 fr., soit une dépense totale de 121,000 fr. Le rachat des prestations et le produit des centimes spéciaux pouvant être évalués, en chiffre rond, à 40,000 fr., le déficit est de 81,000 fr. L'assemblée départementale a estimé que le département devait venir en aide aux communes et leur accorder des subventions qui leur permettront de maintenir en bon état des chemins pour lesquels elles se sont imposé des sacrifices considérables. Elle a demandé, à cet effet, par délibération du 5 avril 1883, que le département fût autorisé à s'imposer extraordinairement, en 1884, deux centimes additionnels au principal des quatre contributions directes, dont le montant serait employé à l'entretien du nouveau réseau de lignes d'intérêt commun. Cette imposition produirait environ 88,000 francs, somme supérieure à celle de 81,000 francs reconnue nécessaire. Dans la pensée du conseil général, le surplus serait appliqué à l'amélioration des chemins du même réseau. L'autorisation sollicitée porterait les charges des contribuables, pour 1884, à 0 fr. 1466 en tenant compte d'une imposition de 0 fr. 0066 vo tée par l'assemblée départementale dans sa session d'août 1882, et qui doit être soumise ultérieurement à la sanction législative. charges seraient donc notablement inférieures à la moyenne de 0 fr. 1959 imposées sur l'ensemble des départements. En conséquence, messieurs, la 15 commission d'intérêt local a l'honneur de vous proposer l'adoption du projet de loi suivant : plus à réaliser, en 1884, que 50,000 francs. Or les travaux sont loin d'être finis. Le rapport de M. l'agent voyer en chef, en date du 27 octobre 1882, nous montre que, d'une part, les chemins de grande communication, dont l'étendue est de 540 kilomètres, sont en construction sur une longueur de 18 kilomètres, à l'état de lacune sur 14 kilomètres. La dépense nécessaire pour l'achèvement de ce réseau est évaluée à 650,000 francs. D'autre part, sur les 1,465 kilomètres qui composent le réseau d'intérêt commun, 42 kilomètres sont en construction et 277 en lacune. Pour terminer les lignes de cette dernière catégorie, il faudrait au moins 5,000,000 de francs. La dépense totale serait donc de 5,650,000 francs. Or le département ne peut disposer, pour couvrir ces frais, que d'une somme d'environ 630,000 francs, y compris une subvention de 220,000 fr. demandée à l'Etat. Il lui manque donc environ 5,000,000 de francs. En empruntant aujourd'hui 750,000 francs, le département du Cantal ne pourra entreprendre que les travaux les plus urgents. La nécessité de cet emprunt nous paraît donc suffisamment démontrée. Il serait imputé sur le fonds de 200 millions de francs créé par l'article 3, paragraphe 1, de la loi du 10 avril 1879. Le service des intérêts et le remboursement exigeraient le payement de trente annuités dont la plus élevée ne dépasserait pas 30,000 fr. Le conseil général a reconnu que cette somme pouvait être prélevée, de 1884 à 1891, sur le pro duit de l'imposition extraordinaire de 4 c. 67 autorisée par la loi du 7 décembre 1881 pour les travaux des chemins vicinaux; mais, cette imposition devant prendre fin en 1891, l'assemblée départementale a demandé, par sa délibération du 26 août 1882, que, pendant vingt-deux ans à partir de 1892, le département fut autorisé à s'imposer extraordinairement 2 centimes addiCestionnels au principal des quatre contributions directes. Cette imposition produirait environ 31,000 fr., c'est-à-dire que le service de l'emprunt étant aseuré, il y aurait un reliquat de 1,000 fr. qui pourrait être appliqué aux travaux des chemins vicinaux. (1) Cette commission est composée de : MM. Esnault, président; Cornudet, secrétaire; La Vieille, Ringuier, Baltet, Lalanne, le comte de Lanjuinais, Lechevallier, Bellot, Develle (Meuse), Deniau.(Voir le N° 1939.) PROJET DE LOI Art. 1°. Le département du Cantal est autorisé, conformément à la demande que le conseil général en a faite, à emprunter à la caisse des chemins vicinaux, aux conditions de cet établissement, une somme de 750,000 fr. applicable aux travaux des lignes de grande communication et d'intérêt commun. La réalisation de cet emprunt, qui sera imputé sur les 200,000,000 francs dont la caisse des chemins vicinaux est autorisée à disposer en exécution de l'article 3, paragraphe 1 de la loi du 10 avril 1879, ne pourra être effectuée qu'en vertu d'une décision du ministre de l'intérieur. Nous n'avons pas à nous occuper ici du con- été un premier progrès; l'augmentation du nomtrôle et de la responsabilité politiques propre- bre des chapitres en a été un autre. Il s'agit de ment dits. Ils ne sont pas en question, et depuis savoir si l'on peut aller, sans inconvénient, jusquelques années, les ministres ont suffisamment qu'au vote par article. Dans tous les cas, cela fait l'expérience de leur responsabilité politi-suffirait pour répondre à tout ce premier 'ordre que pour qu'on n'en puisse pas contester l'exis. de critiques. tence. Mais on a souvent soutenu que le con. trôle financier de la nation manquait de règles suffisamment précises pour qu'il fût véritablement effectif. A la vérité, nous croyons qu'on a beaucoup exagéré les lacunes de la législation à cet égard, et, d'ailleurs, il faut le dire, à l'honneur de l'espèce humaine, les cas où la responsabilité civile des agents du pouvoir aurait pu être mise en jeu ont été extrêmement rares, tout à fait exceptionnels. Art. 2. — Le département du Cantal est éga lement autorisé à s'imposer extraordinairement, par addition au principal des quatre contribu tions directes, 2 centimes pendant vingt-deux ans à partir de 1892, dont le produit sera consacré, avec un prélèvement sur le montant de l'imposition extraordinairc de 4 c. 67 autorisée par la loi du 7 décembre 1881, au service des intérêts et au remboursement de l'emprunt autorisé par l'article 1er ci-dessus. La nouvelle imposition sera recouvrée indépendamment des centimes extraordinaires, dont le maximum est fixé chaque année par la loi de finances, en exécution de la loi du 10 août 1871. ANNEXE N° 1991 RAPPORT fait au nom de la commission (1) chargée d'examiner la proposition de loi de M. Guichard, relative à la responsabilité civile des ministres, par M. Antonin Dubost, député. I DE LA NÉCESSITÉ DU CONTROLE ET DE LA RES- Messieurs, le droit de contrôle et la responsabilité des agents du pouvoir sont, pour les peuples libres, les conditions mêmes de leur liberté et l'unique moyen de rendre effectif le gouvernement du pays par le pays. Il y a donc nécessité de les organiser. C'est l'intérêt du pays, et c'est aussi l'intérêt de ceux qui exercent le pouvoir, quand ils sont d'honnêtes gens, car ils échappent ainsi aux suspicions imméritées et aux tentatives de l'envie. Sous l'ancienne monarchie, la nation n'exerçait aucun contrôle, pas même en matière financière. Les Etats généraux, qui étaient censés la représenter, n'étaient appelés ni à voter, chaque année, le budget, terme inconnu alors, ni par conséquent à vérifier la manière dont le pouvoir royal s'était conformé à leurs décisions. Ils n'étaient convoqués, à des intervalles éloignés, que pour voter les impôts nouveaux rendus nécessaires par les prodigalités de la cour et l'épuisement des ressources du trésor. Ils présentaient des doléances et se séparaient sans conserver aucun droit de suite sur les actes accomplis en vertu de leurs délibérations. On ne leur rendait pas de comptes. Quant au contrôle politique, ils ne l'exerçaient à aucun degré. Il n'y avait donc, pour le pouvoir, ni responsabilité politique, ni responsabilité pécuniaire. Mais quand le contrôle et la responsabilité ne sont pas établis par les lois, il arrive toujours un moment où la Révolution se charge de les organiser. Aussi, dès que la nation eat repris possession d'elle-même, le premier soin de ses représentants fut-il de se saisir du droit de contrôle au double point de vue politique et financier. Depuis cette époque, aucun gouvernement n'a osé proclamer son indépendance absolue, et les constitutions dictatoriales elles mêmes, tout en dépouillant, en fait, la nation de ses prérogatives gouvernementales, refusaient de l'avouer en principe; elles prétendaient s'appuyer sur les principes de 89 et cherchaient à faire illusion au pays en organisant des simulacres de représentation Mais, pour rendre effectif le rôle de la nation, il ne suffit pas d'en reconnaître la nécessité; il faut l'organiser et lui donner la sanction des responsabilités individuelles. Néanmoins, les représentants du pays, qui votent l'impôt, doivent en connaître la destination et l'emploi, d'une manière précise, et en arrêter définitivement les comptes. C'est pourquoi l'Assemblée constituante, l'Assemblée législative, la Convention nationale et tous les pouvoirs qui ont suivi jusqu'à l'an VIII avaient établi un rouage administratif placé auprès d'eux et permettant aux représentants du pays d'exercer une action directe et souveraine sur la comptabilité publique et de s'assurer ainsi que les crédits étaient employés et les dépenses faites conformément à leurs décisions. C'est de là qu'est sortie la cour des comptes, par une conséquence naturelle de l'importance prise par ces bureaux de comptabilité et de vérificatiou. Nous ne pouvons pas entrer dans l'examen de nos contrôles publics, et particulièrement de l'organisation de la cour des comptes. Mais nous demandons la permission de dire que peut-être ne sont-ils pas assez connus et qu'il serait désirable de prendre certaines mesures, principalement dans le but de rendre leur action plus rapide. Tout le monde peut néanmoins reconnaître, en les étudiant de près, qu'ils constituent un ensemble de garanties qu'il serait difficile de rendre plus complètes et plus effi caces. Ce qui seul a pu souvent les faire paraître critiquables n'est rien autre que l'insuffisance évidente, en certains cas, des règles établies pour la préparation des affaires et la difficulté qu'il y a d'en apprécier préalablement le caractère et la portée. Suivant nous, en effet, ce qui manque, dans l'organisation actuelle, pour rendre plus réel le contrôle des Assemblées, pour assurer l'exécution de leur volonté, d'une manière plus stricte, ce sont des mesures qu'on nous permettra d'appeler préventives. Sur quels points, en effet, portent principalement les critiques qui ont été Souvent adressées à la législation, en matière de contrôle? On peut les ranger en deux caté gories: 1 les ministres ne respectent pas la spécialité par article, c'est-à-dire que, dans les li mites de l'un des chapitres du budget votě, chaque année, par les Assemblées, un crédit qui avait été affecté, en prévision, à un objet n'est pas employé tout entier pour cet objet particulier et sert à couvrir une dépense qui, dans un autre article du même chapitre, n'avait été prévue que pour une somme insuffisante; 2o une entreprise qui,, souvent, n'avait été décidée que parce qu'elle n'avait pas paru entraîner une dépense dépassant les ressources du trésor, ou parce que cette dépense ne paraissait pas hors de proportion avec l'utilité que l'Etat pouvait en retirer, exige souvent une somme très supérieure à celle qui avait été prévue, ce qui bouleverse toutes les combinaisons budgétaires, ou conduit à des déceptions qui font parfois regretter aux Assemblées de s'être engagées dans une opérations de cette nature. Mais les autres critiques dont nous avons parlé ont une portée bien plus grave, et, suivant nous, il y a véritablement urgence à prendre des mesures pour mettre un terme à de déplorables habitudes qui justifient les appréciations les plus sévères. C'est ce qu'on a compris déjà pour tout ce qui concerne les affaires administratives, relatives aux communes et aux départements. Les lois et les règlements prescrivent de n'engager aucune dépense sans | qu'au préalable les assemblées électives et l'administration supérieure aient été mises à même de se rendre un compte parfaitement exact de sa portée véritable, sans avoir pris toutes les précautions nécessaires pour apprécier, autant que faire se peut, le montant des ressources nécessaires pour y faire face. Les affaires ou les entreprises de l'Etat sont seules exemptes de ces formalités préalables. Le plus souvent, en effet, en matière de travaux publics notamment, le Gouvernement et la commission du budget proposent, et les Chambres sont appelées à voter des crédits sur de simples affirmations, sans avoir sous les yeux aucuns documents, aucune évaluation précise qui leur permettent d'apprécier avec certitude la dépense que représentera définitivement l'entreprise dans laquelle on décide ainsi de s'engager. De là des mécomptes et des déceptions qui troublent tous les calculs, aboutissent à grever le budget d'une manière excessive et donnent lieu, ensuite, à ces exagérations de crédits supplémentaires contre lesquels on proteste vainement depuis tant d'années. Nous croyons qu'il serait facile d'établir des règles précises qui auraient pour effet certain de mettre enfin un terme à de pareils abus. Il faudrait, bien entendu, rendre ces règles applicables en toute matière, qu'il s'agisse de travaux publics ou de toute autre dépense, particulièrement des dépenses résultant des modifications apportées aux tarifs divers qui servent de règles, dans certaines administrations, modifications qui, d'ailleurs, ne devraient pouvoir être décidées que par un vote des Chambres. On parviendrait certainement ainsi à rendre le contrôle du Parlement très réel, très effectif. Mais, pour si importantes qu'elles soient, les règles du contrôle ne suffisent pas. Comme nous le disions plus haut, il faut y ajouter la sanction des responsabilités individuelles. La responsabilité politique fonctionne; il en est de même de la responsabilité pénale. Aujourd'hui, on pose la question de savoir s'il convient d'organiser la responsabilité civile des ministres. La question doit être examinée au double point de vue du droit et de l'utilité pratique. II DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE DES MINISTRES Les lois constitutionnelles du 25 février 1875 et du 16 juillet de la même année, comme la plupart des constitutions qui avaient régi la France depuis la Révolution, ont établi ou confirmé le principe de la responsabilité politique et de la responsabilité pénale des ministres. L'article 6 de la loi du 25 février 1875 est ainsi conçu : « Les ministres sont solidairement responsables, devant les Chambres, de la politique générale du Gouvernement et individuellement de leurs actes personnels. Le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison. » L'article 12 de la loi du 16 juillet suivant porte : « Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés et ne peut être jugé que par le Sénat. Les ministres peuvent être mis en accu Or, sur le premier point, on peut répondre que, si les ministres ne respectent pas la spécialité par article, c'est qu'ils ne sont pas tenus de la respecter. Aux termes de l'article 30 de la loi du 16 septembre 1871, les crédits sont votés par chapitre, et. jusqu'à l'abrogation de cette loi, la limite du chapitre est seule obligatoire. Les évaluations par article ne sont que des indications destinées à justifier le crédit total demandé pour le chapitre. Les ministres ne peuvent pas dépas-sation par la Chambre des députés pour crimes ser ce crédit total, mais ils peuvent l'appliquer commis dans l'exercice de leurs fonctions. En ce dans des proportions autres que celles qui ont cas, ils sont jugés par le Sénat. Le Sénat peut été prévues pour chacun de ces objets. C'est là être constitué en cour de justice par un décret une prérogative légale, et le seul moyen de la du Président de la République, rendu en conseil restreindre ou de la supprimer, si l'on reconnaît des ministres, pour juger toute personne prévequ'elle engendre des abus, serait de voter le nue d'attentat commis contre la sûreté de l'Etat budget par article, si toutefois on ne redoute Si l'instruction est commencée par la justice orpas que ce soit là un obstacle à la marche de dinaire, le décret de convocation du Sénat peut l'administration. Dès lors, la spécialité par arti- être rendu jusqu'à l'arrêt de renvoi. Une loî dé. cle serait respectée comme l'est aujourd'hui la terminera le mode de procéder pour l'accusaspécialité par chapitres. Le vote par chapitre a tion, l'instruction et le jugement. » | La discussion, piusieurs fois abandonnée et reprise, se continua au milieu des fluctuations de la politique pendant près de trois années à la Chambre des députés. Au commencement de l'année 1834, le Gouvernement avait déposé un nouveau projet modifiant les précédents en des points importants. A la fin de la même année, il en déposait encore un autre; enfin, en 1835, la Chambre des députés aboutit au voto d'une loi qui fut bientôt portée à la Chambre des pairs. Mais celle-ci n'adopta, en 1836, la loi votée par la Chambre des pairs qu'en lui faisant subir des modifications qui nécessitaient une nouvelle délibération. Le projet devait donc être transmis à la Chambre des députés; il ne le fut pas, et voilà pourquoi une loi sur la responsabilité ministérielle n'a jamais été faite. Après la révolution de février, deux propositions analogues furent encore présentées à la Constituante et à la Législative, mais ne vinrent jamais en discussion. La Chambre qui vous a précédé a été aussi saisie d'une proposition de M. Pascal Duprat sur le même objet; mais elle a terminé son mandat sans avoir eu le temps de l'examiner. Comme on le voit, la Constitution de 1875 est muette sur un troisième genre de responsabilité que plusieurs des constitutions précédentes, notamment celle de 1848, établissaient d'une manière expresse, la responsabilité civile. (Mais on ne saurait en induire que la Constitution de 1875 a voulu affranchir les ministres de toute responsabilité de cette nature. En effet, le principe de la responsabilité civile résulte des principes généraux de notre droit; il est écrit dans nos lois et il n'a jamais été contesté dans nos Assemblées parlementaires qu'il fût applicable aux mandataires de l'Etat, aux ministres, et une semblable application a été souvent faite par les législations antérieures, par des lois spéciales. C'est un principe général que a tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer ». C'est encore un principe universellement accepté, « que le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion ». En termes plus ou moins explicites, la Constitution de 1791, celle de 1793, celle de l'an VIII, la Charte de 1814 ont entendu étendre, jusqu'à l'application de ces principes, la responsabilité ministérielle. Sous la Restauration, les Chambres en ont édicté un application précise, qui ne peut laisser aucun doute sur l'interprétation qu'elles faisaient des dispositions de la charte constitutionnelle relatives à la responsabilité des ministres. La loi des finances du 25 mars 1817 dispose, en effet, dans ses articles 151 et 152, « que les ministre ne pourront, sous leur responsabilité, dé. penser au delà du crédit » ouvert à chacun d'eux, et que le ministre des finances ne pourra, sous la même responsabilité, autoriser les payements excédants que dans les cas extraordinaires et urgents, et en vertu d'ordonnances du roi, qui devront être converties en lois à la plus prochaine session des Chambres. >> La constitution de 1848 est plus précise encore, car, après avoir, dans son article 68, édicté que « le Président de la République, les ministres, les agents et dépositaires de l'autorité publique sont responsables, chacun en ce qui les concerne, de tous les actes du gouvernement et de l'administration », elle décide, dans son article 98, que dans tous les cas de responsabilité des ministres, l'Assemblée nationale peut, selon les circonstances, renvoyer le ministre inculpé, soit devant la haute cour de justice, soit devant les tribunaux ordinaires, pour les réparations civiles. Vous êtes saisis maintenant d'une proposition de l'honorable M. Guichard; mais cette proposition n'a trait qu'à la responsabilité civile des ministres. Votre commission n'a pas cru devoir étendre sa tâche au delà des limites précises indiquées par l'auteur de la proposition. Cependant, nous n'avons pas besoin de faire remarquer que l'absence d'une loi spéciale pour définir les actes qui donnent lieu à la responsabilité pénale des ministres ne rend certainement pas cette responsabilité illusoire. La question qui doit exclusivement nous occuper, celle de la responsabilité civile des minis. tres, a donné lieu dans les Chambres, de 1832 à 1836, à des débats très approfondis auxquels. encore aujourd'hui, il y a peu de choses à ajouter. La première proposition, déposée à la Chambre des députés par M. Devaux, admettait purement et simplement la responsabilité civile. Au contraire, le projet du Gouvernement, dont le garde des sceaux, M. Barthe, était l'auteur, la passait sous silence. Mais la commission nommée pour La même question s'est posée devant la Cham- examiner les deux propositions n'hésita pas à bre des pairs, constituée en haute cour de jus. donner raison à M. Devaux, et, dans le rapport tice, pour juger le procès des ministres, en 1830. dont il fut chargé, M. Bérenger en admet le prinIl s'agissait de statuer sur des demandes en ré- cipe et propose de la déterminer d'une manière parations civiles formées contre les anciens mi-effective, en fixant, de la manière suivante, les nistres de Charles X mis en accusation. Il en cas dans lesquels elle pourrait être encourue : est du crime ministériel comme de tous les « Toute faute grave dans la surveillance et autres crimes. Indépendamment du mal moral l'exécution des lois et règlements relatifs aux qu'ils causeut, les crimes peuvent produire un comptables et à la conservation de la fortune et dommage matériel, appréciable en argent; il du domaine publics; tout emprunt non autorisé peut donc y avoir lieu à des dédommagements, par une loi, ou contracté sans avoir observé les en d'autres termes à la réparation civile. Le règles prescrites par la loi qui l'autorise; toute principe n'en fut pas contesté. Seulement, la émission de bons royaux au-delà des limites cour des pairs, jugeant qu'à raison de la nature fixées par la loi ou la nécessité; toute garantie de l'action et des formes dans lesquelles cette donnée à un emprunt ou à une créance étranaction était poursuivie, elle ne se trouvait pas gère, et qui engagerait le Trésor sans l'autorisaconstituée de manière à statuer sur des intérêts tion des Chombres; tout emploi des deniers civils, « déclare que, dans les débats, ne seront publics hors les prévisions et les cré lits législaappelés ni reçus aucun intervenant ou parties tifs et non justifiés par la nécessité. » civiles, tous leurs droits réservés pour se pourvoir s'il y a lieu. >> Le Gouvernement se rallia alors à la proposition de la commission, et M. Barthe déposait bientôt un nouveau projet qui ne diffère de l'œuvre de la commission qu'au point de vue de la rédaction et de la forme. Mais il s'agissait devant la cour des pairs d'une action en réparation civile qui était la conséquence d'un crime. La question de savoir si l'on pouvait aller au delà et admettre la responsabilité civile des ministres en dehors de toute intention criminelle et pour des fautes lourdes, ne devait pas tarder à se poser devant les Chambres. Depuis longtemps, l'opinion réclamait une loi fixant les conditions de la responsabilité ministérielle, determinant les formes de la poursuite et du jugement, et réglant les pénalités et les réparations. En 1816, en 1817, en 1819, on avait vainement provoqué le Gouvernement à en prendre l'initiative, et les Chambres à en délibérer. En 1830, lorsque les derniers ministres de la légitimité, convaincus d'avoir violé la Constitution et les lois, furent mis en accusation et renvoyés devant la cour des pairs; cette loi n'existait pas encore, et il fallut improviser toutes les règles d'une procédure nouvelle. Aussi, dès 1832, la Chambre des députés fut-elle saisie à la fois d'une proposition émanant de l'initiative parlementaire et d'un projet de loi du Gouvernement. Les dispositions constitutionnelles qui organi sent cette responsabilité, et le code pénal, qui ne laisse aucun crime sans définition et sans pénalité, suffisent amplement pour défendre, à ce point de vue, les intérêts de l'Etat, comme l'a démontré d'ailleurs le procès des derniers ministres de la Restauration. La Chambre, après avoir nommé une nouvelle commission qui avait adopté, quant au fond, le projet du Gouvernement, n'allait pas tarder à discuter ce projet quand, le ministère ayant changé, le nouveau garde des sceaux, M. Persil, déposa un projet qui différait notablement des précédents et refusait nettement d'organiser la responsabilité civile des ministres. Une nouvelle commission fut nommée — c'était en 1835 dont M. Sauzet devint le rapporteur. La commission de 1835 abandonna l'œuvre de sa devancière, au point de vue qui nous occupe, et, comme le demandait le Gouvernement, elle refusa d'organiser, dans son projet, la res ponsabilité civile, sans toutefois en contester le principe; elle proposait même une disposition spéciale qui, tout en limitant très étroitement la responsabilité civile des ministres, en la rendant même illusoire, n'en proclamait pas moins le principe général. En expliquant la pensée de la commission, le rapporteur ajoutait « Toutefois, nous n'avons pas voulu laisser le trésor et le budget à la discrétion des ministres, et quand, par une impardonnable légèreté ou une coupable affectation, le ministre se sera fait un jeu de désobéir à la loi et de dépasser les crédits, il sera libre à la Chambre de voir dans la violation de la loi des finances les caractères d'une prévarication... la Chambre des députés pourra, suivant les circonstances, accuser le ministre de prévarication, et la cour des pairs pourra mettre à sa charge la dépense rejetée. » Et, en effet, la commission proposait une disposition ainsi conçue : a Lorsqu'un ministre aura dépassé les crédits ouverts par le budget à son département et que les crédits supplémentaires ou extraordinaires, par lui demandés, auront été rejetés, la Chambre des députés pourra, suivant les circonstances, l'accuser de prévarication. La cour des pairs, en statuant sur l'ac cusation, pourra mettre à la chargo du ministre tout ou pariie de la dépense rejetée ». C'est sur ce rapport que s'ouvrit la discussion, à la Chambre des députés. Comme on le voit, il s'agissait de décider, non pas si l'action en ré paration civile était ouverte contre les ministres cela n'était contesté par personne — mais si le droit d'intenter une action de cette nature pouvait résulter tout à la fois d'un crime et d'un délit, et d'une faute lourde, ou d'un crime et d'un délit seulement. La question fut vivement débattue. Naturellement, M. Bérenger défendit le système qu'il avait proposé déjà et demanda que la responsabilité civile et pécuniaire des ministres fût organisée sur les bases qu'il avait indiquées. I fut appuyé par plusieurs orateurs, notamment par M. Dufaure, qui s'efforça de montrer l'inconséquence de la disposition proposée par la commission. La commission reconnaissait que la Chambre pouvait rejeter une demande de crédits supplémentaires pour des dépenses déjà faites; en ne faisant pas découler de ce rejet la responsabilité du ministre, elle créait ainsi un vide dans le trésor, sans offrir aucun moyen de le combler. M. Dufaure ajoutait que, dans un cas pareil, la responsabilité n'était pas nécessairement la conséquence d'un crime ou d'un délit, mais d'une simple inexécution du mandat, et que de ne pas le proclamer, c'était reculer par delà la loi de finances de 1817, faire moins que la Restauration elle-même. Le Gouvernement persistait dans son système, pour lequel il trouvait l'appui de M. de Lamartine, qui allait jusqu'à repousser toute responsabilité civile, même dans le cas de prévarication. La Chambre des députés s'arrêta à un système intermédiaire qui avait pour conséquence de dénaturer le caractère de toute prévarícation et de la faire résulter non seulement d'un dol ou d'une dilapidation, mais même d'une faute grave. Elle avait voulu répondre, par là, à ceux qui objectaient que, dans l'esprit de la proposition du Gouvernement, pour qu'un acte pût engager la responsabilité d'un ministre, il faudrait nécessairement qu'il eût tous les caractères d'un délit ou d'un crime; elle déclarait en conséquence que la prévarication pouvait n'être pas un délit ou un crime. C'est pourquoi, elle adoptait une disposition ainsi conçue : « Lorsqu'un ministre aura dépassé les crédits ouverts par le budget à son département, et que les crédits supplémentaires ou extraordinaires par lui demandés, auront été rejetés, la Chambre des députés pourra, en cas de faute grave, l'accuser de prévarication. La cour des pairs, en statuant sur l'accusation, pourra mettre à la charge du ministre tout ou partie de la dépense rejetée. » Le Gouvernement comprit bien le caractère insolite d'une pareille disposition, et en portant le projet à la chambre des pairs, il essayait de faire disparaître ce caractère par une interprétation restrictive, qui certainement n'était pas dans la pensée de la Chambre des députés. « La responsabilité civile, pécuniaire pour la réparation du préjudice causé par un crime ou un délit est admise comme conséquence de la responsabilité criminelle dans les cas où celle-ci se trouve encourue », disait le garde des sceaux, dans son exposé des motifs; et la Chambre « a rejeté avec raison un amendement qui tendait à soumettre les dépositaires du pouvoir, hors les cas où ils peuvent être accusés, et pour la réparation d'une simple erreur à une responsabilité pécuniaire. Mais cette interprétation ne prévalut, ni devant la commission de la chambre des pairs, ni devant l'Assemblée elle-même, et la disposition votée pour la chambre des députés fut rejetée précisément par ce qu'il était impossible de lui attribuer le caractère restrictif qu'avait voulu lui imprimer le Gouvernement, dans son exposé des motifs. 2 Le rapporteur de la chambre des pairs critiqua vivement, en effet, cette disposition portant qu'au « cas d'une faute grave, les ministres pourront être accusés de prévarication, car, disait-il, la faute même grave étant exclusive de l'intention criminelle, ne peut constituer un crime ou un délit comme l'est la prévarication. Examinant ensuite la question de savoir s'il serait utile de réorganiser la responsabilité civile et pécuniaire, le rapporteur, qui était pourtant M. Barthe, auteur du projet organisant cette responsabilité, constate que la Chambre des députés ne l'a pas fait et approuve, maintenant, cette omission. « Si le ministre, dit-il, qui a dépassé ses crédits a compromis sciemment les intérêts de l'Etat, ou abusé criminellement du pouvoir de se faire ouvrir les caisses publiques ou d'engager le Trésor, son intention étant perverse, il pourra être accusé de prévarication; si ses intentions ne peuvent pas être incriminées, alors même qu'on pourrait lui imputer l'erreur la plus grave, il ne sera l'objet ni d'une action criminelle, ni d'une action civile; mais selon les circonstances, les chambres lui retireront leur appui, et le roi sa confiance.» En conséquence, il conclut au rejet pur et simple de la disposition votée par la Chambre des députés. Malgré les protestations de plusieurs de ses membres, et notamment de M. le duc de Broglie, la Chambre des pairs consacra ce système par son vote. Il résulte donc des dispositions de 1832 à 1836, que si tout le monde était d'accord pour reconnaitre que l'action civile doit être ouverte comme conséquence d'un crime et d'un délit, il y avait dissentiment profond sur la question de savoir sil était nécessaire ou utile d'organiser la responsabilité civile des ministres, comme conséquence d'une simple faute grave, exclusive de toute intention criminelle. Mais quant au principe lui-même il n'était pas contesté. Par des raisons d'ordre pratique et politique, on refusait seulement de l'appliquer. On prétendait alors, comme on soutient encore aujourd'hui, que les immenses intérêts engagés, dans la gestion des affaires publiques, rendraient toujours vaine une réparation quelconque. Plus la faute sera grave, dit-on, et moins il y aura de chance d'obtenir un dédommagement, car quel dédommagement pourrait-on obtenir d'un ministre qui aurait engagé pour plusieurs millions de dépense. D'autre part, n'est-il pas à craindre qu'une semblable perspective soit de nature à éloigner bien des gens, et les plus honnêtes, d'une administration dont la moindre erreur et qui peut se flatter de n'en pas commettre?-compromettrait aussi gravement ses intérêts et pourrait le conduire a la ruine? Enfin, il s'agissait d'une somme minime, un procés contre un ministre ne revêtiraitil pas un caractère de tracasserie et de petitesse dont ne saurait s'accommoder la dignité d'un parlement? Après avoir ainsi décidé qu'il était nécessaire d'organiser la responsabilité civile des ministres vis-à-vis de l'Etat, votre commission s'est demandé si elle devait aller plus loin et vous proposer de réglementer l'action privée contre les ministres, comme tous les projets de loi déposés, dans les chambres précédentes, avaient essayé de le faire. Mais votre commissiou a jugé qu'il était préférable de ne pas étendre sa tâche jusque-là, et que d'ailleurs la jurispru dence sauvegardait, dans une mesure suffisante mais nécessaire, les intérêts privés. En effet, le recours pour excès de pouvoir, tel qu'il est orga. nisé, donne aux citoyens des garanties très réelles contre toute imprudence ministérielle ou toute fausse application des lois, et le droit com. mun leur assure un moyen très efficace de se défendre contre tout acte d'un agent du pouvoir, qui, n'ayant pas de caractère administratif constituerait une faute personnelle, ou une véritable voie de fait. Pour des motifs analogues, votre commission n'a pas pas pensé qu'il fût nécessaire de réglementer de nouveau la responsabilité des agents du pouvoir autres que les ministres, tels que les préfets et les maires, vis-à-vis des départements, des communes et des particuliers. Sur ce point aussi, la jurisprudence actuelle lui a paru également très suffisante, et il n'a jamais été contesté qu'une action fût ouverte contre les agents du pouvoir qui auraient agi en violation des lois ou règlemennts, ou qui auraient tenté de couvrir du caractère administratif, une faute personnelle. L'abrogation de l'article 75 de la Constitution de l'an VIII a rendu plus facile encore toute action de cette nature en la débarrassant de toutes conditions d'autorisation préalable. III COMPÉTENCE ET JURIDICTION Le principe de la responsabilité civile des ministres ainsi admis et limité, il faut entrer maintenant dans l'examen des questions de compétence. Quelle autorité sera juge du point de savoir si les ministres ont engagé leur responsabilité? Qui dira quelles réparations ils doivent? La première question est facile à résoudre. Si le Trésor public n'éprouve aucune perte, les ministres sont déchargés de toute responsabilité. Il est évident, qu'alors même qu'il y aurait eu faute, l'Etat ne peut pas s'enrichir aux dépens d'autrui, aux dépens de ses mandataires et qu'il lui suffit d'être couvert des pertes qu'il subit. Or, qui peut décider si les finances publiques ont été engagées là où elles ne devaient pas l'être, si l'Etat subi une perte appréciable en argent? Le Parlement et particulièrement la Chambre des députés, à qui appartient plus spécialement la disposition de la fortune natio nale. Mais si l'on passe à la seconde question, les difficltés commencent, des opinions divergentes se manifestent. On ne comprend guère que la pensée soit venue à quelquee-uns de soumettre de pareilles questions à l'examen des tribunaux de l'ordre judiciaire. Ils n'ont pas vu que ce serait méconnaitre complètement le grand principe de la séparation des pouvoirs. A la vérité, les raisons d'être d'un tel principe sont si mal connues d'un grand nombre, ce principe lui-même est l'objet de tant d'erreurs accréditées, qu'il n'est pas étonnant que de fort bons esprits arrivent à en contester la légitimité et s'engagent parfois, sans en peser, sans même en prévoir les conséquences, dans une voie qui équivaudrait à son abrogation pure et simple. Or, messieurs, le principe de la séparation des pouvoirs a pour objet, non seulement de garantir la protection des intérêts privés, mais surtout d'assurer la défense des intérêts collectifs, des intérêts de l'Etat. Si donc le législateur venait à violer ce principe, ou à en faire une fausse application, en confondant les attributions naturelles des organes ou des autorités distinctes, dont l'ensemble constitue l'exercice de la puissance publique, il est clair que les garanties qu'on cherche, dans la séparation des pouvoirs, disparaîtrait et que l'intérêt général pourrait être sacrifié à l'intérêt privé. D'après les règles de notre droit public, les assemblées, qui représentent le souverain, délè guent le pouvoir exécutif; le droit d'administrer, et le droit de rendre la justice sont confiés à des autorités distinctes, dont les attributions doivent être rigoureusement déterminées afin d'empêcher tout empiètement réciproque de l'une sur l'autre. L'administration, organe des intérêts collectifs, s'exerce sous la surveillance ou le contrôle du pouvoir législatif. Cela est na. turel, puisque le pouvoir législatif représente la nation, et que la nation, c'est à dire le souve rain, ne peut être dirigée ou contrôlée que par elle-même. L'autorité judiciaire est exclusivement chargée de statuer sur les contestations où l'intérêt privé seul est engagé. Le jugement des contestations que peut faire naître le contact de l'intérêt public et de l'intérêt privé est réservé à l'autorité administrative. La raison en est décisive, c'est que si l'autorité judiciaire pouvait intervenir en pareille matière, entre l'intérêt public et l'intérêt privé, elle arriverait ainsi à s'immiscer dans les opérations administratives, à les apprécier, à les contrôler, rôle qui appartient exclusivement et nécessairement aux re présentants de la nation. Il en résulterait que l'oeuvre administrative serait troublée par l'autorité judiciaire, par les revendications de l'intérêt privé, et que les intérêts collectifs ou généraux ne pourraient recevoir les satisfactions qui leur sont dus, et pour lesquels le pouvoir politique ou représentatif a été spécialement constitué. Les conflits seraient permanents et aboutiraient à élever autorité contre autorité, à mettre aux prises l'autorité judiciaire et le pouvoir politique; aucune solution ne pourrait intervenir, les affaires de l'Etat resteraient en suspens; tration, d'une part, seraient peu propres à se li- La juridiction administrative a une antre rai- Mais on peut supposer des actes de l'administration ayant un tout autre caractère, constituant ou une fausse interprétation de la loi, ou causant un dommage direct, soit parce qu'ils portent atteinte à un droit, soit parce qu'ils médoit être à la fois modératrice et modérée. connaissent les conditions d'un contrat. On se Telle est la justification du principe de la sétrouve alors en face de questions de droit à réparation des pouvoirs, comme aussi de la sépasoudre, ou de causes particulières à interpréter. ration des autorités administrative et judiciaire. Or, disent quelques-uns, c'est sur des débats On voit par là comment ce principe serait violé analogues, entre des intérêts privés, que l'auto- si les tribunaux de l'ordre judiciaire étaient rité judiciaire a mission de se prononcer. Il s'a appelés à statuer sur la responsabilité civile des git, il est vrai, dans les cas qui nous occupent, ministres. Tout acte ministériel, pouvant ende contestations entre l'intérêt public et l'inté traîner la responsabilité, est incontestablement rêt privé; mais on a si bien reconnu l'analogie un acte administratif, puisqu'il a été accompli qu'on n'en a pas laissé l'appréciation à l'admi- pour la gestion d'un service public. Dès lors, nistration elle-même, et qu'on a institué une ju. n'est-il pas évident que la compétence de l'ausridiction spéciale pour les juger, la juridiction torité judiciaire, en pareille matière, aurait pour administrative; pourquoi ne pas pousser l'ana effet d'enlever au pouvoir législatif une attribulogie plus loin, et ne pas confier à la juridiction tion qui, de toute nécessité, doit lui être excluordinaire le jugement de toutes les contesta sivement réservée? Il est clair que l'autorité tions quelconques, soit entre les intérêts privés, judiciaire ne peut pas être appelée à juger le soit entre les intérêts publics et les intérêts pouvoir politique. privés? La compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire ainsi écartée, on a posé la question de savoir si l'action, en réparation civile contre un ministre, ne pourrait pas être portée devant la juridiction administrative, dont nous venons de voir le caractère et la raison d'être. Par des motifs qui lui ont paru décisifs, et que vous aurez à apprécier, votre commission ne l'a pas pensé. Il n'est pas difficile de montrer que c'est par une application, à la fois logique et pratique, du principe de la séparation des pouvoirs qu'on a été conduit à établir la juridiction administra tive à tel point qu'on peut dire que sans elle, la séparation des pouvoirs ne serait souvent qu'un vain mot. En effet, il suffit de posséder quelques notions précises en droit administratif, pour voir combien les questions administratives Les objections qui s'élèvent naturellement sont enchevêtrées, combien il est souvent dif- contre la compétence de la juridiction adminisficile de distinguer entre les actes contre les-trative, s'appliquent, d'ailleurs aussi, aux tribuquels aucun recours n'est ouvert, et ceux qui naux de l'ordre judiciaire. Elles sont d'ordre constituent ou une fausse application de la loi, constitutionnel. En effet, aux termes de la Conou une violation d'un droit pouvant donner lieu stitution, le Parlement est seul en état de juger à une action en réparation. La raison en est sim si les finances publiques ont été engagées, il a ple, c'est que les questions administratives se seul la disposition de la fortune nationale et le rapportent à un ensemble d'actes qui n'ont droit de vérifier l'état du Trésor. Or, n'est-il pas qu'une analogie lointaine avec les actes des par- évident que donner à des tribunaux, quels qu'ils ticuliers. De là, le caractère si différent des lois soient, une compétence, dans le cas où la resadministratives et des lois civiles. Dans les lois ponsabilité civile des ministres peut être engaciviles, deux intérêts privés sont en présence et gée, c'est leur donner le droit d'examiner l'état doivent être traités sur un pied d'égalité. Dans de la fortune publique ? les lois administratives, c'est l'intérêt public qui impose un sacrifice à l'intérêt privé. Or, de pa reilles différences exigent des études spéciales et justifient des habitudes d'esprit particulières. Les études administratives sont d'autant plus faciles et d'autant plus complètes qu'on est davantage mêlé aux opérations administratives, et T'esprit de l'administration s'acquiert surtout par le contact avec les agents de l'administration. Dès lors, on comprend combien les magistrats de l'ordre judiciaire qui, par leur existence, par leurs habitudes, vivent en dehors de l'adminis Il est facile de s'en rendre compte. Un ministre a fait une dépense sans crédit, ou engagé une entreprise pour une somme supérieure aux crédits qui lui ont été ouverts; il a commis tout autre faute diminuant la fortune publique. Dans tous ces cas des crédits nouveaux sont nécessaires pour couvrir l'irrégularité. Dès lors, le parlement, spécialement la Chambre des députés, sera forcément amené à apprécier la perte subie par le Trésor public. Lui seul à qui la nation a confié la disposition de ses deniers, pourra dire si les dépenses faites ou engagées sont utiles, imprudentes ou dangereuses, si la nation les Il fallait donc chercher ailleurs. Dans les projets de loi divers, qui ont été examinés par les Chambres de 1832 à 1836, on proposait de décider que lorsque la responsabilité d'un ministre paraîtrait engagée, chacune des deux Chambres pouvant prendre à cet égard une initiative, le Parlement déciderait, dans la forme ordinaire des lois, si le ministre a encouru la responsabilité et que, dans le cas de l'affirmative, sa réso. lution fixant la quotité du dommage dont la réparation est due à l'Etat emporterait irrévocablement pleine et entière exécution. Mais les Chambres ayant refusé d'organiser la responsabilité indépendamment des crimes et délits, logiquement la cour des pairs devenait seule compétente pour statuer sur les demandes en réparation civile qui étaient la conséquence des poursuites criminelles portées devant elle. C'est par analogie, sans doute, que quelques personnes avaient pensé qu'on pourrait donner au Sénat, probablement constitué en haute cour de justice, une compétence illimitée pour statuer en matière de responsabilité civile des ministres. Mais votre commission a jugé qu'il n'y avait pas d'analogie entre les cas où la responsabilité civile des ministres est seule engagée, et ceux auxquels s'applique l'article 12 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875. D'ailleurs, on a fait observer qu'à l'égard du Sénat constitué en haute cour de justice, on pourrait élever des objections assez semblables à celles que nous avons vu se dresser contre tout tribunal de l'ordre administratif ou judiciaire. En effet, le Sénat serait ainsi conduit à disposer seul d'une partie de la fortune publique, rôle qui, cependant, appartient plus particulièrement à la Chambre des députés, qui doit toujours voter la première et qui, par suite, peut seule prendre des initiatives en cette matière. D'autre part, votre commission a pensé que la forme d'une loi ordinaire, qui était le système proposé de 1832 à 1836, n'offrirait pas de suffisantes garanties aux ministres dont la responsabilité serait engagée; qu'en effet, ils ne pourraient être admis le plus souvent ni à présenter une défense complète, ni même à fournir des explications. Votre commission a été ainsi conduite à examiner un système qui, tout en faisant tomber les objections s'élevant naturellement contre toute cour de justice, aurait pour conséquence, en respectant la compétence constitutionnelle des chambres, en matière de deniers publics, d'offrir de réelles garanties aux ministres dont les actes seraient regardés comme ayant compromis les intérêts du Trésor. Or, elle est convaincue qu'on trouverait tous ces avantages en donnant aux Chambres, séparément ou conjointement, le droit de décider qu'il y a lieu d'exa |