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de la somme nécessaire : c'est de leur part un bénéfice de 24,000 francs environ, dont 18,000 fr. applicables aux chemins de grande communicatíon et d'intérêt commun.

Dans ces circonstances, le conseil général, par délibération des 4 et 5 avril dernier, a adopté une combinaison d'après laquelle le département serait autorisé :

1 A accepter, jusqu'à concurrence de 181,650 francs, les avances qui lui seraient faites par les agriculteurs et industriels pour la réfection des chaussées, à charge par le département de rembourser lesdites avances en 1884 et 1885, sans intérêts;

2 A s'imposer extraordinairement, pendant les années 1884 et 1885, 2 centimes additionnels au principal des quatre contributions directes, dont le produit serait applicable tant au rem boursement des avances, montant à 181,650 francs, qu'aux travaux de réfection des voies vicinales. Ces 2 centimes produiraient, pour les deux années, un peu plus de 220,000 francs. Les avances pourraient donc être remboursées; et il resterait un excédent de 38,000 francs qui serait affecté aux chemins vicinaux ordinaires : ce dernier réseau, lui aussi, a été très éprouvé. M. l'ingénieur en chef évalue à 135,700 francs la somme nécessaire pour parer aux restaurations urgentes de la petite vicinalité, et il a paru équitable au conseil de venir en aide aux communes, qui, pour rétablir la circulation, devront s'imposer de très lourds sacrifices.

L'autorisation demandée porterait à 22 cen times les charges extraordinaires du département, qui sont de 20 centimes pour les années 1884 et 1885 dans la situation actuelle. Elles excèderaient, par conséquent, de 2.41 la moyenne des charges de l'espèce imposée sur l'ensemble des départements, laquelle ressort, d'après les rôles de 1883, à 19.59. M. le ministre des finances, consulté, déclare qu'au point de vue du recouvrement et des frais de poursuites, la situation du département de l'Aisne est satisfaisante: l'imposition n'ayant, d'ailleurs, qu'une courte durée et une importance restreinte, il estime qu'il n'y a pas d'inconvénient, en ce qui concerne le service des contributions directes, à donner suite à la demande du conseil général. En conséquence, votre commission a l'honneur de vous proposer l'adoption du projet de loi soumis à vos délibérations.

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RAPPORT fait au nom de la 15° commission d'intérêt local (1) chargée d'examiner le projet de loi tendant à autoriser le département de la Loire à s'imposer extraordinairement pour les travaux des chemins vicinaux d'intérêt commun, par M. Bellot, député.

Messieurs, le conseil général de la Loire, dans sa session d'août 1881, a classé parmi les chemins vicinaux d'intérêt commun, sous la dénomination de nouveau réseau, 1,524 kilomètres de lignes ordinaires, dont 947 kilomètres sont à l'Etat de viabilité ou d'entretien, et le surplus en construction ou en lacune.

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L'assemblée départementale pensait, en fai sant ce classement, que le projet de déclassement des routes départementales, en ce moment à l'étude, permettrait de disposer de ressources suffisantes pour assurer les dépenses d'entretien de ces lignes d'intérêt commun. Mais les formalités de déclassement des routes ne sont pas terminées, et les ressources sur lesquelles comptait le conseil général ne deviendront libres, selon toute vraisemblance, qu'en 1885. Dans ces conditions, il importait de prendre les mesures nécessaires pour faire face à la dépense en 1884. Pour un entretien régulier, il faudrait 140 cantonniers et chefs cantonniers, à 650 fr. l'un, qui exigeraient une dépense de 91,000 fr.; les matériaux et ouvrages d'art coûteraient environ 30,000 fr., soit une dépense totale de 121,000 fr. Le rachat des prestations et le produit des centimes spéciaux pouvant être évalués, en chiffre rond, à 40,000 fr., le déficit est de 81,000 fr. L'assemblée départementale a estimé que le département devait venir en aide aux communes et leur accorder des subventions qui leur permettront de maintenir en bon état des chemins pour lesquels elles se sont imposé des sacrifices considérables. Elle a demandé, à cet effet, par délibération du 5 avril 1883, que le département fût autorisé à s'imposer extraordinairement, en 1884, deux centimes additionnels au principal des quatre contributions directes, dont le montant serait employé à l'entretien du nouyeau réseau de lignes d'intérêt commun. Cette imposition produirait environ 88,000 francs, somme supérieure à celle de 81,000 francs reconnue nécessaire. Dans la pensée du conseil général, le surplus serait appliqué à l'amélioration des chemins du même réseau.

L'autorisation sollicitée porterait les charges des contribuables, pour 1884, à 0 fr. 1466 en tenant compte d'une imposition de 0 fr. 0066 vo tée par l'assemblée départementale dans sa session d'août 1882, et qui doit être soumise ültérieurement à la sanction législative. Ces charges seraient donc notablement inférieures à la moyenne de 0 fr. 1959 imposées sur l'ensemble des départements.

En conséquence, messieurs, la 15 commission d'intérêt local a l'honneur de vous proposer l'adoption du projet de loi suivant :

(1) Cette commission est composée de : MM. Esnault, président; Cornudet, secrétaire; La Vieille, Ringuier, Baltet, Lalanne, le comte de Lanjuinais, Lechevallier, Bellot, Develle (Meuse), Deniau.(Voir le N° 1939.)

plus à réaliser, en 1884, que 50,000 francs. Or les travaux sont loin d'être finis. Le rapport de M. l'agent voyer en chef, en date du 27 octobre 1882, nous montre que, d'une part, les chemins de grande communication, dont l'étendue est de 540 kilomètres, sont en construction sur une longueur de 18 kilomètres, à l'état de la cune sur 14 kilomètres. La dépense nécessaire pour l'achèvement de ce réseau est évaluée à 650,000 francs. D'autre part, sur les 1,465 kilomètres qui composent le réseau d'intérêt commun, 42 kilomètres sont en construction et 277 en lacune. Pour terminer les lignes de cette dernière catégorie, il faudrait au moins 5,000,000 de francs. La dépense totale serait donc de 5,650,000 francs.

Or le département ne peut disposer, pour couvrir ces frais, que d'une somme d'environ 630,000 francs, y compris une subvention de 220,000 fr. demandée à l'Etat. Il lui manque donc environ 5,000,000 de francs. En empruntant aujourd'hui 750,000 francs, le département du Cantal ne pourra entreprendre que les travaux les plus urgents.

La nécessité de cet emprunt nous paraît donc suffisamment démontrée.

Il serait imputé sur le fonds de 200 millions de francs créé par l'article 3, paragraphe 1, de la loi du 10 avril 1879. Le service des intérêts et le remboursement exigeraient le payement de trente annuités dont la plus élevée ne dépasserait pas 30,000 fr.

Le conseil général a reconnu que cette somme pouvait être prélevée, de 1884 à 1891, sur le pro duit de l'imposition extraordinaire de 4 c. 67 autorisée par la loi du 7 décembre 1881 pour les travaux des chemins vicinaux; mais, cette imposition devant prendre fin en 1891, l'assemblée départementale a demandé, par sa délibération du 26 août 1882, que, pendant vingt-deux ans à partir de 1892, le département fut autorisé à s'imposer extraordinairement 2 centimes additionnels au principal des quatre contributions directes. Cette imposition produirait environ 31,000 fr., c'est-à-dire que le service de l'emprunt étant aseuré, il y aurait un reliquat de 1,000 fr. qui pourrait être appliqué aux travaux des chemins vicinaux.

Cette imposition nouvelle sera-t-elle facilement supportée ? Cela n'est pas douteux.

Dans la situation actuelle, les charges extraordinaires du département, qui sont de 20 centimes pour 1883, s'élèvent à 20 c. 50 du 1er janvier 1884 au 31 décembre 1889; elles s'abaissent ensuite à 19 c. 50 en 1890 et 1891, à 14 c. 83 de 1892 à 1908, à 12 c. 83 de 1909 à 1911, et tombent à 12 c. 50 en 1912 et 1913.

L'autorisation demandée aurait donc pour effet de les laisser sans changement jusqu'en 1891, et de les porter ensuite:

A 16 c. 83 de 1892 à 1908.
A 14 c. 83 de 1909 à 1911.

Et à 14 c. 50 en 1912 et en 1913.

Ainsi, le nombre des centimes extraordinai. res que les contribuables du Cantal auraient à supporter pendant toute la durée de la nouvelle imposition (22 ans) serait sensiblement inférieur à la moyenne des centimes de l'espèce imposés sur l'ensemble des départements. On sait, en effet, que cette moyenne ressort à 19 c. 59 d'après les rôles de 1883.

D'ailleurs, au point de vue du recouvrement et des frais de poursuites, la situation est satisfaisante. La proportion moyenne des frais de poursuites avec les recouvrements est, pour le département du Cantal, de 0.55 p. 100, tandis que, pour l'ensemble de la France, elle est de 1.72 p. 100. Ces résultats prouvent la facilité avec laquelle les recouvrements s'effectuent dans le Cantal, et ils paraissent d'autant plus significatifs qu'ils se rapportent à une époque où les charges départementales extraordinaires atteignaient, depuis plusieurs années, 20 centimes, c'est-à-dire un chiffre supérieur à celui auquel elles seraient fixées pendant la durée de la nouvelle imposition.

Aussi, dans une lettre à M. le ministre de l'intérieur, à la date du 21 mai 1883, M. le ministre des finances a-t-il émis un avis favorable à la demande du conseil général du Cantal.

Dans ces conditions, messieurs, votre commission n'hésite pas à vous proposer l'adoption du projet de loi déposé par le Gouvernement, projet dont la teneur suit.

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des chemins vicinaux, aux conditions de cet établissement, une somme de 750,000 fr. applicable aux travaux des lignes de grande communication et d'intérêt commun.

La réalisation de cet emprunt, qui sera imputé sur les 200,000,000 francs dont la caisse des chemins vicinaux est autorisée à disposer en exécu• tion de l'article 3, paragraphe 1" de la loi du 10 avril 1879, ne pourra être effectuée qu'en vertu d'une décision du ministre de l'intérieur.

Art. 2. Le département du Cantal est éga lement autorisé à s'imposer extraordinairement, par addition au principal des quatre contribu tions directes, 2 centimes pendant vingt-deux ans à partir de 1892, dont le produit sera consacré, avec un prélèvement sur le montant de l'imposition extraordinairc de 4 c. 67 autorisée par la loi du 7 décembre 1881, au service des intérêts et au remboursement de l'emprunt autorisé par l'article 1" ci-dessus.

La nouvelle imposition sera recouvrée indé pendamment des centimes extraordinaires, dont le maximum est fixé chaque année par la loi de finances, en exécution de la loi du 10 août 1871.

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DE LA NÉCESSITÉ DU CONTROLE ET DE LA RESPONSABILITÉ.

Messieurs, le droit de contrôle et la responsabilité des agents du pouvoir sont, pour les peuples libres, les conditions mêmes de leur liberté et l'unique moyen de rendre effectif le gouvernement du pays par le pays. Il y a donc nécessité de les organiser. C'est l'intérêt du pays, et c'est aussi l'intérêt de ceux qui exercent le pouvoir, quand ils sont d'honnêtes gens, car ils échappent ainsi aux suspicions imméritées et aux tentatives de l'envie.

Sous l'ancienne monarchie, la nation n'exerçait aucun contrôle, pas même en matière financière. Les Etats généraux, qui étaient censés la représenter, n'étaient appelés ni à voter, chaque année, le budget, terme inconnu alors, ni par conséquent à vérifier la manière dont le pouvoir royal s'était conformé à leurs décisions. Ils n'étaient convoqués, à des intervalles éloignés, que pour voter les impôts nouveaux rendus nécessaires par les prodigalités de la cour et l'épuisement des ressources du trésor. Ils présentaient des doléances et se séparaient sans conserver aucun droit de suite sur les actes accomplis en vertu de leurs délibérations. On ne leur rendait pas de comptes. Quant au contrôle politique, ils ne l'exerçaient à aucun degré. Il n'y avait donc, pour le pouvoir, ni responsabilité politique, ni responsabilité pécuniaire. Mais quand le contrôle et la responsabilité ne sont pas établis par les lois, il arrive toujours un moment où la Révolution se charge de les organiser.

Aussi, dès que la nation eat repris possession d'elle-même, le premier soin de ses représentants fut-il de se saisir du droit de contrôle au double point de vue politique et financier. Depuis cette époque, aucun gouvernement n'a osé proclamer son indépendance absolue, et les constitutions dictatoriales elles mêmes, tout en dépouillant, en fait, la nation de ses prérogatives gouvernementales, refusaient de l'avouer en principe; elles prétendaient s'appuyer sur les principes de 89 et cherchaient à faire illusion au pays en organisant des simulacres de représentation Mais, pour rendre effectif le rôle de la nation, il ne suffit pas d'en reconnaître la nécessité; il faut l'organiser et lui donner la sanction des responsabilités individuelles.

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Nous n'avons pas à nous occuper ici du contrôle et de la responsabilité politiques proprement dits. Ils ne sont pas en question, et depuis quelques années, les ministres ont suffisamment fait l'expérience de leur responsabilité politique pour qu'on n'en puisse pas contester l'exis. tence. Mais on a souvent soutenu que le contrôle financier de la nation manquait de règles suffisamment précises pour qu'il fût véritablement effectif. A la vérité, nous croyons qu'on a beaucoup exagéré les lacunes de la législation à cet égard, et, d'ailleurs, il faut le dire, à l'honneur de l'espèce humaine, les cas où la responsabilité civile des agents du pouvoir aurait pu être mise en jeu ont été extrêmement rares, tout à fait exceptionnels.

Néanmoins, les représentants du pays, qui votent l'impôt, doivent en connaître la destination et l'emploi, d'une manière précise, et en arrêter définitivement les comptes. C'est pourquoi l'Assemblée constituante, l'Assemblée législative, la Convention nationale et tous les pouvoirs qui ont suivi jusqu'à l'an VIII avaient établi un rouage administratif placé auprès d'eux et permettant aux représentants du pays d'exercer une action directe et souveraine sur la comptabilité publique et de s'assurer ainsi que les crédits étaient employés et les dépenses faites conformément à leurs décisions. C'est de là qu'est sortie la cour des comptes, par une conséquence naturelle de l'importance prise par ces bureaux de comptabilité et de vérificatiou. Nous ne pouvons pas entrer dans l'examen de nos contrôles publics, et particulièrement de l'organisation de la cour des comptes. Mais nous demandons la permission de dire que peut-être ne sont-ils pas assez connus et qu'il serait désirable de prendre certaines mesures, prineipalement dans le but de rendre leur action plus rapide. Tout le monde peut néanmoins reconnaître, en les étudiant de près, qu'ils constituent un ensemble de garanties qu'il serait difficile de rendre plus complètes et plus effi

caces.

Ce qui seul a pu souvent les faire paraître critiquables n'est rien autre que l'insuffisance évidente, en certains cas, des règles établies pour la préparation des affaires et la difficulté qu'il y a d'en apprécier préalablement le caractère et la portée.

Suivant nous, en effet, ce qui manque, dans l'organisation actuelle, pour rendre plus réel le contrôle des Assemblées, pour assurer l'exécution de leur volonté, d'une manière plus stricte, ce sont des mesures qu'on nous permettra d'appeler préventives. Sur quels points, en effet, portent principalement les critiques qui ont été Souvent adressées à la législation, en matière de contrôle? On peut les ranger en deux caté. gories: 1° les ministres ne respectent pas la spécialité par article, c'est-à-dire que, dans les li mites de l'un des chapitres du budget voté, chaque année, par les Assemblées, un crédit qui avait été affecté, en prévision, à un objet n'est pas employé tout entier pour cet objet particu

et sert à couvrir une dépense qui, dans un autre article du même chapitre, n'avait été prévue que pour une somme insuffisante; 2° une entreprise qui, souvent, n'avait été décidée que parce qu'elle n'avait pas paru entraîner une dé. pense dépassant les ressources du trésor, ou parce que cette dépense ne paraissait pas hors de proportion avec l'utilité que l'Etat pouvait en retirer, exige souvent une somme très supérieure à celle qui avait été prévue, ce qui bouleverse toutes les combinaisons budgétaires, ou conduit à des déceptions qui font parfois regretter aux Assemblées de s'être engagées dans une opérations de cette nature.

Or, sur le premier point, on peut répondre que, si les ministres ne respectent pas la spécialité par article, c'est qu'ils ne sont pas tenus de la respecter. Aux termes de l'article 30 de la loi du 16 septembre 1871, les crédits sont votés par chapitre, et. jusqu'à l'abrogation de cette loi, la limite du chapitre est seule obligatoire. Les évaluations par article ne sont que des indications destinées à justifier le crédit total demandé pour le chapitre. Les ministres ne peuvent pas dépasser ce crédit total, mais ils peuvent l'appliquer dans des proportions autres que celles qui ont été prévues pour chacun de ces objets. C'est là une prérogative légale, et le seul moyen de la restreindre ou de la supprimer, si l'on reconnaît qu'elle engendre des abus, serait de voter le budget par article, si toutefois on ne redoute pas que ce soit là un obstacle à la marche de l'administration. Dès lors, la spécialité par article serait respectée comme l'est aujourd'hui la spécialité par chapitres. Le vote par chapitre a

été un premier progrès; l'augmentation du nombre des chapitres en a été un autre. Il s'agit de savoir si l'on peut aller, sans inconvénient, jusqu'au vote par article. Dans tous les cas, cela suffirait pour répondre à tout ce premier ordre de critiques.

Mais les autres critiques dont nous avons parlé ont une portée bien plus grave, et, suivant nous, il y a véritablement urgence à prendre des mesures pour mettre un terme à de déplorables habitudes qui justifient les appréciations les plus sévères. C'est ce qu'on a compris déjà pour tout ce qui concerne les affaires administratives, relatives aux communes et aux départements. Les lois et les règlements prescrivent de n'engager aucune dépense sans qu'au préalable les assemblées électives et l'administration supérieure aient été mises à même de se rendre un compte parfaitement exact de sa portée véritable, sans avoir pris toutes les précautions nécessaires pour apprécier, autant que faire se peut, le montant des ressources nécessaires pour y faire face. Les affaires ou les entreprises de l'Etat sont seules exemptes de ces formalités préalables. Le plus souvent, en effet, en matière de travaux publics notamment, le Gouvernement et la commission du budget proposent, et les Chambres sont appelées à voter des crédits sur de simples affirmations, sans avoir sous les yeux aucuns documents, aucune évaluation précise qui leur permettent d'apprécier avec certitude la dépense que représentera définitivement l'entreprise dans laquelle on décide ainsi de s'engager.

De là des mécomptes et des déceptions qui troublent tous les calculs, aboutissent à grever le budget d'une manière excessive et donnent lieu, ensuite, à ces exagérations de crédits supplémentaires contre lesquels on proteste vainement depuis tant d'années.

Nous croyons qu'il serait facile d'établir des règles précises qui auraient pour effet certain de mettre enfin un terme à de pareils abus. Il faudrait, bien entendu, rendre ces règles applicables en toute matière, qu'il s'agisse de travaux publics ou de toute autre dépense, particulièrement des dépenses résultant des modifications apportées aux tarifs divers qui servent de règles, dans certaines administrations, modifications qui, d'ailleurs, ne devraient pouvoir être décidées que par un vote des Chambres. On parviendrait certainement ainsi à rendre le contrôle du Parlement très réel, très effectif.

Mais, pour si importantes qu'elles soient, les règles du contrôle ne suffisent pas. Comme nous le disions plus haut, il faut y ajouter la sanction des responsabilités individuelles. La responsabilité politique fonctionne; il en est de même de la responsabilité pénale. Aujourd'hui, on pose la question de savoir s'il convient d'organiser la responsabilité civile des ministres. La question doit être examinée au double point de vue du droit et de l'utilité pratique.

II

DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE DES MINISTRES

Les lois constitutionnelles du 25 février 1875 et du 16 juillet de la même année, comme la plupart des constitutions qui avaient régi la France depuis la Révolution, ont établi ou confirmé le principe de la responsabilité politique et de la responsabilité pénale des ministres. L'article 6 de la loi du 25 février 1875 est ainsi conçu : « Les ministres sont solidairement responsables, devant les Chambres, de la politique générale du Gouvernement et individuellement de leurs actes personnels. Le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison.» L'article 12 de la loi du 16 juillet suivant porte : « Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés et ne peut être jugé que par le Sénat. Les ministres peuvent être mis en accusation par la Chambre des députés pour crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions. En ce cas, ils sont jugés par le Sénat. Le Sénat peut être constitué en cour de justice par un décret du Président de la République, rendu en conseil des ministres, pour juger toute personne prévenue d'attentat commis contre la sûreté de l'Etat Si l'instruction est commencée par la justice ordinaire, le décret de convocation du Sénat peut être rendu jusqu'à l'arrêt de renvoi. Une loî dé. terminera le mode de procéder pour l'accusa◄ tion, l'instruction et le jugement. »

Comme on le voit, la Constitution de 1875 est muette sur un troisième genre de responsabilité que plusieurs des constitutions précédentes, notamment celle de 1848, établissaient d'une manière expresse, la responsabilité civile. Mais on ne saurait en induire que la Constitution de 1875 a voulu affranchir les ministres de toute responsabilité de cette nature. En effet, le principe de la responsabilité civile résulte des prin. cipes généraux de notre droit; il est écrit dans nos lois et il n'a jamais été contesté dans nos Assemblées parlementaires qu'il fût applicable aux mandataires de l'Etat, aux ministres, et une semblable application a été souvent faite par les législations antérieures, par des lois spéciales. C'est un principe général que a tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer ». C'est encore un principe universellement accepté, « que le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion ». En termes plus ou moins explicites, la Constitution de 1791, celle de 1793, celle de l'an VIII, la Charte de 1814 ont entendu étendre, jusqu'à l'application de ces principes, la responsabilité ministérielie. Sous la Restauration, les Chambres en ont édicté un application précise, qui ne peut laisser aucun doute sur l'interprétation qu'elles faisaient des dispositions de la charte constitutionnelle relatives à la responsabilité des ministres. La loi des finances du 25 mars 1817 dispose, en effet, dans ses articles 151 et 152, « que les ministre ne pourront, sous leur responsabilité, dé. penser au delà du crédit » ouvert à chacun d'eux, et que le ministre des finances ne pourra, sous la même responsabilité, autoriser les payements excédants que dans les cas extraordinaires et urgents, et en vertu d'ordonnances du roi, qui devront être converties en lois à la plus prochaine session des Chambres. » La constitution de 1848 est plus précise encore, car, après avoir, dans son article 68, édicté que « le Président de la République, les ministres, les agents et dépositaires de l'autorité publique sont responsables, chacun en ce qui les concerne, de tous les actes du gouvernement et de l'administration », elle décide, dans son article 98, que dans tous les cas de responsabilité des ministres, l'Assemblée nationale peut, selon les circonstances, renvoyer le ministre inculpé, soit devant la haute cour de justice, soit devant les tribunaux ordinaires, pour les réparations civiles.

La même question s'est posée devant la Chambre des pairs, constituée en haute cour de jus. tice, pour juger le procès des ministres, en 1830. Il s'agissait de statuer sur des demandes en réparations civiles formées contre les anciens ministres de Charles X mis en accusation. Il en est du crime ministériel comme de tous les autres crimes. Indépendamment du mal moral qu'ils causeut, les crimes peuvent produire un dommage matériel, appréciable en argent; il peut donc y avoir lieu à des dédommagements, en d'autres termes à la réparation civile. Le principe n'en fut pas contesté. Seulement, la cour des pairs, jugeant qu'à raison de la nature de l'action et des formes dans lesquelles cette action était poursuivie, elle ne se trouvait pas constituée de manière à statuer sur des intérêts civils, « déclare que, dans les débats, ne seront appelés ni reçus aucun intervenant ou parties civiles, tous leurs droits réservés pour se pourvoir s'il y a lieu. >>

Mais il s'agissait devant la cour des pairs d'une action en réparation civile qui était la conséquence d'un crime. La question de savoir si l'on pouvait aller au delà et admettre la responsabilité civile des ministres en dehors de toute intention criminelle et pour des fautes lourdes, ne devait pas tarder à se poser devant les Chambres. Depuis longtemps, l'opinion réclamait une loi fixant les conditions de la responsabilité ministérielle, déterminant les formes de la poursuite et du jugement, et réglant les pénalités et les réparations. En 1816, en 1817, en 1819, on avait vainement provoqué le Gouvernement à en prendre l'initiative, et les Chambres à en délibérer. En 1830, lorsque les derniers ministres de la légitimité, convaincus d'avoir violé la Constitution et les lois, furent mis en accusation et renvoyés devant la cour des pairs; cette loi n'existait pas encore, et il fallut improviser toutes les règles d'une procédure nouvelle. Aussi, dès 1832, la Chambre des députés fut-elle saisie à la fois d'une proposition émanant de l'initiative parlementaire et d'un projet de loi du Gouvernement. 1883.

DÉP., SESSION ORD. ANNEXES, T. II, (NOUV. SÉRIE, ANNEXES, T. 9.)

La discussion, piusieurs fois abandonnée et | reprise, se continua au milieu des fluctuations de la politique pendant près de trois années à la Chambre des députés. Au commencement de l'année 1834, le Gouvernement avait déposé un nouveau projet modifiant les précédents en des points importants. A la fin de la même année, il en déposait encore un autre; enfin, en 1835, la Chambre des députés aboutit au voto d'une loi qui fut bientôt portée à la Chambre des pairs. Mais celle-ci n'adopta, en 1836, la loi votée par la Chambre des pairs qu'en lui faisant subir des modifications qui nécessitaient une nouvelle dé⚫ libération. Le projet devait donc être transmis à la Chambre des députés; il ne le fut pas, et voilà pourquoi une loi sur la responsabilité ministérielle n'a jamais été faite. Après la révolution de février, deux propositions analogues furent encore présentées à la Constituante et à la Législative, mais ne vinrent jamais en discussion. La Chambre qui vous a précédé a été aussi saisie d'une proposition de M. Pascal Duprat sur le même objet; mais elle a terminé son mandat sans avoir eu le temps de l'examiner.

Vous êtes saisis maintenant d'une proposition de l'honorable M. Guichard; mais cette proposition n'a trait qu'à la responsabilité civile des ministres. Votre commission n'a pas cru devoir étendre sa tâche au delà des limites précises indiquées par l'auteur de la proposition. Cependant, nous n'avons pas besoin de faire remarquer que l'absence d'une loi spéciale pour définir les actes qui donnent lieu à la responsabilité pénale des ministres ne rend certainement pas cette responsabilité illusoire.

Les dispositions constitutionnelles qui organi. sent cette responsabilité, et le code pénal, qui ne laisse aucun crime sans définition et sans pénalité, suffisent amplement pour défendre, à ce point de vue, les intérêts de l'Etat, comme l'a démontré d'ailleurs le procès des derniers ministres de la Restauration.

La question qui doit exclusivement nous occuper, celle de la responsabilité civile des minis. tres, a donné lieu dans les Chambres, de 1832 à 1836, à des débats très approfondis auxquels. encore aujourd'hui, il y a peu de choses à ajouter.

La première proposition, déposée à la Chambre des députés par M. Devaux, admettait purement et simplement la responsabilité civile. Au contraire, le projet du Gouvernement, dont le garde des sceaux, M. Barthe, était l'auteur, la passait sous silence. Mais la commission nommée pour examiner les deux propositions n'hésita pas à donner raison à M. Devaux, et, dans le rapport dont il fut chargé, M. Bérenger en admet le principe et propose de la déterminer d'une manière effective, en fixant, de la manière suivante, les cas dans lesquels elle pourrait être encourue : « Toute faute grave dans la surveillance et l'exécution des lois et règlements relatifs aux comptables et à la conservation de la fortune et du domaine publics; tout emprunt non autorisé par une loi, ou contracté sans avoir observé les règles prescrites par la loi qui l'autorise; toute émission de bons royaux au-delà des limites fixées par la loi ou la nécessité; toute garantie donnée à un emprunt ou à une créance étrangère, et qui engagerait le Trésor sans l'autorisation des Chombres; tout emploi des deniers publics hors les prévisions et les cré lits législa tifs et non justifiés par la nécessité. »

Le Gouvernement se rallia alors à la proposition de la commission, et M. Barthe déposait bientôt un nouveau projet qui ne diffère de l'œuvre de la commission qu'au point de vue de la rédaction et de la forme.

La Chambre, après avoir nommé une nouvelle commission qui avait adopté, quant au fond, le projet du Gouvernement, n'allait pas tarder à discuter ce projet quand, le ministère ayant changé, le nouveau garde des sceaux, M. Persil, déposa un projet qui différait notablement des précédents et refusait nettement d'organiser la responsabilité civile des ministres.

Une nouvelle commission fut nommée - c'était en 1835 dont M. Sauzet devint le rapporteur. La commission de 1835 abandonna l'œuvre de sa devancière, au point de vue qui nous occupe, et, comme le demandait le Gouvernement, elle refusa d'organiser, dans son projet, la res ponsabilité civile, sans toutefois en contester le principe; elle proposait même une disposition spéciale qui, tout en limitant très étroitement la responsabilité civile des ministres, en la rendant même illusoire, n'en proclamait pas moins le principe général. En expliquant la pensée de la commission, le rapporteur ajoutait : « Toutefois, nous n'avons pas voulu laisser le trésor et le

budget à la discrétion des ministres, et quand, par une impardonnable légèreté ou une coupable affectation, le ministre se sera fait un jeu de désobéir à la loi et de dépasser les crédits, il sera libre à la Chambre de voir dans la violation de la loi des finances les caractères d'une prévarication... la Chambre des députés pourra, suivant les circonstances, accuser le ministre de prévarication, et la cour des pairs pourra mettre à sa charge la dépense rejetée. »

Et, en effet, la commission proposait une disposition ainsi conçue : a Lorsqu'un ministre aura dépassé les crédits ouverts par le budget à son département et que les crédits supplémentaires ou extraordinaires, par lui demandés, auront été rejetés, la Chambre des députés pourra, suivant les circonstances, l'accuser de prévarication. La cour des pairs, en statuant sur l'ac cusation, pourra mettre à la chargo du ministre tout ou pariie de la dépense rejetée ».

C'est sur ce rapport que s'ouvrit la discussion, à la Chambre des députés. Comme on le voit, il s'agissait de décider, non pas si l'action en iré. paration civile était ouverte contre les ministres

cela n'était contesté par personne — mais si le droit d'intenter une action de cette nature pouvait résulter tout à la fois d'un crime et d'un délit, et d'une faute lourde, ou d'un crime et d'un délit seulement.

La question fut vivement débattue. Naturellement, M. Bérenger défendit le système qu'il avait proposé déjà et demanda que la responsabilité civile et pécuniaire des ministres fût organisée sur les bases qu'il avait indiquées. Il fut appuyé par plusieurs orateurs, notamment par M. Dufaure, qui s'efforça de montrer l'inconséquence de la disposition proposée par la commission. La commission reconnaissait que la Chambre pouvait rejeter une demande de crédits supplémentaires pour des dépenses déjà faites; en ne faisant pas découler de ce rejet la responsabilité du ministre, elle créait ainsi un vide dans le trésor, sans offrir aucun moyen de le combler. M. Dufaure ajoutait que, dans un cas pareil, la responsabilité n'était pas nécessairement la conséquence d'un crime ou d'un délit, mais d'une simple inexécution du mandat, et que de ne pas le proclamer, c'était reculer par delà la loi de finances de 1817, faire moins que la Restauration elle-même.

Le Gouvernement persistait dans son système, pour lequel il trouvait l'appui de M. de Lamartine, qui allait jusqu'à repousser toute responsabilité civile, même dans le cas de prévarication.

La Chambre des députés s'arrêta à un système intermédiaire qui avait pour conséquence de dénaturer le caractère de toute prévarication et de la faire résulter non seulement d'un dol ou d'une dilapidation, mais même d'une faute grave. Elle avait voulu répondre, par là, à ceux qui objectaient que, dans l'esprit de la proposition du Gouvernement, pour qu'un acte pût engager la responsabilité d'un ministre, il faudrait nécessairement qu'il eût tous les caractères d'un délit ou d'un crime; elle déclarait en conséquence que la prévarication pouvait n'être pas un délit ou un crime. C'est pourquoi, elle adoptait une disposition ainsi conçue : « Lorsqu'un ministre aura dépassé les crédits ouverts par le budget à son département, et que les crédits supplémentaires ou extraordinaires par lui demandés, auront été rejetés, la Chambre des députés pourra, en cas de faute grave, l'accuser de prévarication. La cour des pairs, en statuant sur l'accusation, pourra mettre à la charge du ministre tout où partie de la dépense rejetée. » Le Gouvernement comprit bien le caractère insolite d'une pareille disposition, et en portant le projet à la chambre des pairs, il essayait de faire disparaître ce caractère par une interprétation restrictive, qui certainement n'était pas dans la pensée de la Chambre des députés. « La responsabilité civile, pécuniaire pour la réparation du préjudice causé par un crime ou un délit est admise comme conséquence de la responsabilité criminelle dans les cas où celle-ci se trouve encourue », disait le garde des sceaux, dans son exposé des motifs; et la Chambre « a rejeté avec raison un amendement qui tendait à soumettre les dépositaires du pouvoir, hors les cas où ils peuvent être accusés, et pour la réparation d'une simple erreur à une responsabilité pécuniaire. » Mais cette interprétation ne prévalut, ni devant la commission de la chambre des pairs, ni devant l'Assemblée elle-même, et la disposition votée pour la chambre des députés fut rejetée précisément par ce qu'il était impossible de lui attribuer le caractère restrictif qu'avait voulu lui imprimer le Gouvernement, dans son exposé des motifs.

2

Le rapporteur de la chambre des pairs criti. qua vivement, en effet, cette disposition portant qu'au a cas d'une faute grave, les ministres pourront être accusés de prévarication, car, disait-il, la faute même grave étant exclusive de l'intention criminelle, ne peut constituer un crime ou un délit comme l'est la prévarication. Examinant ensuite la question de savoir s'il serait utile de réorganiser la responsabilité civile et pécuniaire, le rapporteur, qui était pourtant M. Barthe, auteur du projet organisant cette responsabilité, constate que la Chambre des députés ne l'a pas fait et approuve, maintenant, cette omission. « Si le ministre, dit-il, qui a dépassé ses crédits a compromis sciemment les Intérêts de l'Etat, ou abusé criminellement du pouvoir de se faire ouvrir les caisses publiques ou d'engager le Trésor, son intention étant perverse, il pourra être accusé de prévarication; si ses intentions ne peuvent pas être incriminées, alors même qu'on pourrait lui imputer l'erreur la plus grave, il ne sera l'objet ni d'une action criminelle, ni d'une action civile; mais selon les circonstances, les chambres lui retireront leur appui, et le roi sa confiance.» En conséquence, il conclut au rejet pur et simple de la disposition votée par la Chambre des députés. Malgré les protestations de plusieurs de ses membres, et notamment de M. le duc de Broglie, la Chambre des pairs consacra ce système par son vote. Il résulte donc des dispositions de 1832 à 1836, que si tout le monde était d'accord pour reconnaitre que l'action civile doit être ouverte comme conséquence d'un crime et d'un délit, il y avait dissentiment profond sur la question de savoir sil était nécessaire ou utile d'organiser la responsabilité civile des ministres, comme conséquence d'une simple faute grave, exclusive de toute intention criminelle. Mais quant au principe lui-même il n'était pas contesté. Par des raisons d'ordre pratique et politique, on refusait seulement de l'appliquer. On prétendait alors, comme on soutient encore aujourd'hui, que les immenses intérêts engagés, dans la gestion des affaires publiques, rendraient toujours vaine une réparation quelconque. Plus la faute sera grave, dit-on, et moins il y aura de chance d'obtenir un dédommagement, car quel dédommagement pourrait-on obtenir d'un ministre qui aurait engagé pour plusieurs millions de dépense. D'autre part, n'est-il pas à craindre qu'une semblable perspective soit de nature à éloigner bien des gens, et les plus honnêtes, d'une administration dont la moindre erreur et qui peut se flatter de n'en pas commettre? - compromettrait aussi gravement ses intérêts et pourrait le conduire la ruine? Enfin, il s'agissait d'une somme minime, un procés contre un ministre ne revêtiraitil pas un caractère de tracasserie et de petitesse dont ne saurait s'accommoder la dignité d'un parlement?

Mais tout le monde ne pense pas de même. Dans divers pays de l'Europe occidentale, la responsabilité civile des ministres est organisée. S'il n'existe pas, en Angleterre, de texte précis à cet égard, on sait que tout fonctionnaire de la couronne est justiciable des tribunaux ordinaires, pour dommages causés par un acte illégal et d'autre part, le parlement peut toujours par un bill d'attainder frapper un ministre dans ses biens, et par un bill d'empeachment le renvoyer devant la chambre des lords. En Grèce, une loi récente, en date du 10 décembre 1876, dispose que doit être traduit devant la haute cour de justice, le ministre qui, dans l'exercice de ses fonctions « sans violer une disposition déterminée de la constitution ou des lois ou des ordonnances royales rendues par délégation du pouvoir législatif, avec intention, par un acte positif ou par une omission, aura causé un dommage aux intérêts de l'Etat. » En Belgique, en Autriche et dans divers états allemands, la responsabilité civile des ministres existe également. En Autriche, une loi du 25 juillet 1867 contient un article 6 ainsi conçu: « Tout ministre peutêtre poursuivi devant les tribunaux ordinaires pour la réparation d'un dommage résultant d'un acte de ses fonctions, soit au préjudice de l'Etat, soit au préjudice d'un particulier lorsque cet acte aura été déclaré illégal par la haute cour, »> En France, depuis longtemps, beancoup de publicistes et d'hommes d'Etat ont pensé qu'il était nécessaire d'entrer dans la même voie, tout en restreignant la responsabilité civile des ministres dans des limites suffisamment étroites pour n'en pas rendre l'exercice trop dur, et souvent injuste. C'est la thèse que Rossi dans ses livres, et MM. Dufaure, Dupin, Bérenger, de Broglie, à la Chambre des députés et à la Chambre des pairs, ont constamment soutenue.

Il est évident, en effet, que si dans l'administra-couvrir du caractère administratif, une faute tion des affaires de l'Etat, des erreurs peuvent personnelle. L'abrogation de l'article 75 de la être commises qui ne doivent entraîner, pour Constitution de l'an VIII a rendu plus facile enleurs auteurs, ni responsabilité ni réparation core toute action de cette nature en la dépécuniaires, parce qu'elles sont, dans une cer- barrassant de toutes conditions d'autorisation taine mesure, inévitables, il peut cependant y préalable. avoir, de la part des ministres, des acies ou des fautes qui, sans revêtir le caractère de délit ou de crime, sont néanmoins dangereux et repré hensibles, et contre lesquels l'Etat doit avoir le moyen de se prémunir.

En pareil cas, les droits et les prérogatives des parlements se trouvent engagés; il est néces saire que les parlements soient suffisamment armés pour faire respecter leurs décisions et les volontés de la nation. Il importe peu, dans de semblables circonstances, que l'Etat reçoive tous les dédommagements auxquels il pourrait avoir droit. Ce qui est indispensable, c'est que des ministres ne puissent pas croire qu'ils peuvent impunément se placer au-dessus des décisions des représentants du pays. Sans doute, il serait intolérable que l'exercice d'un droit de cette nature, eût pour conséquence de mettre entre les mains des pouvoirs publics un instrument de rancune ou de mesquine vengeance, et d'exposer d'honnêtes gens, qui ont peut-être rendu des services à leur pays, à devenir les victimes ou la proie de leurs adversaires et de leurs détracteurs; mais il faut croire, pour l'honneur de notre pays, que ses représentants ne s'abaisseront jamais à ce point, et que les pouvoirs publics ne cesseront pas de s'exercer exclusivement dans un but d'utilité générale.

Ces considérations ont été déterminantes pour votre commission. Elle pense qu'il est nécessaire d'organiser la responsabilité civile des ministres. Toutefois, il lui a paru qu'une telle responsabilité serait d'autant plus efficace qu'elle serait strictement limitée, de manière que le e actes personnels, et volontairement accomplis en violation des lois et réglements, en violation des volontés du Parlement, et ayant causé un dommage réel au Trésor public, soient seuls susceptibles d'être atteints. En effet, si les ministres sont des mandataires, il est hors de doute qu'ils sont des mandataires d'un ordre particulier, qu'ils ne sauraient être assimilés absolument à des mandataires privés. Ils gèrent, sous certaines conditions et sous certaines réserves, la fortune du pays; mais ils sont bien plus des mandataires politiques que des gérants d'affaires. Choisis parmi des personnages politiques faisant partie de la majorité parlementaire, ou connus pour partager les opinions de cette majorité, leur nomination a un caractère exclusivement politique. Dans l'administration des affaires du pays, ils sont forcés d'avoir recours à des auxiliaires que souvent ils n'ont pas choisis, et plus d'une fois, ils sont soustraits aux opérations administratives par des préoccupations gouvernemen. tales et politiques.

Il ne saurait donc être question d'atteindre des ministres qui se sont trompés, mais seule ment des ministres qui ont trahi leur devoir en violant sciemment les lois et les règlements et en se plaçant au-dessus des décisions et des volontés du Parlement.

Après avoir ainsi décidé qu'il était nécessaire d'organiser la responsabilité civile des ministres vis-à-vis de l'Etat, votre commission s'est demandé si elle devait aller plus loin et vous proposer de réglementer l'action privée contre les ministres, comme tous les projets de loi déposés, dans les chambres précédentes, avaient essayé de le faire. Mais votre commissiou a jugé qu'il était préférable de ne pas étendre sa tâche jusque-là, et que d'ailleurs la jurisprudence sauvegardait, dans une mesure suffisante mais nécessaire, les intérêts privés. En effet, le recours pour excès de pouvoir, tel qu'il est orga. nisé, donne aux citoyens des garanties très réelles contre toute imprudence ministérielle ou toute fausse application des lois, et le droit com. mun leur assure un moyen très efficace de se défendre contre tout acte d'un agent du pouvoir, qui, n'ayant pas de caractère administratif constituerait une faute personnelle, ou une véritable voie de fait.

Pour des motifs analogues, votre commission n'a pas pas pensé qu'il fut nécessaire de réglementer de nouveau la responsabilité des agents du pouvoir autres que les ministres, tels que les préfets et les maires, vis-à-vis des départements, des communes et des particuliers. Sur ce point aussi, la jurisprudence actuelle lui a paru également très suffisante, et il n'a jamais été contesté qu'une action fût ouverte contre les agents du pouvoir qui auraient agi en violation des lois ou règlements, ou qui auraient tenté de

III

COMPÉTENCE ET JURIDICTION

Le principe de la responsabilité civile des ministres ainsi admis et limité, il faut entrer maintenant dans l'examen des questions de compétence. Quelle autorité sera juge du point de savoir si les ministres ont engagé leur responsabilité? Qui dira quelles réparations ils doivent?

La première question est facile à résoudre. Si le Trésor public n'éprouve aucune perte, les ministres sont déchargés de toute responsabilité. Il est évident, qu'alors même qu'il y aurait eu faute, l'Etat né peut pas s'enrichir aux dépens d'autrui, aux dépens de ses mandataires et qu'il lui suffit d'être couvert des pertes qu'il subit. Or, qui peut décider si les finances publiques ont été engagées là où elles ne devaient pas l'être, si l'Etat a subi une perte appréciable en argent? Le Parlement et particulièrement la Chambre des députés, à qui appartient plus spécialement la disposition de la fortune nationale.

Mais si l'on passe à la seconde question, les difficltés commencent, des opinions divergentes se manifestent.

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On ne comprend guère que la pensée soit venue à quelquee-uns de soumettre de pareilles questions à l'examen des tribunaux de l'ordre judiciaire. Ils n'ont pas vu que ce serait méconnaitre complètement le grand principe de la séparation des pouvoirs. A la vérité, les raisons d'être d'un tel principe sont si mal connues d'un grand nombre, ce principe lui-même est l'objet de tant d'erreurs accréditées, qu'il n'est pas étonnant que de fort bons esprits arrivent à en contester la légitimité et s'engagent parfois, sans en peser, sans même en prévoir les conséquences, dans une voie qui équivaudrait à son âbrogation pure et simple.

Or, messieurs, le principe de la séparation des pouvoirs a pour objet, non seulement de garantir la protection des intérêts privés, mais surtout d'assurer la défense des intérêts collectifs, des intérêts de l'Etat. Si donc le législateur venait à violer ce principe, ou à en faire une fausse application, en confondant les attributions naturelles des organes ou des autorités distinctes, dont l'ensemble constitue l'exercice de la puissance publique, il est clair que les garanties qu'on cherche, dans la séparation des pouvoirs, disparaîtrait et que l'intérêt général pourrait être sacrifié à l'intérêt privé.

D'après les règles de notre droit public, les assemblées, qui représentent le souverain, délè guent le pouvoir exécutif; le droit d'administrer, et le droit de rendre la justice sont confiés à des autorités distinctes, dont les attributions doivent être rigoureusement déterminées afin d'empêcher tout empiètement réciproque de l'une sur l'autre. L'administration, organe des intérêts collectifs, s'exerce sous la surveillance ou le contrôle du pouvoir législatif. Cela est na. turel, puisque le pouvoir législatif représente la nation, et que la nation, c'est à dire le souve⚫ rain, ne peut être dirigée ou contrôlée que par elle-même. L'autorité judiciaire est exclusivement chargée de statuer sur les contestations où l'intérêt privé seul est engagé. Le jugement des contestations que peut faire naître le contact de l'intérêt public et de l'intérêt privé est réservé à l'autorité administrative. La raison en est décisive, c'est que si l'autorité judiciaire pouvait intervenir en pareille matière, entre l'intérêt public et l'intérêt privé, elle arriverait ainsi à s'immiscer dans les opérations administratives, à les apprécier, à les contrôler, rôle qui appartient exclusivement et nécessairement aux représentants de la nation. Il en résulterait que l'oeuvre administrative serait troublée par l'autorité judiciaire, par les revendications de l'intérêt privé, et que les intérêts collectifs ou généraux ne pourraient recevoir les satisfactions qui leur sont dus, et pour lesquels le pouvoir politique ou représentatif a été spécialement constitué.

Les conflits seraient permanents et aboutiraient à élever autorité contre autorité, à mettre aux prises l'autorité judiciaire et le pouvoir politique; aucune solution ne pourrait intervenir, les affaires de l'Etat resteraient en suspens;

ce serait l'anarchie. Pour en faire la démonstration, il n'est pas nécessaire de rappeler les anciennes querelles des parlements avec le pouvoir royal. Mais il est certain que si quelqu'un n'avait pas le dernier mot, l'intérêt général serait profondément trouble. Or, à qui peut-on laisser le dernier mot, sinon à la nation ellemême ? Pourrait-on opposer l'autorité d'un corps délégué, pour une mission spéciale, à l'autorité de la nation elle-même? S'il en était ainsi, on verrait, comme on l'a déjà vu, l'autorité judiciaire se saisir du pouvoir politique, et les assemblées tenues en échec par l'autorité judiciaire; elles ne seraient plus libres; leur volonté serait lettre morte; elles perdraient sur-lechamp toute action de surveillance et de contrôle sur le pouvoir exécutif. Nous montrerons tout à l'heure qu'il en serait ainsi dans le cas spécial qui nous occupe.

Mais on va plus loin et on dit : Oui, il y a des cas où l'administration est et doit être seule juge, mais il y en a d'autres où les droits des citoyens peuvent être blessés par les actes de l'administration; pourquoi, dans des cas semblables, l'autorité judiciaire ne pourrait-elle pas être saisie? En effet, l'administration est chargée de satisfaire les besoins collectifs des citoyens par l'organisation et la gestion des services publics et par des mesures de police. Or, dans l'exercice de ses attributions les plus légitimes, elle peut ou froisser les intérêts ou blesser les droits des citoyens.

Il est bien rare qu'un acte de l'administration qui est accompli légalement, dans un intérêt général, ne froisse pas certains intérêts privés. Cela est inévitable dans une certaine mesure. Il est impossible de donner satisfaction à tous les intérêts. C'est là un sacrifice nécessaire que l'intérêt général impose à l'intérêt privé. Or, dans ce cas, il ne saurait être question de donner aux citoyens autre chose qu'un droit de critique et de discussion.

tration, d'une part, seraient peu propres à se livrer aux distinctions souvent si délicates qu'exige l'appréciation des affaires administratives, et d'autre part pourraient être facilement entraînés à s'immiscer dans les actes de l'administration, à les apprécier ou à les contrôler et à se substituer ainsi aux droits du pouvoir législatif. Nous en avons la preuve par le fonctionnement même de l'organisation actuelle. Il n'est guère contestable, en effet, que les règles, pourtant si clairement établies, pour protéger l'acte administratif, seraient souvent enfreintes par l'autorité judiciaire, si elles ne trouvaient pas leur sanction dans le droit conféré à l'autorité administrative de proposer le déclinatoire et d'élever le conflit d'attributions. La simple énumération des déclinatoires proposés et des arrêtés de conflit, pris dans l'espace d'une année, suffit à montrer l'autorité judiciaire cherchant à empiéter constamment sur l'autorité administrative comme par une tendance traditionnelle, qui imprime à l'esprit des légistes, son caractère propre de domination et d'absorption.

La juridiction administrative a une antre raison d'être encore. On peut dire qu'elle est établie aussi bien dans l'intérêt des particuliers que dans l'intérêt de l'administration c'est-à-dire du public. D'abord elle justifie une procédure simple et peu coûteuse dont ne saurait s'accommoder l'autorité judiciaire. Ensuite, s'il est vrai que parfois, les magistrats de l'ordre judiciaire. vivant en dehors des habitudes administratives, portés ainsi à méconnaître le caractère et la nécessité des actes de l'administration, ont une certaine tendance à défendre les particuliers contre l'administration, comme on dit les faibles contre le fort, il n'est pas moins vrai de dire que le plus souvent, par la nature de leur esprit et de leurs habitudes, ils sont enclins à faire des lois une application trop stricte, trop rigoureuse qui rendrait bientôt l'administration véritablement odieuse. Or, les droits de l'administration ne sauraient être défendus comme les droits des particuliers; il importe, en cherchant à les faire prévaloir, d'éviter les excès de zèle; et, comme on la dit, la juridiction administrative

Mais on peut supposer des actes de l'administration ayant un tout autre caractère, constituant ou une fausse interprétation de la loi, ou causant un dommage direct, soit parce qu'ils portent atteinte à un droit, soit parce qu'ils méconnaissent les conditions d'un contrat. On se trouve alors en face de questions de droit à réparation des pouvoirs, comme aussi de la sépasoudre, ou de causes particulières à interpréter. Or, disent quelques-uns, c'est sur des débats analogues, entre des intérêts privés, que l'autorité judiciaire a mission de se prononcer. Il s'a git, il est vrai, dans les cas qui nous occupent, de contestations entre l'intérêt public et l'inté rêt privé; mais on a si bien reconnu l'analogie qu'on n'en a pas laissé l'appréciation à l'administration elle-même, et qu'on a institué une ju. ridiction spéciale pour les juger, la juridiction administrative; pourquoi ne pas pousser l'analogie plus loin, et ne pas confier à la juridiction ordinaire le jugement de toutes les contesta. tions quelconques, soit entre les intérêts privés, soit entre les intérêts publics et les intérêts privés?

doit être à la fois modératrice et modérée. Telle est la justification du principe de la sération des autorités administrative et judiciaire. On voit par là comment ce principe serait violé si les tribunaux de l'ordre judiciaire étaient appelés à statuer sur la responsabilité civile des trainer la responsabilité, est incontestablement ministres. Tout acte ministériel, pouvant enun acte administratif, puisqu'il a été accompli pour la gestion d'un service public. Dès lors, n'est-il pas évident que la compétence de l'autorité judiciaire, en pareille matière, aurait pour effet d'enlever au pouvoir législatif une attribution qui, de toute nécessité, doit lui être exclusivement réservée? Il est clair que l'autorité judiciaire ne peut pas être appelée à juger le pouvoir politique.

La compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire ainsi écartée, on a posé la question de savoir si l'action, en réparation civile contre un ministre, ne pourrait pas être portée devant la juridiction administrative, dont nous venons de voir le caractère et la raison d'être. Par des motifs qui lui ont paru décisifs, et que vous aurez pensé.

Il n'est pas difficile de montrer que c'est par une application, à la fois logique et pratique, du principe de la séparation des pouvoirs qu'on a été conduit à établir la juridiction administrative à tel point qu'on peut dire que sans elle, la séparation des pouvoirs ne serait souvent qu'un vain mot. En effet, il suffit de posséder quel-à apprécier, votre commission ne l'a pas ques notions précises en droit administratif, pour voir combien les questions administratives Les objections qui s'élèvent naturellement sont enchevêtrées, combien il est souvent dif- contre la compétence de la juridiction adminisficile de distinguer entre les actes contre les-trative, s'appliquent, d'ailleurs aussi, aux tribuquels aucun recours n'est ouvert, et ceux qui constituent ou une fausse application de la loi, ou une violation d'un droit pouvant donner lieu à une action en réparation. La raison en est simple, c'est que les questions administratives se rapportent à un ensemble d'actes qui n'ont qu'une analogie lointaine avec les actes des particuliers. De là, le caractère si différent des lois administratives et des lois civiles. Dans les lois civiles, deux intérêts privés sont en présence et doivent être traités sur un pied d'égalité. Dans les lois administratives, c'est l'intérêt public qui impose un sacrifice à l'intérêt privé. Or, de pa reilles différences exigent des études spéciales et justifient des habitudes d'esprit particulières. Les études administratives sont d'autant plus faciles et d'autant plus complètes qu'on est davantage mêlé aux opérations administratives, et l'esprit de l'administration s'acquiert surtout par le contact avec les agents de l'administration.

Dès lors, on comprend combien les magistrats de l'ordre judiciaire qui, par leur existence, par leurs habitudes, vivent en dehors de l'adminis

naux de l'ordre judiciaire. Elles sont d'ordre constitutionnel. En effet, aux termes de la Constitution, le Parlement est seul en état de juger si les finances publiques ont été engagées, il a seul la disposition de la fortune nationale et le droit de vérifier l'état du Trésor. Or, n'est-il pas évident que donner à des tribunaux, quels qu'ils soient, une compétence, dans le cas où la responsabilité civile des ministres peut être engagée, c'est leur donner le droit d'examiner l'état de la fortune publique ?

Il est facile de s'en rendre compte. Un ministre a fait une dépense sans crédit, ou engagé une entreprise pour une somme supérieure aux crédits qui lui ont été ouverts; il a commis tout autre faute diminuant la fortune publique. Dans tous ces cas des crédits nouveaux sont nécessaires pour couvrir l'irrégularité. Dès lors, le parlement, spécialement la Chambre des députés, sera forcément amené à apprécier la perte subie par le Trésor public. Lui seul à qui la nation a confié la disposition de ses deniers, pourra dire si les dépenses faites ou engagées sont utiles, imprudentes ou dangereuses, si la nation les

accepte à son compte, si le Trésor doit en être exonéré en totalité ou en partie; lui seul pourra fixer la somme qui sera payée sans recours par le Trésor, et celle qu'il ne payera qu'à charge de restitution de la part du ministre fautif, ce qui revient en dernière analyse à indiquer le chiffre des réparations dues par le ministre. Il en résulte que si l'on recourait à l'intervention d'un tribunal, quel qu'il soit, civil ou administratif, il arriverait de deux choses l'une :

Ou le tribunal devrait condamner le ministre à la restitution d'une somme égale à celle qu'aurait fixée la Chambre, auquel cas il est parfaitement inutile d'aller devant lui;

Ou bien il aurait le pouvoir de changer ce chiffre, c'est-à-dire qu'il pourrait apprécier si la fortuné publique a été diminuée par le ministre en cause, qu'il disposerait des deniers de l'Etat, rôle exclusivement attribué au Parlement par la Constitution même.

De telle sorte que le tribunal quel qu'il soit, le conseil d'Etat si l'on veut, ne servirait qu'à revêtir de la forme exécutoire une décision des Chambres, rôle parfaitement inutile, car l'Etat n'a besoin de recourir à aucune juridiction pour avoir des titres exécutoires contre ses débiteurs. Dans tous les cas où la loi le permet, les agents ou représentants du Trésor public peuvent décerner des contraintes emportant hypothèque et exécution parée; d'où il sait que les Chambres n'auraient qu'à inviter le ministre des finances à agir de la sorte contre celui dont la responsabilité est engagée.

Ces explications suffisent pour montrer que le conseil d'Etat, pas plus que l'autorité judiciaire, ne saurait être déclaré compétent pour statuer sur une action en responsabilité civile intentée à un ministre; qu'une telle extension de ses attributions en dénaturerait le caractère, en lui donnant un véritable droit de contrôle sur les actes du Parlement.

Il fallait donc chercher ailleurs. Dans les projets de loi divers, qui ont été examinés par les Chambres de 1832 à 1836, on proposait de décider que lorsque la responsabilité d'un ministre paraîtrait engagée, chacune des deux Chambres pouvant prendre à cet égard une initiative, le Parlement déciderait, dans la forme ordinaire des lois, si le ministre a encouru la responsabilité et que, dans le cas de l'affirmative, sa réso. lution fixant la quotité du dommage dont la réparation est due à l'Etat emporterait irrévocablement pleine et entière exécution. Mais les bilité indépendamment des crimes et délíts, loChambres ayant refusé d'organiser la responsagiquement la cour des pairs devenait seule compétente pour statuer sur les demandes en réparation civile qui étaient la conséquence des poursuites criminelles portées devant elle.

C'est par analogie, sans doute, que quelques personnes avaient pensé qu'on pourrait donner au Sénat, probablement constitué en haute cour de justice, une compétence illimitée pour statuer en matière de responsabilité civile des ministres. Mais votre commission a jugé qu'il n'y avait pas d'analogie entre les cas où la responsabilité civile des ministres est seule engagée, et ceux auxquels s'applique l'article 12 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875. D'ailleurs, on a fait observer qu'à l'égard du Sénat constitué en haute cour de justice, on pourrait élever des objections assez semblables à celles que nous avons vu se dresser contre tout tribunal de l'ordre administratif ou judiciaire. En effet, le Sénat serait ainsi conduit à disposer seul d'une partie de la fortune publique, rôle qui, cependant, appartient plus particulièrement à la Chambre des députés, qui doit toujours voter la première et qui, par suite, peut seule prendre

des initiatives en cette matière.

D'autre part, votre commission a pensé que la forme d'une loi ordinaire, qui était le système proposé de 1832 à 1836, n'offrirait pas de suffisantes garanties aux ministres dont la responsabilité serait engagée; qu'en effet, ils ne pourraient être admis le plus souvent ni à présenter une défense complète, ni même à fournir des explications.

Votre commission a été ainsi conduite à examiner un système qui, tout en faisant tomber les objections s'élevant naturellement contre toute cour de justice, aurait pour conséquence, en respectant la compétence constitutionnelle des chambres, en matière de deniers publics, d'offrir de réelles garanties aux ministres dont les actes seraient regardés comme ayant compromis les intérêts du Trésor. Or, elle est convaincue qu'on trouverait tous ces avantages en donnant aux Chambres, séparément ou conjointement, le droit de décider qu'il y a lieu d'exa

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