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UN CHAPITRE DE L'HISTOIRE DES PERSECUTIONS RELIGIEUSES

LE CLERGÉ CATHOLIQUE

ET LES

ENFANTS ILLÉGITIMES PROTESTANTS ET ISRAELITES

EN ALSACE, AU XVIII SIÈCLE ET AU Début de la Révolution

En ce moment, il n'est question, dans une certaine presse, que de la liberté de conscience gravement compromise par des mesures politiques que nous n'avons point à juger ici; à lire les feuilles conservatrices et même certaines feuilles libérales, il n'y aurait pas eu de défenseurs plus convaincus de cette liberté précieuse que les représentants de l'Église catholique dans le présent et dans le passé. L'histoire donne bien déjà d'assez nombreux démentis à cette thèse audacieuse; il n'y en aura jamais trop cependant, et c'est à ce titre que nous jugeons utile de transcrire ici quelques données précises réunies récemment aux archives de Strasbourg. Elles feront voir avec quelle âpreté jalouse l'Église de l'ancien régime, au mėpris des droits des parents, ces droits si sacrés aujourd'hui pour elle au mépris du respect des consciences, si chaudement proclamé par ses défenseurs, a veillé jusqu'au dernier moment de son existence, au maintien des privilèges exorbitants que Louis XIV lui avait ́octroyés, sur un point spécial, à l'égard de ses sujets hérétiques.

I

Il s'agit du droit réclamé par le monarque à l'égard des enfants illégitimes, dans sa déclaration du 13 avril 1682, tel qu'il fut appliqué dans la province d'Alsace. En vertu du principe que « le Roy étant seul en droit de leur tenir lieu de père,

et personne autre que Sa Majesté ne pouvant exercer sur eux une autorité légitime », ils devaient être « nourris et élevés dans la religion catholique », encore que leurs parents appartinssent tous les deux à l'hérésie. Cette déclaration antérieure à la révocation de l'Édit de Nantes, et qui devenait bientôt inutile pour le reste du royaume, puisqu'il ne s'y trouvait plus officiellement d'hérétiques, après 1685, n'avait pas été proclamée, comme loi de l'État, par le Conseil Souverain d'Alsace, cour de justice suprême de la province, et n'eut point, pendant plus d'un âge d'homme, force légale de l'autre côté des Vosges, où les luthériens étaient nombreux et où les calvinistes autochthones eux-mêmes étaient protégés, dans une certaine mesure, par les stipulations des traités de Westphalie.

Mais, grâce à la pression du haut clergé d'Alsace, le parquet du Conseil Souverain ne cessa de réclamer l'application de cette mesure administrative aux dissidents du pays, même à ceux de Strasbourg, protégés cependant par une capitulation spéciale. Il finit par l'emporter et un simple ordre du ministre d'État, secrétaire à la guerre1, M. Le Blanc, annonçait le 1er mars 1727, au maréchal du Bourg, gouverneur de la province, que, sur le compte qui en avait été rendu à Sa Majesté, << Elle avait réglé que lui, l'intendant d'Alsace et le procureur général du Conseil, tiendraient la main, chacun en ce qui le regarde, à ce que cette disposition soit à l'avenir régulièrement observée à Strasbourg ainsi que dans le reste de l'Alsace2 ». Nous devons faire remarquer que le ministre associe expressément Mgr le cardinal de Fleury à l'élaboration de sa missive, qui constitue presque un petit code spécial - draconien, cela va sans dire, — à l'usage des hérétiques et qu'il déclare au maréchal qu'il s'est réglé sur ses conseils à lui et sur ceux du cardinal Armand-Gaston de Rohan, princeévêque de Strasbourg.

1. Nous rappelons que le gouvernement de l'Alsace dépendit jusqu'à la Révolution du Ministère de la guerre.

2. Recueil des Édits, déclarations, lettres patentes, arrêts du Conseil d'État et du Conseil souverain d'Alsace, ordonnances et règlements concernant cette province, avec des observations, par M. de Boug, premier président, Colmar, 1775, fol. t. II, pp. 13-17.`

A partir de cette date, toute une série de mesures violentes et — malgré l'ordre de M. Le Blanc - rétroactives sont prises contre les bâtards luthériens, non seulement contre ceux qui sont sujets directs du roi, mais aussi contre les sujets des princes étrangers possessionnés en Alsace. La plupart de ces mesures semblent avoir été provoquées par le sieur Valentin Neef, procureur général du Conseil Souverain d'Alsace de 1711 à 1754, connu comme un instrument fanatique et dévoué des Jésuites. C'est ainsi qu'il fait enlever en 1738, à Wolfisheim, village appartenant au landgrave de Hesse-Darmstadt, trois habitants, nės hors mariage de parents luthériens, qui << depuis vingt ans et plus » faisaient «< profession de lutheranisme » et les tint en prison jusqu'à ce qu'ils eussent abjurė. Le préteur royal de Strasbourg, M. de Klinglin, très bon catholique pourtant et grand ami, lui aussi, de la Compagnie de Jésus, signalait cet acte au ministre de la guerre, dans sa lettre du 5 novembre 1738 et ajoutait que Néef méditait d'en agir de même contre les habitants de la ville libre, par application de la dépêche ministérielle du 1er mars 17271.

En 1741, le seigneur catholique du village de Lingolsheim, M. de Landsperg, menaçait le pasteur de cette localité, nommé Baumüller, de le faire jeter en prison pour avoir baptisé un enfant illégitime, alors que cet ecclésiastique démontrait que l'enfant était né plusieurs mois après la célébration du mariage2. La même année, Neef faisait enlever à Bouxwiller, chef-lieu des possessions alsaciennes du landgrave, et à Barr, gros bourg, appartenant à la ville libre de Strasbourg, plusieurs personnes de naissance illégitime, mais nées avant le 1er mars 1727, baptisées et élevées dans la religion luthėrienne et dont « aucunes étaient très avancées en âge ». Eit 1745, un nommé Michel Joerger, de Wasselonne, né en 1726, élevé dans le culte de sa mère jusqu'à l'âge de dix-huit ans,

1. Voy. mon recueil de Documents relatifs à la situation légale des protestants d'Alsace au XVIIIe siècle, Paris, Fischbacher, 1888, 18°, p. 65. 2. Procès-verbaux du Convent ecclésiastique de mars 1741. Voy. mon Église luthérienne de Strasbourg au XVIIIe siècle, Paris, 1892, p. 44. Le président promit d'intervenir auprès de l'ammeister en régence; il faut espérer que le pasteur ne fut pas emprisonné.

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