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>> choque cet esprit, elle se choque elle-même et >> elle s'arrête nécessairement. » Un despote peut renverser les lois, mais il est forcé de respecter les coutumes. Les gouvernemens qui ne sont pas limités par la loi, le sont par des préjugés. La religion musulmane, toute absurde qu'elle est, corrige un peu le gouvernement turc.

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Mais il n'est rien qui agisse si puissamment sur les gouvernemens que l'esprit public et les moeurs nationales. Quand les moeurs sont bonnes, tout " gouvernement est bon. Le despotisme de la Chine ne nous présente que l'image du gouvernement paternel, parce que la Chine a des moeurs. Si les mœurs sont mauvaises elles corrompent le meilleur gouvernement. La constitution de Carthage, au rapport d'Aristote, ressemblait beaucoup à celle de Sparte; mais à Sparte, la vertu et la frugalité étaient le principe et le ressort de l'Etat ; à Carthage, les richesses et le commerce. Les bonnes moeurs corrigent même les mauvaises lois : à Rome, le divorce était permis par la loi, et le premier exemple du divorce ne fut donné qu'après plus de cinq cens ans; en France, la liberté du divorce a introduit une véritable polygamie, parce que le divorce était dans les mœurs, avant qu'un décret l'eut placé dans le code national.

Des trois formes primitives il se compose des formes mixtes, où les principes des trois gouverne

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mens sont balancés l'un par l'autre. Telles étaient chez les anciens les constitutions de Crète de Lacédémone et de Carthage. Telle était même la constitution de la république romaine, où les consuls réprésentaient, à quelques égards, les Rois de Lacédémone, et les Tribuns du peuple, les Éphores. Telle est aujourd'hui celle de l'Angleterre (1), monarchique par son roi, aristocratique par la chambre des pairs, démocratique par la chambre des com

munes.

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Le caractère propre de ces gouvernemens, c'est. que les affaires sont décidées par le concours de plusieurs volontés toutes remuées par des intérêts différens, et que l'on suppose, en conséquence,' ne pouvoir s'accorder que sur les résolutions conformes à l'intérêt général. Tous les pouvoirs publics s'éclairent, se surveillent, se contiennent réciproquement dans les limites que leur trace la constitution. C'est un avantage que n'ont pas les gouvernemens simples. Mais, d'un autre côté, cette rivalité n'est-elle pas un germe de troubles et de révolutions? Et n'est-il pas à craindre que la plus légère alté

ration dans ces oscillations continuelles n'arrête tout-à-coup le jeu d'une machine si compliquée ? Le calme et la prospérité dont l'Angleterre jouit depuis un siècle, est peut-être moins l'effet des

(1) celle de la France. (Note de l'Editeur.)

principes de sa constitution, que de la modération des rois et de l'habileté de ses ministres.

Mais, quels que soient les avantages et les inconvéniens de ces gouvernemens composés, il ne faut jamais oublier qu'un gouvernement n'est bon qu'autant qu'il convient au peuple à qui l'on se propose de le faire adopter. C'est à quoi n'avaient pas assez réfléchi les novateurs qui, à la naissance de la révolution, voulaient perfectionner notre gouvernement, en y introduisant les formes de la constitution britannique. Ils ne voyaient pas que, pour assurer le succès de leur réforme, il eût fallu, non-seulement nous donner le caractère, les opinions, les habitudes des Anglais; mais encore séparer la France du reste de l'Europe, comme l'Angleterre en est séparée par la mer. Sans armées, sans places fortes, la France demeurerait exposée aux invasions; avec des places fortes et une armée, le Roi serait trop puissant, l'équilibre entre les trois pouvoirs serait rompu, et la constitution périrait. (1)

S'il est vrai que les diverses formes de gouvernement ne conviennent pas également à toutes les nations, il faut savoir à quels caractères généraux on reconnaîtra le gouvernemeut qui convient le

(1) La France n'a point à craindre le despotisme d'un Bourbon, mais par une sage disposition de la Charte, qui a pour base l'inviolabilité du Souverain, et qui cependant donne au peuple toutes les garanties possibles, les ministres du Roi sont responsables des abus du pouvoir.

(Note de l'Editeur.)

mieux à une nation qui se trouve dans des circonstances données.

Principe général, fondé sur la nature, et confirmé par l'histoire: le gouvernement républicain, la démocratie sur-tout, ne convient qu'à un état petit ou médiocre, parce que dans ce gouvernement, les ressorts, nécessairement multipliés, ne produisent qu'une action lente et faible, qui ne pourrait se porter aux extrémités d'un vaste territoire. La démocratie pure conviendrait à peine à une petite ville; encore faudrait-il que l'on n'y connût ni le commerce étranger, ni le luxe et les arts corrupteurs.

C'est une maxime de Tacite, que les richesses sont incompatibles avec la liberté : Est apud illos ( il parle de l'un des peuples de la Germanie) et opibus honos, eoque unus imperitat. Un peuple qui est à la fois sujet et souverain, a besoin d'une grande simplicité de mœurs et d'une vertu austère pour obéir constamment à des lois qu'il s'est imposées lui-même. C'est en ce sens que l'on peut dire avec Montesquieu, que la vertu est le principe du gouvernement républicain.

Dans la monarchie, un seul ressort produit la plus grande action possible avec la plus grande célérité possible. Le gouvernement d'un seul convient donc à une grande nation. Car la force du gouvernement doit être en proportion avec celle de la résistance; et l'effort de la résistance ou de la réaction

contre le gouvernement, croît en raison de l'étendue de l'état, de ses richesses et de sa population. Les républiques elles-mêmes, dans ces tems de crise qui demandent le développement de toutes leurs forces, sont obligées d'emprunter de la monarchie une vigueur qu'elles ne trouvent point dans leur constitution. Quand Rome se croyait en danger, elle suspendait toutes les magistratures, et confiait tous ses pouvoirs à un dictateur. En 1672, et en 1747, la Hollande crut ne pouvoir se défendre contre la France, qu'en rétablissant le Stathoudérat héréditaire.

Si l'on me citait, comme objection ou comme exception, l'existence et les succès militaires de la république française, je répondrais que c'est une nouvelle preuve du principe général. Car il est évident que cette république nominale ne subsiste que par le régime du despotisme.

Daus un petit état, chez un peuple vertueux, frugal et animé d'un esprit public, le gouvernement démocratique ne coûte presque rien à l'état, et les choix pour l'ordinaire ne tombent que sur les plus dignes, Mais dans un vaste empire, chez une nation corrompue, où rien ne se fait que pour de l'argent, où les emplois ne sont envisagés que comme des moyens d'aller à la fortune, la démocratie qui multiplie à l'infini, et renouvelle chaque année les agens de l'administration, est ruineuse par elle-même, et

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