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tuelle, qu'en se faisant le chef, ou plutôt l'instrument de la faction sanguinaire des Jacobins. C'est enfin, parce que ses complices, devenus ses assassins, se hâtèrent de détourner sur sa mémoire toutes les haines, toutes les vengeances que tant de forfaits appellaient sur leurs têtes.

Mais la modération dont ils se paraient, la justice dont ils empruntaient le langage n'étaient point dans leurs cœurs. La politique même leur interdisait tout retour à l'humanité. Le sceptre de fer qu'ils venaient d'arracher à Robespierre faisait toute leur sureté: ils étaient perdus, s'ils avaient osé être justes. La Convention avilie et détestée ne devait qu'à la crainte et à la stupeur ce qui lui restait de puissance. Il fallait qu'elle opprimât, ou qu'elle pérît. Forcée de se dissoudre, elle n'eut pas le courage et la grandeur d'àme de Sylla qui, en abdiquant la dictature, se livra désarmé au ressentiment des Romains. Elle avait compris qu'il était tems d'abolir la Constitution monstrueuse qu'elle avait publiée en 1793, mais elle sentit encore mieux, que si les Français demandaient une Constitution moins anarchique, sa propre sureté exigeait qu'elle ne laissât pas échapper les rênes du Gouvernement. Elle résolut donc de ne se séparer, qu'après avoir fait adopter à la France une Constitution qui put assurer la perpétuité de son règne.

Quelques semaines suffirent pour ce grand ouvrage. Un code volumineux, fabriqué à la hâte par les métaphysiciens de la Convention, fut décrété de confiance, et sans discussion. Un'second décret ordonna impérieusement au Peuple libre et souverain de choisir dans la Convention même les deux tiers de ses Représentans. Des troupes campées sous les murs de la capitale, les armées répandues aux frontières de la République, proclamèrent le nouveau code au bruit du canon. Le peuple réuni en assemblées primaires, répéta avec effroi le serment de le maintenir; et pour la troisième fois, l'enthousiasme et la peur donnérent une Constitution aux Français.

CHAPITRE XIII.

De la Constitution de 1795.

Je ne m'engagerai pas dans l'examen de la Constitution decrétée au mois de septembre 1795, je me borne à quelques réflexions sur ce qui la distingue des Constitutions de 1791 et de 1793.

Les deux premières n'avaient pour préambule que la déclaration des droits de l'homme et du citoyen: la troisième y ajoute une déclaration des devoirs. Remède faible et tardif contre la licence, et contre l'abus inévitable des principes erronnés de la déclaration des droits; compilation incomplète et mal digérée de maximes vraies, mais triviales dont les honnêtes gens n'ont nul besoin, que les méchans sont accoutumés à fouler aux pieds, et qui, certes, n'emprunteront pas de pareils législateurs une autorité bien imposante.

<«<< Tous les devoirs de l'homme et du citoyen, » dit l'Art.11, dérivent de ces deux principes gravés >> par la nature dans tous les coeurs: ne faites pas » à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit. Faites constamment aux autres le bien que >> vous voudriez en recevoir. >>

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raison dans l'Evangile, d'où nos législateurs les ont tirées, ne sont, dans leur bouche, que des phrases insignifiantes. Sans la Religion qu'ils ont proscrite, où est le motif qui puisse raisonnablement me déterminer à préférer le bien d'autrui à ma propre satisfaction? En vain la nature a gravé dans nos cœurs ces principes de justice, si la Religion ne les sanctionne. L'homme n'est remué que par son intérêt, et il n'y a que la Religion qui lie constamment et inséparablement notre intérêt à celui des autres. Le reste de cette homélie politique est du même genre. C'est la vertu prêchée par l'Athéisme. Ces grands hommes d'Etat ne comprendront-ils pas enfin, , que les lois humaines peuvent bien quelquefois punir le crime, mais qu'elles ne peuvent atteindre le vice, encore moins commander la vertu, et qu'il ne peut y avoir pour l'homme et pour le citoyen d'autre déclaration des devoirs, que les commandemens de Dieu.

La déclaration des droits, dans la nouvelle Constitution, est moins vicieuse et moins anarchique que celle des deux Constitutions précédentes.

L'Art. 1 dit bien que « les droits de l'homme en » société, sont la liberté et l'égalité. » Il fallait laisser au peuple ces deux mots qui ont fait la Révolution; mais le sens en est modifié et restreint par les articles qui suivent.

Selon l'Art. VI, « la loi est la volonté générale, >> exprimée par la majorité ou des citoyens, ou de >> leurs représentans », mais par l'Art. VIII de la Constitution, celui-là seul est citoyen qui paye une contribution directe, foncière ou personnelle. Ainsi, tout Français n'est pas citoyen; tout Français n'est pas appelé à jouir des droits politiques, ces droits n'appartiennent qu'au citoyen, et il n'y a de citoyen que le propriétaire.

Je n'ai garde de blâmer la Convention d'avoir restreint le droit de citoyen; je lui reprocherais plutôt de ne l'avoir pas resserré dans des bornes plus étroites. Mais en se rapprochant ainsi des véritables principes, elle a démenti les maximes fondamentales de la Révolution. Que devient, en effet, cette égalité qui, dans l'Art. I, est un droit de l'homme en société? A quoi se réduit cette liberté qui, selon l'Art. II, « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne >> nuit pas aux droits d'autrui? » Une grande partie de la Nation, la classe indigente, qui se voit exclue des assemblées politiques, n'est-elle pas privée d'un droit qui ne nuit point aux droits d'autrui? Et le droit des propriétaires, par cela qu'il est exclusif, ne tourne-t-il pas au désavantage de la classe indigente?

J'ai parlé, dans le Chapitre V des articles XVII et XVIII, où il est dit, que « la souveraineté reside

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