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joints de Paris le féliciter. Il s'entretint long-temps avec les maires. On recueillit de sa conversation ces paroles : « Le gouvernement mérite l'affection du peuple de Paris. Il est vrai de dire que votre cité est responsable à la France entière de la sûreté du premier magistrat de la République. Je dois déclarer que, dans aucun temps, cette immense commune n'a montré plus d'attachement à son gouvernement; jamais il n'y eut moins besoin de troupes de ligne, même pour y maintenir la police. Ma confiance particulière dans toutes les classes du peuple de la capitale n'a point de bornes; si j'étais absent, si j'éprouvais le besoin d'un asile, c'est au milieu de Paris que je viendrais le chercher. Je me suis fait remettre sous les yeux tout ce que l'on a pu trouver sur les événemens les plus désastreux qui onț eu lieu à Paris dans ces dix dernières années; je dois déclarer, pour la décharge du peuple de cette ville aux yeux des nations et des siècles à venir, que le nombre des méchans citoyens a toujours été extrêmement petit. Sur quatre cents, je me suis assuré que plus des deux tiers étaient étrangers à la capitale, soixante ou quatre-vingts ont seuls survécu à la révolution. Vos fonctions vous appellent à communiquer tous les jours avec un grand nombre de citoyens. Dites-leur que gouverner la France après dix années d'événemens aussi extraordinaires, est une tâche difficile. La pensée de travailler pour meilleur et le plus puissant peuple de la terre a besoin elle-même d'être asssociée au tableau du bon

le

heur des familles, de l'amélioration de la morale publique et des progrès de l'industrie, je dirais même aux témoignages de l'affection et du contentement de la nation. >>

Bigot Préameneu, en s'entretenant avec le premier Consul de ce qui faisait le sujet de toutes les conversations, exprimait les regrets du tribunal de cassation de ne s'être pas présenté pour lui témoigner ses sentimens, ajoutant que comme il serait possible que les coupables fussent poursuivis, et que cette affaire vint au tribunal, il voulait rester impassible, du moins autant qu'il le pourrait. Le premier Consul répondit : « Plût au ciel que depuis dix ans nos tribunaux eussent toujours eu ces principes: que de victimes de moins...!!! »

Ceux des envoyés des départemens qui se trouvaient encore à Paris se réunirent, et vinrent dire au premier Consul qu'en s'approchant du gouvernement, ils avaient acquis la conviction intime que les travaux immenses auxquels il se livrait depuis long-temps, avaient pour but la gloire et la prospérité de la France; que le danger qu'avait couru le premier Consul, leur avait fait apercevoir les grandes calamités qui en auraient été la suite; qu'ils l'invitaient, comme premier Consul, au nom du peuple français, à veiller sur les jours du général Bonaparte, et à faire rejeter loin de lui les hommes pervers que l'impunité avait familiarisés avec tous les genres de crimes. On verra bientôt que ce dernier conseil ne fut pas perdu.

Aréna, un des individus arrêtés, écrivit au premier Consul pour se justifier; il terminait ainsi sa lettre : « Je ne demande d'autre juge que vous; permettez que je vous voie; vous prononcerez si je suis un conjuré. On conspire depuis un an; tous les partis s'en mêlent; tout le monde le dit dans les rues et dans les salons, et vous seul, ou vous l'ignoriez, ou vous avez méprisé les avis qu'on vous a donnés. C'est au point qu'aucun homme de bon sens ne croyait plus à ces bavardages. Bien des gens se tenaient prêts pour profiter d'un mouvement, sans savoir qui le ferait. Je vous avoue que je n'y ai jamais cru. Je pourrais vous dire sur cela beaucoup de choses en général; mais que j'aie pris part à aucun plan, je vous avoue que cela n'est pas. »

Dans son rapport, le ministre de la police rattachait ce complot à l'affaire dite du comité anglais. Cependant ce n'était qu'une conjecture. Il supposait que les hommes arrêtés n'étaient que des instrumens, des gens obscurs qui s'agitaient sous la poussière; la tête qui les dirigeait se cachait dans les nuages. Sur sa proposition, le premier Consul renvoya l'affaire au ministre de la justice pour faire exécuter les lois de la République, à l'égard des individus dénommés dans le rapport, et de leurs fau teurs et complices.

Des adresses des magistrats et des citoyens arrivèrent de toutes les parties de la France, demandant punition exemplaire du crime, et des précautions sévères pour l'avenir. « Elles sont surtout remar

quables, dit le Moniteur du 11 brumaire qui en donnait l'analyse, en ce qu'elles ont été spontanées, et qu'elles ont le caractère du républicanisme et le sentiment de la vraie liberté. »

Outre Cerracchi, Aréna et Demerville, la police arrêta Diana, Topino-Lebrun, Daiteg, Lavigne et la femme Fumey; ils furent compris dans la procédure. Cerracchi, né à Rome, élève et presque rival de Canova, était déjà célèbre par ses ouvrages de sculpture, lorsque la révolution, apportée par les Français dans sa patrie, lui avait fait négliger le ciseau pour la politique. Enthousiaste du général Bonaparte, il avait fait son buste en Italie. Forcé de quitter son pays après la malheureuse campagne de l'an vii, il était venu à Paris, et y avait ouvert une souscription pour une statue colossale de Bonaparte; mais depuis, Cerracchi voyait dans le premier Consul l'oppresseur de la République, et avait plusieurs fois manifesté sa haine contre lui. Sous une apparence frêle et peu imposante, cet homme cachait une âme ardente et capable des résolutions les plus extrêmes.

Diana était aussi un Romain réfugié, jeune, fanatique de la liberté, et doué, comme son ami Cerracchi, d'une âme ferme et d'un courage entrepre

nant.

Joseph Aréna, Corse, militaire, nommé adjudant général après le siége de Toulon, ex-député au conseil des Cinq-Cents dont il était sorti en l'an vi, haïssait tellement le premier Consul, qu'ayant été

nommé, dit-on, chef de brigade de gendarmerie à l'expiration de ses fonctions législatives, il donna sa démission à la suite des événemens du 18 brumaire, pour ne pas servir le gouvernement consulaire. Il ne dissimulait point ses sentimens.

Demerville, ex-employé au comité du salut public de la Convention où il s'était lié avec Barrère, était demeuré son ami dans ses malheurs et le voyait encore souvent, quoiqu'ils n'eussent plus les mêmes vues ni les mêmes intérêts politiques, car Barrère était alors chargé de la partie politique des journaux écrits sous l'influence du gouvernement; et Demerville était lié avec des mécontens.

Topino - Lebrun, Marseillais, peintre, élève de David, ex-juré au tribunal révolutionnaire, était un républicain exalté.

C'était Harel, capitaine à la suite de la 45° demibrigade, et lié avec Demerville, qui avait dénoncé les accusés à la police, comme tramant l'assassinat du premier Consul et le renversement du gouvernement consulaire. Il fut autorisé à continuer ses relations avec eux pour rendre compte de leurs de leurs projets. D'après ses révélations, ils avaient résolu d'assassiner le premier Consul le 18 vendémiaire, à l'Opéra, à la première représentation des Horaces. Jusque-là, il n'y avait contre les accusés que le témoignage d'Harel. Mais le 18 vendémiaire, vers deux heures, Barrère vint, avec son cousin d'Instrem, chez Demerville qui était indisposé, pour avoir de ses nouvelles et savoir si on n'avait pas apporté chez

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