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conisait les principes de la monarchie. Il fut expédié sous le cachet du ministère de l'intérieur dans les départemens et répandu avec profusion. On crut voir du rapport entre cet écrit et le but pour lequel on supposait qu'avaient été appelés à Paris les envoyés des départemens.

Lucien l'avait-il concerté avec le premier Consul, ou l'avait-il à son insu lancé dans le public? C'est un point qui nous paraît encore enveloppé de mystère. Quoi qu'il en soit, Fouché profita avec empressement de l'occasion, fit saisir ce qu'il put encore trouver de l'édition, et représenta au premier Consul que cette démarche intempestive augmentait l'irritation de beaucoup de citoyens et de militaires qui tenaient encore à la République. Le premier Consul donna l'ordre d'arrêter la circulation de l'écrit, et de répandre qu'il était l'œuvre d'une intrigue coupable. Il y eut à ce sujet des explications très orageuses entre les deux frères. Elles amenèrent la retraite de Lucien du ministère de l'intérieur, soit que sa fierté blessée ne lui permît pas de le conserver, soit que le premier Consul ne fût pas fâché de trouver l'occasion d'éloigner un ambitieux difficile à satisfaire, et qu'il voulût donner pour le moment une sorte de satisfaction à l'opinion républicaine. La retraite de Lucien ou sa disgrâce fut couverte par une ambassade à Madrid, qui eut pour but de porter le roi d'Espagne à la guerre contre le Portugal, et fut regardée comme un triomphe pour le parti Beauharnais et pour Fouché.

Souvent la disgrâce d'un personnage important à la cour ou dans l'état servit de prétexte aux hommes mécontens du gouvernement pour l'accuser, et pour plaindre comme une victime l'individu disgracié. Ils firent ainsi de Lucien un héros répu blicain qui, pour avoir défendu les libertés nationales contre l'ambition démesurée du premier Consul, avait encouru sa défaveur et sa colère. Et c'était ce même Lucien qui, après le 18 brumaire, s'était montré si peu jaloux de garantir ces libertés, et qui venait de lancer dans le public un écrit ayant pour but de les sacrifier à l'intérêt de sa famille! Lucien, à la vérité, ne l'avoua pas hautement; mais l'écrit était parti du ministère de l'intérieur pour aller inonder toute la France. Lucien en fut donc généralement regardé comme l'auteur, et ne le désavoua pas.

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Il importe d'autant plus de bien fixer les faits qui amenèrent ce commencement de brouillerie entre les deux frères, que, lorsque dans la suite, elle conduisit à une rupture, on s'obstina encore, contre l'évidence, à l'attribuer aux principes libéraux de Lucien, et à représenter, dans toute l'Europe, le prince romain de Canino comme un républicain qui avait eu en horreur le titre de prince français.

Le conseiller d'état Chaptal, d'abord chargé par

1 Lucien, ministre de l'intérieur, qui connaissait parfaitement les projets de son frère, fit publier une brochure destinée à préparer les

intérim, pendant l'absence de Lucien, du portefeuille de l'intérieur, fut ensuite nommé à ce ministère.

esprits à l'établissement d'une nouvelle dynastie. Cette publication était prématurée; elle fit un mauvais effet; Fouché s'en servit pour perdre Lucien. (Madame de Staël, Dix ans d'exil, p. 23.)

CHAPITRE XIII.

Explosion de la machine infernale du 3 nivose.

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est imputé aux anarchistes. -Leur proscription. royalistes en sont reconnus seuls coupables. tion et leur condamnation.

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L'affaire Cerracchi, loin d'effrayer les anarchistes, les avait encore animés davantage; pendant l'instruction ils ne parlaient que de délivrer à force ouverte les accusés et d'en finir de manière ou d'autre avec le gouvernement consulaire. Un nommé Chevalier, employé sous le comité de salut public dans les ateliers de Meudon à imaginer des moyens de destruction calculés sur les effets extraordinaires de la poudre, conçut l'idée d'une machine dite infernale, destinée à faire périr le premier Consul. Il l'essaya, le 25 vendémiaire, dans une maison derrière la Salpêtrière. L'épreuve en parut satisfaisante aux conjurés. La police, en ayant été informée, se mit à la poursuite de Chevalier et l'arrêta le 17 brumaire. On saisit chez lui une machine et des provisions d'artifices. Il dit qu'elle avait été faite pour des armateurs de Bordeaux qu'il ne put désigner. Elle fut examinée en sa présence par le sénateur Monge. C'était un baril à poudre ordinaire, cerclé de fer aux deux extrémités et garni à l'extérieur de clous à gros

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ses têtes appelés caboches. Il contenait huit livres de poudre et deux livres de scories de fourneaux de fer ou verreries cassées en petits fragmens. A ce baril était ajusté un bois de fusil de chasse; la place du canon était occupée par un morceau de bois portant une cannelure, dans laquelle était placée une mèche répondant d'un bout à la batterie, et de l'autre à l'intérieur du baril. Il résulta de l'examen que la machine ne paraissait pas avoir été imaginée pour mettre à mort une personne déterminée, mais bien pour blesser et même pour tuer indistinctement une grande quantité de personnes réunies, comme par exemple, dans un cas d'abordage, et qu'en la considérant sous ce rapport, elle ne paraissait ni bonne ni d'un usage avantageux pour le service de la marine; que cependant elle pouvait être très meurtrière, si elle avait été introduite dans une voiture, ou autre lieu peu spacieux où plusieurs personnes se seraient trouvées réunies. Douze individus furent arrêtés comme complices de Chevalier. Ces arrestations n'empêchèrent point les anarchistes de continuer leurs réunions et leurs manoeuvres. Les armistices ayant été dénoncés à l'Autriche, ils pensaient que le premier Consul irait aux armées, et disaient que, pendant son absence, ils frapperaient un grand coup. Les hostilités ayant recommencé, et le premier Consul ne partant pas, c'était sur sa personne qu'ils s'acharnaient. La police ne les perdait pas de vue; les arrestations se multipliaient.

Le 3 nivose, on donnait à l'Opéra l'Oratorio

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