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aux préfets de donner la plus grande pompe à cette solennité. Celui de la police leur recommandait de faire valoir, ce jour-là, les services nombreux déjà rendus par le gouvernement consulaire, et dont il leur faisait une énumération rapide: « Ce fut, disaitil, l'art de beaucoup d'usurpateurs qui détruisaient la liberté dont ils se disaient les modérateurs, et le calme perfide dont ils ont fait jouir un instant a été suivi de toutes les horreurs de plusieurs siècles de tyrannie; mais, faire usage d'un grand pouvoir qu'on a reçu du peuple et de la constitution pour rendre ce peuple plus capable d'exercer heureusement ses droits et sa liberté, voilà les pensées qui respirent autour du gouvernement ». Et s'adressant aux ennemis de la République : « Qu'ils sachent qu'une fois que la lumière est bien répandue sur la terre, il est impossible de l'éteindre, et que, pour la perdre, il faut que le globe tourne et change de face. »>!

D'après les discours du ministre de l'intérieur aux envoyés des départemens, en les appelant à Paris, les Consuls avaient desiré les rendre témoins de la fête, les associer à l'allégresse qu'inspiraient ces augustes solennités, rendre communs à toute la France les mouvemens d'enthousiasme qu'elles excitaient, resserrer, par une communication d'opinions et de sentimens, les liens qui unissaient toutes les parties de la République, recevoir de la part des citoyens

par

'C'était le style habituel de Fouché, qui visait à l'effet l'enflure des expressions et l'exagération des images.

recommandables par leur patriotisme et leurs lumières, et honorés de la confiance publique, des notions sur l'état des départemens, en attendant que le gouvernement pût exécuter le projet qu'il avait formé d'envoyer des commissaires pour les visiter.

Les républicains répandirent le bruit que le but secret du premier Consul était de se faire, en présence de ces notables, proclamer roi ou empereur, et de les substituer, sous une forme quelconque, aux autorités nationales trop empreintes des couleurs de la révolution. Plusieurs d'entre ces envoyés crurent que tel était l'objet de leur mission et s'en montrèrent très glorieux. La fête s'étant passée sans changemens dans le gouvernement, on dit que le premier Consul, ne trouvant pas l'opinion assez mûre, avait ajourné son projet.

Les restes de Turenne furent transportés avec une grande pompe militaire au temple de Mars, le cinquième jour complémentaire, avec son épée et le boulet qui lui avait donné la mort. Le ministre de la guerre, Carnot, prononça son éloge et le termina par ce mouvement oratoire d'un genre véritablement antique : « Des paroles ne sauraient décrire ce qui tombe ici sous vos sens. Qu'aurais-je à dire de Turenne? le voilà lui-même; de ses triomphes? voilà l'épée qui armait son bras victorieux; de sa mort? voilà le fatal boulet qui le ravit à la France, à l'humanité tout entière ». Le nom de Turenne fut donné à la rue Saint-Louis au Marais, où était l'hôtel qu'il avait habité. Le soir, y eut spectacle gratis,

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Le premier Consul parut au Théâtre-Français où l'on jouait le Cid et le Tartufe; il y fut accueilli par des acclamations.

Le 1 vendémiaire, il posa sur la place des Victoires la première pierre du monument élevé à Kléber et à Desaix, dont le sénateur Garat prononça l'éloge funèbre. Le premier Consul se rendit ensuite aux Invalides. Les noms des braves qui avaient obtenu des armes d'honneur étaient inscrits en lettres d'or sur des tables de marbre. Le ministre de l'intérieur y proclama, conformément à l'arrêté du 17 ventose an viii, les noms des dix départemens qui, par le nombre des conscrits qu'ils avaient fourni, et l'empressement avec lequel ils avaient payé leurs contributions, s'étaient rendus dignes de concourir à donner leur nom à une place de Paris. Cet honneur fut décerné au département des Vosges. On exécuta le Chant du premier vendémiaire, paroles d'Esménard et musique de Lesueur, où l'on remarquait cette strophe:

VIII,

Des murs de Romulus la liberté bannie,
Loin du Tibre avili fuyant la tyrannie,
S'élance à notre voix;

Et sur les bords heureux que la Seine féconde,
Elle vient rétablir, pour le bonheur du monde,
Ses autels et ses lois.

Chargé de célébrer la fondation de la République, Lucien Bonaparte se montra, dans son discours, digne de remplir cette honorable tâche : « La France monarchie n'est plus, dit l'orateur, et tous les trô

nes se liguent pour lui enlever ses provinces....... A peine née, la France république, plus forte que tous les trônes, s'élance à pas de géant, parcourt et reprend les limites des anciennes Gaules. Le sceptre de Henri IV et de Louis XIV, brisé, roule dans la poussière; mais à l'instant, le gouvernement du peuple-roi retrouve en son nom et ressaisit tous les sceptres de Charlemagne....... Heureuse la génération qui voit finir par la République la révolution qu'elle a commencée par la monarchie......! Le tombeau de Turenne fut long-temps au milieu des tombeaux des rois qu'honorait cette alliance: le voilà dans le temple de la Victoire, sous les drapeaux conquis par les héritiers de sa renommée..... Ne dirait-on pas que les deux siècles se rencontrent et se donnent la main sur cette tombe auguste....?

<< Rassemblé devant ses consuls, au pied du Capitole, le peuple de Mars invoquait, à la fin et au retour de chaque siècle, les divinités protectrices de l'empire. Nous touchons au même renouvellement, et le sentiment qui nous réunit n'est pas moins religieux..... Il me semble que debout, sur la statue brisée ou sur le tombeau détruit d'un des anciens rois de France, le siècle qui va finir prend l'essor, et s'adressant au siècle qui commence : « Je te lègue, dit-il, un grand héritage; j'ai accru toutes les connaissances humaines...... On m'a appelé le siècle de la philosophie...... Je disparais, et les tempêtes rentrent avec moi dans la nuit des temps. Ton règne commence dans un jour serein; conserve bien

le repos et la liberté..... ne trompe pas l'espérancé

des sages.

« Non, cette espérance ne sera pas trompée: le repos, la liberté, les sciences, les lumières, les beauxarts, toutes les idées libérales prospéreront sous la République. Le siècle qui commence sera le grand siècle...... J'en jure par le peuple dont je suis aujourd'hui l'organe, par la sagesse de ses premiers magistrats, par l'union des citoyens..... Les grandes destinées de la France républicaine seront accomplies ». De la France, Lucien l'espérait, il le voulait; républicaine, il ne le pensait pas.

Une heureuse nouvelle vint encore ajouter à l'enthousiasme. Huit jours auparavant, les préliminaires de paix, signés par le général Saint-Jullien au nom de l'Autriche avaient été publiés avec cette note: « Le refus de sa majesté l'empereur d'Autriche de les ratifier a nécessité la rupture de l'armistice. La signification en a été faite le 14 fructidor par les généraux en chef aux généraux ennemis ». On croyait donc les hostilités recommencées. Cependant, dès le matin du 1er vendémiaire, un bruit sourd de paix s'était répandu, mais le ministre de l'intérieur n'en ayant rien dit dans son discours, on ne doutait plus de la guerre, lorsque Lncien reprenant la parole, donna lecture d'une note adressée par le premier Consul aux envoyés des départemens : elle annonçait la nouvelle apportée par le télégraphe que, sur la dénonciation de l'armistice de Pahrsdorf, l'empereur qui s'était rendu sur l'Inn,

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