Page images
PDF
EPUB

tions, six ans d'intervalle pour le duc d'Orléans, et quatre pour le duc de Nemours.

« Quant à M. le prince de Joinville, il a été nommé enseigne dans la marine royale après avoir subi les examens prescrits par la loi; il a été embarqué dans tous les parages où il avait des dangers à courir, il a navigué; et lorsque sous les murs de Constantine il y avait déjà une tête royale exposée, il descend de son vaisseau et vole auprès de son frère à de nouveaux dangers: aujourd'hui, il est bien légalement lieutenant dans l'armée maritime.

« Les autres princes, le duc d'Aumale et le duc de Montpensier, où sont-ils ? Vos enfants, MM. les jurés, sont peut-être maintenant assis auprès d'eux dans un de ces colléges créés par l'Etat où les fils du Roi reçoivent l'éducation populaire des fils des simples citoyens.

<< Eh! maintenant que le National provoque à la désobéissance, aux lois, qu'il demande aux soldats de se révolter contre le duc d'Orléans! qu'il soutienne que ce prince n'est pas plus général que président de Cour royale! tout le monde verra là des provocations coupables que vous ne manquerez pas, Messieurs, de réprimer. »

M. l'avocat-général termine ainsi :

<< Tout ceci est grave, Messieurs les jurés, immensément grave. Ce n'est pas seulement, en effet, un écart accidentel de la pensée : c'est un acte de tactique; c'est encore plus, peut-être, c'est un symptôme.

<< Depuis la révolution de juillet, nous avons traversé ensemble bien des jours mauvais.

« L'anarchie a eu ses apôtres, ses prédicateurs, ses héros. Ils ont longtemps tourmenté la France, et le sol de Paris tremble encore aux souvenirs des pas de l'émeute qui l'a si souvent foulé. Heureusement, le bon esprit des populations, le courage des bons citoyens, l'union de la garde nationale, où vous étiez, et de l'armée, qui était avec vous, ont rendu tous ces efforts inutiles, et aujourd'hui, disons-le bien haut, le retour à ces criminelles entreprises est un retour impossible.

« L'esprit de révolte l'a compris comme nous; mais il n'a pas renoncé pour cela à ses espérances coupables, et il a mis à profit cette trève que nous devons à un sommeil d'un jour, pour atteindre, par un moyen nouveau, le but qu'il a incessamment poursuivi. Son regard, sa pensée, ses prédications se sont maintenant adressées à l'armée. Par l'offense deversée à pleines mains sur ses chefs, par le dédain jeté à la face de tout ce qui porte l'uniforme civique, par ses provocations à la désobéissance, il a cherché à tenter sa fidélité. Ah! MM. les jurés, cette fidélité, le passé de l'armée nous la garantit pour son avenir.

« L'armée sait comme nous, comme vous, comme tous ceux qui, en France, ont au cœur un patriotisme sincère, que l'Etat c'est l'armée ; l'armée, la discipline, et la discipline, l'obéissance; et si elle avait reçu de la loi la mission de juger les délits qui vous sont déférés, elle serait la pre

1

mière à flétrir comme un présent funeste l'indépendance dont on veut la

lenter.

[ocr errors]

« Cette mission, c'est à vous de la remplir, Messieurs les jurés, et c'est avec la confiance que donne une conviction sans limite que nous attendons votre jugement. Nous savons que sous l'habit du garde national comme sur le siége du jury, nous pouvons compter sur les élans de votre patriotisme, sur le courage de votre fidélité et sur votre dévoûment absolu à nos institutions nouvelles, et certes ce n'est pas aujourd'hui que vous voudrez faillir à ce que la société, le trône, le pays et la loi ont le droit d'attendre de vous.»

M. LE PRÉSIDENT. La parole est au défenseur du prévenu.] (Viƒ mouvement d'attention.)

PLAIDOIRIE DE Me MICHEL.'

MESSIEURS LES JURÉS,

Je disais un jour à la chambre des députés : Vous avez fait de fort mau } vaises lois contre lesquelles je protesterai toute ma vie. On me répondit : vous faites-là un discours d'autrefois. Qu'il me soit permis de le dire à mon tour et avec plus de vérité; le réquisitoire que vous venez d'entendre est un réquisitoire d'autrefois.

Depuis 1830, il n'y a pas eu de procès politique un peu important auquel je n'aie été mêlé. Combien nos fonctions étaient alors difficiles! L'accusation était vive et ardente; la défense la suivait sur le terrain brûlant des passions et quelquefois l'y devançait; c'était la guerre civile importée dans le sanctuaire de la justice. Je le déclare hautement, si j'avais pu prévoir que les débats actuels dussent ressembler aux débats de ces dernières années, des convenances toutes personnelles et les soins d'une santé chancelante ne m'auraient pas permis d'accepter la mission confiée à mon zèle par la confraternité politique.

Je m'étais dit : il me semble que les temps sont changés; un mouvement lent, mais réel, s'opère dans les esprits; les passions se calment, beaucoup de craintes chimériques tombent et s'effacent devant la vérité des faits; on se voit, on se rapproche et bientôt on finira par s'entendre. Dans cette situation des esprits, qu'est-ce qu'un procès de presse, si ce n'est une controverse paisible, calme, de bonne foi, dans laquelle tout appel à des passions éteintes serait au moins une grande maladresse? Cette illusion de mon cœur, le réquisitoire du ministère public l'a complètement détruite. On a essayé encore une fois de transformer en lutte de parti une querelle purement judiciaire..

La cause est grave, dit-on, elle préoccupe vivement les esprits; oui sans doute elle est grave, et c'est pour cela que je tiens à honneur de la défendre devant vous. C'est un conflit solennel entre le droit commun et le droit exceptionnel; entre le droit de tous et les prétentions de quelques-uns,

entre l'égalité et le privilége, et ce qui ajoute à l'importance de la cause, c'est qu'elle est déférée à son juge naturel, à sonjuge légitime'; une question d'égalité devant un jury français, quel gage de sécurité, quel puissant motif d'espérance. Nous traiterons donc la question devant vous avec franchise, avec loyauté, sans art, sans ambition; absous ou condamnés, la leçon sera efficace; elle profitera au pays car elle émanera d'un juge souverain et compétent.

On a parlé de l'amnistie. Mais le National, que je sache, n'a pas été am· nistié, il n'est responsable que de ses opinions; fondé, dirigé, glorifié par un homme dont la mémoire est encore présente dans cette enceinte, par un homme qui, vingt fois, triompha des injustes attaques du parquet, le National n'eut jamais besoin d'amnistie, il ne fut jamais amnistié. L'amnistie est donc tout-à-fait étrangère à ces débats.

On vous a aussi parlé des émeutes, on a cherché à réveiller au fond de vos âmes des souvenirs que tous nos efforts devraient tendre à effacer. Ah! ce n'est pas volontairement qu'on se jette dans la guerre civile; dans ce sanglant conflit entre les enfants d'une même patrie, la victoire n'esteile presque pas aussi déplorable que la défaite, et s'il en est parmi vous qui aient eu le triste honneur de prendre part à ces luttes, ce n'est pas assurément sur ces exploits douloureux qu'ils fondent leur gloire et celle de leurs enfants. Ces temps, je l'espère, ne reviendront plus, mais en vérité, au langage que tiennent certaines gens, on serait tenté de croire qu'ils sont désespérés du calme dont nous jouisssons.

On vous a dit que nous avions fait appel à l'armée. Et pourquoi je vous prie? Dans quel but, dans quel dessein? où est notre influence sur l'armée? où sont nos généraux, nos officiers, nos soldats? La vérité est que nous avons réclamé pour les droits de l'armée. L'armée n'est pas la nation, comme on vous l'a dit, mais c'est une partie intéressante de la nation, j'ose dire que c'est la partie la plus intéressante de la nation, car elle se recrute dans les familles du peuple, car sa gloire est notre gloire, et nous comptons sur elle dans les jours du danger pour sauver la patrie. Non, encore une fois, nous n'avons pas fait appel aux passions de l'armée, nous avons exprimé ses griefs les plus légitimes, nous nous sommes constitués les défenseurs de ses droits les plus sacrés.

Enfin, il n'est pas jusqu'à votre susceptibilité de gardes nationaux qu'on n'ait cherché à exciter. L'accusation nous reproche d'avoir bumilié la garde nationale en reléguant les princes dans ses rangs; elle nous fait un crime d'avoir dit que désormais les princes seraient réduits à se faire généraux dans la garde nationale: voilà de bien déplorables arguments. Vous trouvez donc qu'il est humiliant d'être général dans la garde nationale! N'est-ce pas elle qui vous a faits ce que vous êtes, vous et votre famille; et si ces temps n'étaient pas déjà si loin de nous, je rappellerais qu'en 1830 on n'était pas si dédaigneux; je ne sais pas quel était alors le grade du due d'Orléans dans l'armée; ce que je sais, ce que je ne puis oublier, c'est que ce prince était alors simple artilleur dans la garde nationale.

[ocr errors]

Ainsi disparaissent tous les arguments empruntés par l'accusation à des considérations étrangères à la cause; arrivons au procès, et disons un mot d'abord du mode des poursuites dirigées contre le National, et du motif véritable de ces poursuites.

Nos lois pénales offrent aux accusés deux garanties également précieuses: les délais qui séparent la mise en prévention du jugement permettent an prévenu de combiner le système de sa défense, d'en réunir tous les éléments, d'en confier le soin à l'avocat de son choix, d'appeler à son aide les témoins dont il a besoin pour établir son innocence ou sa moralité. Une autre garantie non moins importante consiste dans l'obligation où est le ministère public, avant de donner suite à l'accusation, d'en faire accepter en quelque sorte la solidarité par les magistrats qui remplacent notre ancien grand jury d'accusation, je veux dire par la chambre du conseil et par la chambre des mises en accusation.

Vous savez, messieurs, comment ces deux garanties nous ont manqué; nous avons été assignés à comparaître devant vous dans les trois jours; nous avons été assignés directement par le ministère public, et sans que cette assignation ait été soumise au contrôle des magistrats inamovibles. De cette manière, nous nous trouvons obligés à nous défendre sur trois griefs, dont chacun peut entraîner la perte de notre liberté et compromettre gravement notre fortune, et nous n'avons eu que trois jours pour préparer nos moyens de défense, pour étudier les lois dont on poursuit contre nous l'application, pour rassembler les matériaux indispensables à notre justification; et vous-mêmes, vous êtes constitués les juges définitifs de cette accusation sans qu'une instruction préalable soit venue y répandre les lumières dont elle a besoin d'être éclairée, sans que des magistrats indépendants du pouvoir, étrangers à son action, soient venus vous rassurer par une décision préalable contre la crainte de la surprise et les dangers de l'entraînement. Ainsi la protection tutélaire dont les lois environnent le dernier des accusés, dont a 'joui cet homme qui naguère était assis sur ces bancs et que votre humanité vient d'acquitter; cette protection, dis-je, on la refuse à un journaliste, à un écrivain, à un citoyen qui, après tout, ne peut être coupable que d'avoir fait un emploi inconsidéré de son intelligence. Voilà où nous mènent ces lois de septembre, contre lesquelles je m'éleverai avec énergie toutes les fois que j'en trouverai l'occasion.

Quelle a été l'origine de ce procès ? En 1832, une loi fut faite sur l'avancement de l'armée: cette loi, tout imparfaite qu'elle était, offrait cependant certaines garanties aux soldats et aux officiers de tous grades contre la faveur et l'intrigue, ennemis nés du mérite et du talent dans tous les temps et sous tous les régimes. Pour faciliter l'exécution de cette loi, une ordonnance était nécessaire; elle a paru non en 1832 comme vous pourriez le supposer, mais au mois de mars 1838. Le National en a fait une critique sévère mais juste; il a eu trop facilement raison. Lui répondre par des arguments sérieux puisés dans les faits et les principes n'était pas chose facile. On lui

la fait un procès; c'était plus commode et plus expéditif. Malheureusement pour le ministère public, le jury s'est trouvé sur son passage'; voilà le véritable motif de ce procès; tout le reste n'est qu'un accessoire peu important. On veut avant tout avoir raison de notre critique, étouffer nos légitimes réclamations, protéger les illégalités de l'ordonnance par un verdict du jury, mettre une décision judiciaire à la place d'une discussion froide, logique, raisonnée.

Vous voyez, messieurs, combien la question est grave.JElle touche à l'un des points les plus importants de notre droit public. Elle mérite toute votre sollicitude. Pénétrez-vous de la haute mission qui vous est confiée, prononcez dans le calme et l'austérité de votré conscience, car, je vous le dis, c'est de l'avenir du pays qu'il s'agit; si vous consultez les sentiments qui ont éclaté au dehors, à l'occasion du procès du National, vous reconnaîtrez sans peine que nous ne combattons pas seuls ici; toute la presse indépendante est avec nous; le Bon-Sens, le Journal du peuple, la Sentinelle de l'armée, le Courrier français, le Siècle, le Commerce, le Constitutionnel nous appuient de leurs sympathies, de l'autorité et de l'unanimité de leur opinion touchant l'ordonnance du mois de mars. Il y a, je le répète, dans notre procès autre chose que de l'esprit de parti. Le véritable sujet de notre querelle, c'est l'interminable conflit, l'éternelle lutte entre les lois et les ordonnances. Si l'on était de bonne foi, si l'on voulait restreindre la discussion dans ses véritables limites et ramener le procès à son véritable objet, la question dont la solution vous est demandée se réduirait à ce peu de mots : l'ordonnance du 16 mars 1838 est-elle conforme à la loi du 14 avril 1832.

Nous sommes dans un pays qui a fait en 1830 une révolution, parce que l'on avait tenté de substituer le régime des ordonnances au régime des lois, et voilà que huit ans après on nous traîne sur les bancs des assises, nous qui nous sommes constitués les défenseurs des lois contre les ordonnances, pour quelques expressions échappées à la vivacité de nos convictions.

Nous sommes donc destinés à passer toujours par les mêmes épreuves. Que disait la presse sous la restauration ? il existe au château une camarilla qui exerce une influence funeste sur le sort de l'armée. Les hommes du pouvoir répondaient par de formelles dénégations. Ils accusaient les intentions de la presse, ils criaient bien haut à la calomnie, au mensonge, à la diffamation. Où est la camarilla ? Où sont ses actes officiels? Révélez-nous son existence par la signature d'un de ses membres ? Et, pendant ce temps-là, la camarilla grandissait, marchait à son but, décourageait les uns, favorisait les autres, procédait par voie d'exclusion; si bien qu'un beau jour, l'armée se trouva peuplée d'émigrés, de fils de nobles, de chouans, et qu'au moment suprême, les soldats n'eurent rien de mieux à faire que d'abandonner leurs officiers pour se ranger du côté du peuple sous le drapeau de la révolttion.

Permettez, Messieurs, que je vous rappelle à cette occasion ce que disait

« PreviousContinue »