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le même ordre qu'hier. Steuble et Vallantin sont toujours séparés des autres. On dit que la santé de Giraud s'est améliorée depuis hier, grâce aux bons soins qu'il a reçus. Mademoiselle Grouvelle a passé une partie de la soirée et de la nuit auprès du malade; aussi paraît-elle fatiguée ce matin et plus pâle qu'à l'ordinaire; elle s'est enveloppée dans un grand cachemire rouge.

Les médecins Auvity, Varilland et Vignardonne font un rapport dans lequel ils déclarent que l'état de Vincent Giraud s'est sensiblement amélioré, qu'il prendra quelques aliments aujourd'hui, et qu'il pourra vraisemblablement assister demain aux débats.

Après quelques observations de M. le président et des défenseurs, l'audience est renvoyée à demain.

6 AUDIENCE. 12 MAI.

L'audience est ouverte à dix heures et demie, et les accusés sont introduits dans le prétoire. Tous les regards se portent sur l'accusé Vincent Giraud, qui s'avance lentement. Sa figure est pâle et fatiguée; il est couvert d'un manteau vert.

M. le président donne lecture du rapport dressé par les médecins sur l'état de l'accusé Giraud. Ce rapport, daté d'aujourd'hui, six heures du matin, constate que Giraud a été pris hier, entre trois et quatre heures, par un léger mouvement nerveux qui a cédé facilement à leurs soins. Nonobstant cet accident, l'état de Giraud est satisfaisant, et il peut sans inconvénient assister à l'audience.

M. LE PRÉSIDENT.

Vincent Giraud, est-ce que vous avez éprouvé des

mauvais traitements à Sainte-Pélagie ?

GIRAUD.Oui, M. le président. Je suis resté cinq mois à Sainte-Pélagie, où j'étais constamment enfermé, et je n'avais qu'une heure par jour pour sortir de ma prison.

M. LE PRÉSIDENT.

lagie ?

GIRAUD.

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· Avez-vous été placé dans un cachot à Sainte-Pé

- Je ne sais si la pièce où j'ai été enfermé est un cachot, mais ce que je sais, c'est qu'à Sainte-Pélagie on appelle cette pièce le Tombeau. (Sensation.)

M. lé président fait le résumé des débats qui ont eu lieu à l'audience d'avant-hier; il fait connaître que Ferrault, qui a été entendu à cette audience à titre de renseignements, a été récemment condamné à vingt années de travaux forcés pour vol qualifié, et que, par suite de cette condamnation, il a été exposé le 30 décembre dernier.

Me HEMERDINGER. Steuble n'a-t-il pas écrit plusieurs lettres à M. Simonnin?

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Oui,

monsieur.

Me HEMERDINGER.

- Je désirerais que toutes ces lettres fussent remises à la Cour. Dans plusieurs de ces lettres, Steuble a parlé des obsessions dont il avait été l'objet. Je voudrais moi-même avoir communication de ccs lettres.

Après quelques observations de M. le procureur-général, M. Hemerdinger prend des conclusions, et la Cour ordonne par un arrêt que ces lettres seront déposées entre les mains du greffier, et qu'elles seront traduites par M. Ungher.

M. le président fait traduire par l'expert, M. Wingher, le dernier interrogatoire de Steuble; cette lecture est fréquemment interrompue par l'accusé qui déclare n'avoir pas fait les aveux qui se trouvent coniastés par cet interrogatoire. Il signale plusieurs passages où on lui fait répondre affirmativement quand il a répondu négativement.

La Cour va procéder à l'interrogatoire de Steuble en l'absence des accusés Huber et Grouvelle; les demandes et les réponses seront transmises par l'interprète.

M. le président, à Steuble. —Jusqu'à présent nous vous avons présenté à MM. les jurés avec les déclarations faites par vous, soit pendant vos interrogatoires, soit dans l'écrit que vous avez envoyé à M. le juge d'instruction. Maintenant, oubliez tout ce que nous avons dit à MM. les jurės, oubliez tout ce qui s'est passé depuis l'ouverture de ces débats; répondez avec vérité à nos questions; pensez que le moyen de vous attirer l'intérêt est de dire la vérité tout entière, et que c'est aussi le moyen le plus puissant d'obtenir l'indulgence quand on en a besoin, et son acquittement si l'on est innocent.

M. le président interroge Steuble sur ses premières relations avec Huber, et sur le fait de leur voyage en Angleterre.

Steuble répond que c'est dans le mois de juin 1837 qu'il a connu Huber chez Moutier; Huber l'a conduit chez mademoiselle Grouvelle pour qu'ellelui procurât du travail; mademoiselle Grouvelle lui a donné quelquefois de l'argent; ces relations ont duré environ un mois; c'est en juillet 1837 qu'il est parti pour Londres avec Huber; ils se sont arrêtés en route deux fois avant d'arriver à Bruxelles.

M. le président continue l'interrogatoire de Steuble par l'entremise de l'interprète.

D. Pourquoi a-t-il été à Londres avec Huber?-R. Il l'a fait dans le but d'avoir des comptes du gouvernement anglais qui devait de l'argent à son père, et après, il avait l'intention de construire des machines pour les vendre aux habitants du Levant.

M. le président fait représenter à Steuble des papiers qui ont été saisis chez lui et qu'il reconnaît pour les siens.

Parmi ces papiers, il y a un journal qui parle de réclamations faites par

un Suisse pour vente faite au gouvernement anglais. C'est une pétition adressée à la chambre des communes, dans laquelle il expose qu'il a fait une machine pour laquelle il est convenu d'un prix de 10,000 livres sterling; que la machine a été livrée; qu'un acompte de 3,000 livres a été payé, et qu'on demande le paiement du reste du prix ou la restitution de la machine.

D. Croyait-il que son père ne pouvait pas faire la machine sans lui? R. Il pense bien qu'il l'aurait pu, mais cela lui eût été difficile.

D. Mais son père avait fait sans lui la machine vendue à Saint-Pétersbourg. R. Non, il avait alors travaillé avec son père.

D. Pourquoi voulait-il mettre ainsi son père dans l'impossibilité de travailler en France? — R. Parce qu'il voulait être seul. S'il avait voulu être avec son père, il serait resté à Paris en même temps que lui...

D. II. agissait ainsi au préjudice de son père? - R. Jamais; il voulait vendre la machine aux habitants du Levant. Quand on vend deux fois, cela vaut mieux qu'une. (On rit.)

D. A son arrivée à Londres, chez qui a-t-il demeuré ? R. II croit se rappeler qu'il a logé chez un aubergiste.

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D. Qu'a-t-il fait à Londres après son arrivéc? R. Il est allé voir ses amiş et il s'est occupé à dessiner,

D. N'a-t-il pas fait le plan d'une machine convenue entre lui et Huber? – R. Il a dessiné les plans de cette machine et d'autres encore.

D. Il y avait donc convention sur la confection d'une machine entre lui et Huber? — R. Il ne pouvait pas trouver d'ouvrage, alors Huber lui dit de dessiner une machine.

Le plan de cette machine est représenté à Stcuble qui le reconnaît. On y voit une certaine quantité de canons de fusil dessinés et coloriés. Ils devaient être soutenus par un appui en bois dont les principales pièces sont également dessinées et coloriées autour des canons.

D. Huber n'a-t-il pas laissé Steuble à Londres pour faire un voyage à Paris? - R. Oui.

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D. A son retour de Paris, Huber l'a-t-il revu? R. Il a demeuré chez lui.

D. N'a-t-il pas eu une contestation avec Huber à son retour? - R. Ils ont eu des désagréments ensemble.

D. Pourquoi ?-R. C'était pour des motifs d'argent.

D. Huber ne rapporta-t-il pas de l'argent à son retour de France. - R. Il ne le croit pas.

D. Lorsque Huber est revenu, le dessin de la machine était-il fini? R. Il y avait un dessin fait, mais d'autres ne l'étaient pas.

D. Sait-il comment son dessin est passé entre les mains d'Huber? R. Non.

D. Il doit savoir au moins quand il est sorti de ses mains? — R. Il avait eu une dispute avec Huber au sujet d'une lettre: à la suite de la querelle il est sorti, et le soir il s'est aperçu de la disparution de son dessiņ,

D. Steuble n'a-il pas su, à une certaine époque, qu'Huber voulait le romper? R. Ça m'a semblé ainsi, mais je n'en ai pas eu la certitude. M. le président fait traduire, par M. Wingher, plusieurs lettres de Steuble. Dans l'une de ses lettres, Steuble se plaint d'avoir été traité de coquin par Huber, et il lui annonce qu'il va écrire à la duchesse de Berri, relativement à la machine.

Dans une autre, Steuble parle d'une dispute à la suite de laquelle Huber l'aurait menacé de lui donner un coup de couteau.

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- R. Parce

D. Que Steuble explique comment Huber s'était conduit envers lui pour qu'il ait dit: M. Huber, vous m'avez traité comme un coquin. que mes plans m'avaient été pris.

D. Mais il a dit tout-à-l'heure que la discussion avait eu lieu à raison de l'argent.-R. C'était aussi pour ce motif.

D. Steuble n'a-t-il pas trouvé dans sa commode, et à la place où se trouvaient les plans, le billet suivant ; « Vous avez voulu me tromper; j'ai votre secret. Ne vous présentez plus devant mes yeux, vous êtes un mauvais drôle.»- R. J'ai en effet trouvé un billet conçu dans des termes semblables.

D. Ne lui avait-on pas donné à cette époque un rendez-vous à HydePark? R. Beaucoup plus tard.

M. LE PRÉSIDENT. On a trouvé un autre écrit tracé par Steuble. M. Wingher, veuillez en faire la traduction.

M. WINGHER.

<< Traité entre la république de France et Steuble. Comme j'ai tout fait de mon côté pour la réussite de l'entreprise, M. Huber a agi contrairement à ma manière de faire, je me vois forcé d'arrêter les conventions suivantes :

« 1o Que la maison doit être louée sous mon nom;

« 2o Qu'il est réservé à moi seul d'introduire personne dans les ateliers, et que M. Huber ni personne ne pourra s'introduire dans l'atelier sans mon consentement;

« 3o Que les commandes, les achats et le paiement des ouvriers me seront abandonnés :

«< 4o Qu'il sera libre à moi de sortir quand bon me semblera. »

D. Quel est le sens de cette note, par laquelle Steuble se réserve exclusivement le droit de louer une maison, d'entrer dans ses ateliers et de faire ́les commandes ? R. Tout cela était relatif à la construction des machines.

D. En quoi Huber devait-il s'occuper de la machine? - R. C'était mon affaire, Huber ne devait pas s'en occuper.

D. D'après l'écrit, Huber devait s'en occuper ? - R. C'est là le motif de la rupture; Huber voulait s'en occuper, et moi je ne voulais pas.

D. Huber voulait donc participer à la construction de la machine?R. Huber ne connaît rien en fait de mécanique et de dessin, il ne pouvait s'en occuper.

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D. Puisqu'il devait être seul, pourquoi faisait-il un traité et des conditions? R. Je ne sais pas pourquoi j'ai écrit cela.

M. LE PRÉSIDENT. Au moment de l'arrestation d'Huber, on a saisi un portefeuille, des notes et des chiffres écrits avec un crayon. Messieurs les jurés, on a fait un travail sur les chiffres. Deux nombres se trouvent constamment joints; ces chiffres indiquent, ainsi qu'on le pense, le premier, la page, et le second, la ligne où doit se trouver le mot désigné : nous vérifierons, avec la défense, l'exactitude du travail de l'expert. M. le président lit cette note, qui se trouve dans l'acte d'accusation. M. LE PRÉSIDENT. On parle dans cette lettre de menaces qui auraient

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D. N'a-t-il pas, après cette lettre, quitté Londres précipitamment et sans faire viser son passeport? · R. Mon passeport a été visé.

D. A-t-il eu connaissance de la lettre qu'on vient de lire? — R. Non. D. Pourquoi, étant sans argent, s'est-il décidé à partir pour Paris? R. J'avais de l'argent, un de mes amis m'en avait donné. D. N'avez-vous pas été chez Giraud?

.R. Oui.

D. N'est-ce pas Annat et mademoiselle Grouvelle qui l'ont conduit chez Giraud?

- R. Non.

D. Qu'est-ce qui payait ses dépenses chez Vincent Giraud ? R. Personne, je les dois encore.

D. N'a-t-il pas été chez mademoiselle Grouvelle? — R. Oui.

D. Pourquoi a-t-il été trouver la demoiselle Grouvelle, qu'il savait être l'amie intime d'Huber? R. Pour savoir ce que mademoiselle Grouvelle lui dirait d'Huber.

D. Que lui a-t-elle dit? R. Je ne me le rappelle pas.

M. le président fait connaître à messieurs les jurés qu'on a trouvé sur mademoiselle Hergalant, amie de mademoiselle Grouvelle, une lettre de Steuble écrite à Huber, et que, chez le sieur Journeux, il a été saisi un papier cacheté ayant pour suscription: Testament de madame Grouvelle mère. Sous cette enveloppe se trouvaient plusieurs lettres de Steuble à Huber.

M. LE PRÉSIDENT. Comment Steuble peut-il expliquer ses rétractations en présence des écrits émanés de lui et qu'il vient de reconnaître? STEUBLE. Lorsque j'ai écrit, j'étais irrité contre Huber, j'ai dit plus que la vérité.

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D. Y a-t-il eu convention entre lui et Huber pour la construction de la machine dont le plan a été saisi sur Huber? R. Qui.

D. N'y a-t-il pas eu débat entre lui et Huber sur la destination de la machine, et Huber ne lui a-t-il pas dit que cette machine était destinée à tuer le roi ? R. Huber ne m'a jamais dit que le roi devait être tué à l'aide de cette machine; il était uniquement question de la vendre.

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