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M. LE PROCUREUR-GÉNÉRAL.

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Avec qui Steuble devait-il traiter? quelle était la personne qui figurait dans l'espèce de contrat fait avec la république ?

STEUBLE. Cela n'avait aucun but; j'ai écrit le traité sans y attacher aucune importance.

Huber et mademoiselle Grouvelle sont ramenés à l'audience, et M. le président fait connaître rapidement ce qui a été dit en leur absence.

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L'audience est ouverte à 10 heures 25 minutes.

M. le président fait placer mademoiselle Grouvelle à la place occupée à l'audience précédente par Steuble, en tête du premier banc.

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D. Annat a déclaré que vous étiez son cousin, et que vous portiez le même nom que lui; pourquoi cherchait-il à vous cacher ?- R. J'étais sous la surveillance de la police, je pouvais être tourmenté et même arrêté par le gouvernement, il y avait donc nécessité pour moi de me cacher.

D. Arrivé en Angleterre, n'avez-vous pas écrit à la demoiselle Grouvelle? R. J'ai écrit à mademoiselle Grouvelle (j'étais sans resources en Angleterre) que je ne voulais pas davantage être à la charge de mes amis, que j'aimais mieux m'exposer à toutes les persécutions du gouvernement que de rester plus longtemps dans cette situation. Mademoiselle Grouvelle m'écrivit que j'avais tort de vouloir revenir en France, que les amnistiés étaient chaque jour persécutés.

Je partis à la fin d'août; Steuble me remit plusieurs lettres que j'avais l'intention de porter sur moi. Le garçon de l'hôtel, Benoît, me fit observer que j'avais tort de me charger de ces lettres, que si on les trouvait sur moi à Boulogne, on pourrait m'arrêter, me condamner à 50 fr. d'amende et me mettre en prison. J'examinai les lettres de Steuble. Parmi ces lettres, je fus fort étonné d'en trouver une écrite en français, Steuble ne parlant et ne pouvant écrire cette langue. Je lus cette lettre, dans laquelle il était question de la machine. Je copiai la partie relative à la description de cette machine pour demander à Steuble des explications sur cette lettre, et je jetai à la mer toutes celles qui m'avaient été remises par lui. Je m'embarquai etj'arrivai à Boulogne. Là, je fus surpris de trouver un homme que j'avais vu s’attacher à mes pas en Angleterre. Je quittai Boulogne un soir, je gagnai à picd Abbeville, et je pris la diligence, qui me conduisit à Paris.

Mademoiselle Grouvelle, qui s'était opposée à mon retour par sa der

nière lettre à laquelle je n'avais pas répondu, ne savait pas que j'étais à Paris, et c'est seulement une dixaine de jours après mon arrivée que je fus chez elle. Elle me fit des reproches, me dit que j'avais cu tort de revenir à Paris, que je serais infailliblement arrêté. Je logeai chez Annat, et je sus qu'un agent de police était venu plusieurs fois me demander. Cet agent de police disait que le préfet avait donné l'ordre de m'arrêter si on parvenait à me découvrir, et que je serais condamné à cinq ou six mois de prison au moins. Convaincu qu'on ne cesserait de me persécuter et que je serais toujours en butte aux tracasseries et aux arrestations du gouvernement, comprenant d'ailleurs qu'Annat ne pouvait plus me garder sans se compromettre, je me décidai à partir pour l'Angleterre. Enfin j'étais bien aise de demander à Steuble des explications sur cette lettre qu'il m'avait remise, et qui était écrite en français.

D. Qui vous a remis le passeport délivré au nom de Stiegler? — R. Un ami que je ne veux pas compromettre en le faisant connaître.

D. Dans ce voyage avez-vous vu la demoiselle Grouvelle, et quand vous êtes reparti, a-t-elle été vous faire ses adieux à la barrière Saint-Denis avec la demoiselle Hergalant ?—K. Non, vous confondez, c'est au premier voyage; ces demoiselles vinrent à la barrière Saint-Martin pour me dire adieu.

D. Vous avez retrouvé Steuble à Londres? R. Steuble fréquentait à Londres plusieurs personnes qui me parurent suspectés. J'eus à cet égard une vive altercation avec lui; je lui dis qu'il me tendait un piége, ou qu'on lui en tendait un; qu'il me trompait, ou qu'il était trompé; nous eûmes aussi des contestations relativement à l'argent. Steuble m'avait dit qu'il s'était séparé de son père pour empêcher celui-ci de faire une machine de guerre pour le gouvernement français. Je le traitais comme un frère; je partageais avec lui l'argent que j'avais; j'avais répondu pour lui chez Souillard. Steuble m'avait dit que l'embassadeur américain lui avait demandé une machine; je l'engageai à s'en occuper, à la faire; peu m'importait ce qu'il fit, pourvu qu'il nè travaillât pas pour le gouvernement français. D'après ce que j'ai appris, et sachant quelles personnes fréquentait Steuble, je résolus de rompre avec lui. J'avais la conviction qu'il me trompait ou qu'il était trompé; ma conviction augmenta lorsque je sus que Steuble avait écrit ou voulait écrire à la duchesse de Berri. C est alors que je pris le parti de quitter Steuble et de revenir en France.

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D. Avant de partir, n'avez-vous pas pris les plans faits par Steuble? R. Je payais le loyer chez Souillard. J'ai pris ses plans, parce que je ne voulais pas qu'ils pussent servir à la construction d'une machine destinée à des personnes entre les mains desquelles je ne voulais pas les voir passer. J'ai pris ces plans, je les remis à Souillard ainsi que d'autres écrits qui étaient en ma possession, Je craignais que si les écrits et les plans étaient saisis sur moi, on ne fît de tout cela un complot.

D. Ainsi vous n'avez eu de querelles avec Steuble que relativement à la

destination de la machine, et parce que vous le croyiez en relation avec des personnes que vous pensiez être des agents de police?-R. Oui; et je vous répète que j'étais fondé dans mes suppositions notamment par la lettre écrite par Steuble à la duchesse de Berri.

D. Après le départ de Londres de Steuble, qu'avez-vous fait ? — J'étais malade. Je suis resté une quinzaine de jours en Angleterre, et je suis parti pour la France.

D. Qu'avez-vous fait en arrivant à Paris? R. Je suis allé chez mademoiselle Grouvelle, et j'ai appris d'elle que Steuble s'était plaint de la soustraction de ses plans.

D. Combien de temps êtes-vous resté à Paris?-R. Trois jours.

D. A quelle époque êtes-vous reparti de Londres ? R. Le 6 décembre.

D. Quand êtes-vous arrivé à Boulogne ? R. Le même jour 6 décembre.

D. N'avez-vous pas perdu à Boulogne votre portefeuille ? R. Je l'ai perdu, ou il m'a été volé.

D. (A la demoiselle Grouvelle.) Vous avez entendu les déclarations d'Huber, et vous en reconnaissez la vérité ? -R. Elles sont vraies ; j'ajouterai que c'est à son premier départ que j'ai été lui dire adieu à la porte Saint-Martin. Je m'expliquerai plus tard sur la lettre que vous avez représentée à Huber; je dirai seulement aujourd'hui que les témoins qui déclarent avoir vu mon nom sur cette lettre sont de faux témoins. J'ai dit qu'elle était adressée à une dame de mes amies que je ne nomme pas pour ne pas la compromettre; mais elle ne portait pas mon nom. Et, puisque je déclare que la lettre est à moi, MM. les jurés doivent me croire.

D. On vous a demandé si cette lettre portait votre adresse? —R. J'ai répondu que ce sont d'infâmes menteurs qui ont dit cela, mais que mon nom n'y était pas; j'ai même ajouté, si M. le président veut lire ma réponse à MM. les jurés Combien a-t on donné à ces gens pour leur faux témoignage ?

M. LE PRÉSIDENT. Cela n'a pas grand intérêt.

On représente à Huber son portefeuille et les papiers qui y étaient conlenus; il les reconnaît tous, excepté un seul, écrit en langue allemande.

D. Vous savez que les faits que vous venez de déclarer ne sont pas d'accord avec la déclaration faite et écrite en allemand par Steuble à M. le juge d'instruction. Il dit que les faits ne se sont pas passés ainsi. R. J'ignore ce que Steuble a pu écrire, mais les faits sont tels que je viens de les rapporter.

D. Dans votre portefeuille était un carnet où l'on a trouvé des mots et presque des phrases écrites au crayon et encore lisibles; il y a en outre des chiffres qui semblent des signes de convention pour remplacer l'écriture ordinaire. Reconnaissez-vous que cela soit de votre main ? — R. Oui. D. Pouvez-vous dire à MM. les jurés ce que signifient ces chiffres ? R. J'aurais assez de mal à les expliquer moi-même aujourd'hui. Les clefs

dont je me servais sont si difficiles que je ne pourrais pas les retrouver après six mois. C'était un modèle de correspondance avec un de mes amis pour m'apprendre à écrire en chiffres.

D. Ne vous êtes-vous pas servi d'un dictionnaire semblable à celui que je vous fais représenter pour tracer les chiffres qui sont sur votre carnet ? Huber, après avoir feuilleté un gros livre que lui transmet l'huissier : Je ne connais pas ce dictionnaire.

D. L'expert a dit que cet écrit devait s'adresser à quelqu'un, car il parle de faits graves? R. Il est impossible de former un sens avec les chiffres qui sont sur ce papier.

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D. Indépendamment des chiffres, il y a encore une écriture au crayon qui forme, avec les chiffres, un sens complet. Pouvez-vous l'expliquer ?. R. Je vous observe qu'il faudrait trop de temps pour donner à MM. les jurés une explication de ce que je ne comprendrais pas moi-même aujourd'hui. D'ailleurs, donnez ce carnet à cinquante experts pour l'examiner, et les cinquante experts donneront chacun un sens différent.

D. (A Huber.) Steuble vous avait parlé de difficultés relatives à une somme d'argent qu'il demandait à son père, et dans le carnet il est dit : It nous en veut de ce qu'il n'a pas reçu de lettres de son père; il pense que nous avons voulu le duper ou le tromper. - R. Quant à la lettre de Steuble, je dis que je ne l'ai jamais reçue; quant aux chiffres, je les conleste.

D. Nous reconnaissons, nous, quant à présent, l'existence de la traduction.

Me ARAGO.-Il faudra savoir, lors de la déposition des experts, si avant de traduire le carnet d'Huber ils n'ont pas eu connaissance de la lettre de Steuble.

M. LE PRÉSIDENT.- Il y aura beaucoup de choses à éclaircir quand nous en serons là. Quant à présent, ne nous occupons que de la lettre.

M* FAVRE. — Nous ferons observer que l'accusation a reconnu qu'elle ne pouvait tirer argumentation d'une lettre déchirée, et ici le débat va plus loin que l'accusation.

M. LE PRÉSIDENT.-Nous n'avons trouvé nulle part un abandon de l'accusation à cet égard. Il y a un interrogatoire de Steuble où il explique le passage déchiré de cette lettre,

M® FAVRE. C'est un interrogatoire écrit et que Steuble a rétracté à l'audience.

M. LE PRÉSIDENT. Cet interrogatoire existe-t-il ?

M® FAVRE. Oui, mais il a été rétracté et le fait a été nié à l'audience. Je disais que les énonciations du carnet n'étaient pas justifiées par une lettre, et mon observation reste, puisque cet interrogatoire a été détruit par la dénégation de Steuble à l'audience.

M. LE PROCUREUR-GÉNÉRAL. Il serait trop commode de repousser un interrogatoire.

Me ARAGO.Il serait plus commode encore de s'appuyer sur une lettre déchirée.

D. Vous prétendez que les machines faites par Steuble n'avaient aucune destination ? — R. J'ignore à quoi Steuble les destinait; il me disait qu'il voulait les vendre en Amérique; quant à moi, mon but était de l'èmpêcher de les vendre au gouvernement français.

D. Nous ferons remarquer que dans ses déclarations et ses interrogatoires, Steuble a parlé de la destination des machines, et qu'il a toujours, autant qu'il a pu, cherché à décharger la demoiselle Grouvelle de la connaissance de cette destination. Je vous ferai observer que s'il ne s'agissait pas d'un projet de construction de machines entre vous et Steuble, on ne comprendrait pas pourquoi vous avez fait un voyage à Londres ? R. Quant aux machines, je dirai seulement que je ne voulais qu'empêcher Steuble d'en vendre au gouvernement français. Quant aux menaces, jamais il n'en a été question. Que Steuble s'explique devant moi; je ne sais ce que l'on veut dire.

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D. Dans une autre lettre saisie sur vous, vous dites: Il faut avouer que le sort se joue bien de moi. A qui cette lettre était-elle adressée? mademoiselle Grouvelle.

R. A

D. Pourquoi ressentiez-vous tant d'effroi de la perte de votre portefeuille et de la lettre qu'il contenait ? — R. Parce que j'étais en surveillance, et que mon portefeuille pouvait donner ma trace et fournir à la police les moyens de me faire arrêter.

D. Quelle était l'entreprise dont vous parliez? R. C'était de faire entrer en France un de mes amis, réfugié à Londres, qui devait arriver à Boulogne.

D. Quel était cet ami? R. Je ne désignerai pas une personne qui m'a obligé : l'honneur me défend de la nommer.

M. LE PRÉSIDENT. qu'il y a une adresse.

Me ARAGO.

lettre.

Nous allons lire la lettre. Nous ferons remarquer

Mais elle est d'une autre écriture que le corps de la

M. LE PRÉSIDENT.

l'adresse.

Je ne mets pas encore en question l'écriture de

Me ARAGO. - C'était afin de prévenir messieurs les jurés que l'accusé ne reconnaît pas que cette lettre fut adressée à Leproux.

M. le président donne lecture de cette lettre, qui est déjà citée dans l'acte d'accusation.

D. Qu'avez-vous entendu par ces mots : « Le matériel est concentré dans Paris ? » -R. J'entends par matériel les armes que le pouvoir et le peuple ont préparées pour le cas d'un changement que tout le monde prévoit ou espère.

M. LE PRÉSIDENT.

Dans la même lettre on trouve ces mots : « Le plan que l'on exige, je l'apporte. » Qu'entendez-vous par ces paroles? - R. Je parlais du plan de Steuble, que j'apportais de Londres.

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