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» Des pièces importantes et authentiques sont en effet entre les mains de la » victime. Ces pièces que nous avons sous les yeux constatent:

» 1° Que le conseiller d'état député, qui naguère exerçait dans la police du » royaume d'éminentes fonctions, a profité de l'influence que lui donnait sa » position pour commettre des exactions de différente nature;

» 2° Que ce fonctionnaire qui, lors de son élection se plaignait publique>ment d'avoir perdu, dans une entreprise de fusils, fameuse par le procès » auquel elle a donné lieu, six mois de son temps et 27,000 fr. de sa fortune, » a bien réellement retiré de cette entreprise un bénéfice net de 427,250 fr.

» Ces pièces enfin sont de telle nature qu'elles pourraient être l'occasion » d'un double procès dont l'un se dénouerait en police correctionnelle, et » l'autre en cour d'assises. Si l'intérêt bien entendu d'une famille outragée » lui défend d'intenter le premier, le devoir du gouvernement est sans nul » doute de provoquer une enquêté sérieuse, et, s'il y a lieu, d'intenter le se» cond. L'impunité en pareil cas ne serait pas seulement de mauvais exem»ple, elle pourrait encore suggérer des interprétations auxquelles le pouvoir » ne jugera pas sans doute à propos de s'exposer. Le mot appliqué à la fem» me de Cesar est ici plus que jamais de circonstance. »

Deux jours après la publication de cet article, le Messager reçut la lettre suivante de M. Gisquet :

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A M. le rédacteur en chef du Messager.

<< Paris, le 13 septembre 1838.

» Monsieur le rédacteur,

» J'arrive à l'instant du département de l'Aube, où j'avais été passer quelques semaines au sein de ma famille. Mon retour est provoqué par les accusations calomnieuses publiées par certains journaux, et auxquelles vous avez donné dans votre feuille d'hier un caractère encore plus grave par des affirmations positives.

>> Une réfutation des faits que vous alléguez ne serait pas à mes yeux une réparations suffisante: c'est aux tribunaux à faire justice de ces calomnies. Je viens de saisir le procureur du roi d'une plainte dont je poursuivrai l'effet par tous les moyens qui sont en mon pouvoir.

>> En attendant que la justice prononce, j'espère, monsieur, que vous voudrez bien publier cette lettre dans votre plus prochain numéro.

» J'ai l'honneur d'être, etc.

GISQUET. »

Le Messager fit suivre cette lettre des réflexions suivantes :

« Nous nous bornerons à répéter pour le moment que nous n'avons avancé » que des faits dont les preuves nous sont acquises. Encore une fois, les » pièces sont entre nos mains, et jusqu'à ce que nous soyons appelés à les produire toutes au grand jour, il nous suffira de rappeler à la mémoire de » M. Gisquet l'existence d'une lettre de douze pages, écrite en entier de sa » main, commençant par ces mots : La demande que je viens vous faire vous » paraîtra sans doute fort étrange au premier aspect, et finissant par ceux»ci: Cette lettre vous sera remise ouverte par M. Aragon. »

M. Gisquet tint parole; une plainte fut déposée au parquet du procureur du roi, et le gérant du Messager comparut le 20 septembre devant le juge d'instruction.

Le 4 octobre, la chambre du conseil renvoya devant la cour d'assises le gérant du Messager, sous la prévention de diffamation envers un fonctionnaire public dans l'exercice de ses fonctions. Le jour de la comparution devant le jury fut fixé au 12 novembre; mais le parquet ayant omis de faire notifier cette date au prévenu, la cause fut rayée du rôle et renvoyée au 19 du même mois.

Le 19 novembre, le Messager fut obligé de faire défaut; il avait négligé, dans la huitaine qui suivit son arrêt de renvoi devant le jury, de faire signifier à M. Gisquet la liste des témoins qui devaient être entendus ; conséquemment, il se trouvait déchu de la faculté de prouver les faits avancés par lui; dans cet état de cause, le gérant du Messager se laissa condamner à 3,000 francs d'amende et à un an de prison; mais il en appela dans le délai prescrit par la loi, et il eut soin cette fois de faire signifier au plaignant la liste des pièces et celle des témoins.

Par suite de cet appel, le Messager fut cité de nouveau le 28 décembre devant la cour d'assises, où s'engagèrent les débats contradictoires dont nous donnons plus bas le compte-rendu.

Le 25 décembre la Gazette des tribunaux a publié et le Messager a reproduit une lettre adressée par M. Gisquet à Mme Foucaud, écrite toute entière de la main de l'ex-préfet de police et revêtue de sa signature. Nous la donnons textuellement :

<< Madame,

>> La demande que je viens vous faire, vous paraîtra sans doute fort étrange au premier aspect; mais quand vous m'aurez lu jusqu'au bout, et quand vous aurez entendu les explications que M. Aragon vous donnera verbalement, et qui sont trop longues pour entrer dans le cadre d'une lettre, vous serez peut-être disposée à me rendre le service que je réclame de votre bienveillante amitié, service immense d'où dépend le bonheur de ma famille.

»Vous avez sans douté déjà entendu parler de la liaison intime, que j'ai formée depuis quatre ans avec Mlle de Pradel jeune, jolie, spirituelle et douée d'une apparente douceur. Cette demoiselle, qui depuis à pris le nom de Mme de Nieul, semblait avoir toutes les qualités de son sexe, et j'espérais trouver auprès d'elle (avec les ménagemens que commandaient sa position et la mienne) une heureuse diversion aux fatigues, aux soucis, aux ennuis de toute nature qui naissent de ma position politique. L'intérieur de mon ménage était fort triste pour moi; une femme plus âgée que moi ne pouvait m'offrir ni me faire éprouver aucune de ces douces émotions qui charment l'existence; ma femme, qui, sous tous les autres rapports, est un modèle de résignation, de dévoûment et de vertu, n'avait aucune sympathie avec mes goûts, mes habitudes sociales; il n'existait donc plus entre elle et moi que des relations de bonne amitié et des égards réciproques; j'avais besoin de quelque chose de plus; il me fallait un aliment aux sensations du cœur; il me fallait un commerce d'esprit, plus encore qu'un commerce des sens.

>> J'ai donc formé sans scrupule une liaison qui devait remplir le vide de

mon cœur.

>> Je vous donne ces détails, madame, pour excuser à vos yeux un tort marital que les femmes ne sont guère disposées à pardonner.

»Mlle de Pradel, dans une situation voisine de la misère, paraissait éprise de la plus vive passion; elle affectait une abnégation d'elle-même et semblait n'avoir qu'un désir, qu'un besoin, celui de me plaire; mais la suite m'a prouvé qu'il y avait dans ses démonstrations, dans son langage, plus d'affectation que de sentimens.

>>> Bientôt cette jeune dame, si dévouée, si douce, habituée jusqu'alors à des privations de tout genre, s'est montrée exigeante, impérieuse, coquette, prodiguant l'or à pleines mains!!!

» Cette femme, qui devait vivre dans l'obscurité, dans la résignation, et enfermée seule chez elle des semaines entières ; qui ne voulait pas être une charge pour moi; qui devait être simple, économe, et n'avoir d'autre plaisir que celui de me voir, devint, au bout d'un mois, un tyran domestique, s'attachant à mes pas comme une ombre; me faisant espionner par tout ce qui m'entourait; gagnant à prix d'argent mes domestiques pour qu'ils lui rendissent compte de mes moindres démarches et des personnes que je recevais; venant me chercher dans toutes les maisons où mes affaires m'appelaient, jusque dans les salons des ministres et la demeure royale; confiant son secret et le mien à tout les cochers des voitures publiques par qui elle se faisait conduire pour courir jour et nuit après moi; affichant partout son déshonneur pour se faire gloire de l'empire qu'elle exerçait sur moi!... se montrant arrogante, impertinente envers les dames, quelles qu'elles fussent, qu'elle rencontrait à la Préfecture!.. Venant chez moi, malgré ma défense, matin et soir, et ne craignant pas, en présence de la foule, de me faire des scènes.

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» Vaine, orgueilleuse, son amour-propre son ambition s'attachaient ensuite à se faire passer, dans le quartier qu'elle a habité, pour une grande dame très riche; achetant à tort et à travers tout ce qui s'offrait à sa vue, faisant des dettes de tous côtés... Trop faible dans sa vanité pour résister aux paroles engageantes d'un marchand, elle aurait dévalisé toutes les boutiques de Paris.

» Ces faits étaient chaque jour l'occasion de scènes violentes entre elle et moi; et malgré mes remontrances, mes conseils, mes prières, mes reproches; malgré la menace répétée cent fois d'une rupture immédiate, j'apprenais le lendemain de nouveaux faits plus coupables encore et plus extravagans que les précédens. Enfin, madame, vous ne me croirez peutêtre pas quand je vous dirai que Me de Nieu a dépensé près de cent mille francs depuis quatre ans.

» Je lui avais fait obtenir, grace à votre mari, vingt-cinq actions des Omnibus qui lui rapportaient près de 4,000 fr. par année. Eh bien ! elle a vendu à peu près toutes ces actions, tout est dévoré, et je crois encore qu'elle a des dettes. Cependant, j'ai honte de le dire! j'ai dépensé pour elle et pour sa famille près de vingt mille francs par année.

>> Cent fois j'ai voulu rompre une liaison funeste, source de chagrins et de ruine; cent fois je l'ai quittée avec la volonté ferme de ne plus la revoir; mais toujours cette rusée hypocrite revenait avec de telles protestations d'amour, avec de telles paroles de regret, qu'il m'était impossible de résister.

» Beaucoup de mes amis la connaissent, et tous ils pourront vous dire que, si l'on en juge par son langage, cette femme a de l'amour jusqu'au délire; et l'on devrait le croire, puisque, malgré tous mes efforts pour me débarrasser d'elle, et même malgré les choses les plus dures que je lui ai dites mille fois, malgré les soufflets que je lui ai donnés, enfin malgré l'injure grossière que je lui ai faite de la mettre plusieurs fois à

la porte de chez moi, elle revient comme entraînée par une force irrésistible.

>> Des brouiles tous les jours, des querelles violentes toutes les heures, des réconciliations factices, tels sont mes passe-temps depuis quatre ans avec Mmc de Nieul.

» Mais pourquoi, direz-vous, ne vous êtes-vous pas séparés quand vous l'avez connue avec tous ses défauts ?... Pourquoi? parce qu'elle a autant de ruse que de méchanceté; parce que tous ses torts sont atténués par le prétexte de la jalousie; parce qu'il est difficile de résister à une femme jolie qui vous demande pardon et qui vous embrasse des heures entières sans se rebuter, quoique vous la repoussiez durement; enfin, madame, parce que j'avais pour elle une inclination qui peut-être n'est pas encore tout-à-fait éteinte.

» Mais si elle ne m'aimait pas, ferait-elle tant de sacrifices d'amourpropre pour éviter une rupture? Je n'en sais rien; et s'il est vrai qu'elle oublie les injures, les soufflets et les congés que je lui donne, il est vrai que je n'ai jamais eu assez d'empire pour l'empêcher de faire tout ce qu'il lui passait par la tête; et l'expérience m'autorise à dire que si ma vie avait dépendu d'un de ses caprices, elle m'aurait plutôt laissé couper en morceaux que de se priver du plaisir de contenter ce caprice, quelque futile qu'il fût. Ainsi la question de savoir si je suis aimé, adoré, est encore un problême; quant à moi, je suis disposé à croire que j'ai eu affaire à une adroite comédienne; que j'étais pour elle, non pas un ami, mais une proie; '; que si elle tenait à moi, ce n'est pas par tendresse, mais par calcul; et ce qui le prouve, c'est que, malgré mes dénégations, elle m'a souvent soutenu que j'étais fort riche, ce qui malheureusement n'est pas vrai.

>> Telle est ma compagne ; tels sont les ennuis, les chagrins que j'ai vus renouveler chaque jour depuis quatre ans.

>> Ils ont eu une influence énorme sur mon avenir et sur ma position sociale, et sont entrés pour quelque chose dans la détermination que j'ai prise de quitter la préfecture; car la présence continuelle, le langage effronté de cette femme me compromettaient aux yeux de tous; cela devenait une immoralité publique...

» Il a fallu me brouiller avec tous ceux de mes amis qui pouvaient porter ombrage à Mme de Nieul, et maintenant je suis presque isolé au milieu d'une ville où je connais tout le monde, où tout le monde est disposé à m'estimer, mais où je rencontre tout le monde disposé aussi à censurer ma faiblesse.

» Croiriez-vous que je n'aurais pas osé donner le bras à Mme Thiers, à Mme Montalivet ou à toute dame dans uue position équivalente, sans les exposer à être insultées par l'espèce de furie qui me suiváit jour et nuit?

» J'ai bien souffert, madame, j'ai subi mille humiliations. Mon cœur saigne encore de me voir séparé de tant d'amis qui faisaient mon bonheur; personne ne comprend mieux que moi tout ce qu'il y a de faux dans cette situation, et personne ne connaît mieux que moi toute l'étendue du tort que je me suis fait et que j'ai fait à ma famille. J'ai été cent fois au moment de m'expatrier pour quelques années; mais j'aurais retrouvé cette maudite femme au bout du monde; car elle aurait couru après moi.

>> Mais c'est surtout ma pauvre et bonne femme, ce sont mes enfans que j'aime, ma fille que j'adore, qui ont souffert de me voir sans cesse éloigné d'eux tous ils ont fini par ne plus voir en moi qu'un étranger auquel on ne s'intéresse que médiocrement.

:

» Ah! cette idée me fend le cœur !!

» Ma femme pleure tous les jours et me croit assez faible pour sacrifier tout ce que nous possédons pour satisfaire aux caprices d'une courtisanne!! Il faut enfin rompre une chaîne trop lourde à porter; il faut reconquérir ma liberté, et c'est sur vous, madame, que j'ose compter pour m'en fournir les moyens.

» Voici comment :

>> Depuis quelque temps, Mme de Nieul, après avoir épuisé tous les autres moyens de me rendre méprisable aux yeux de tous mes amis, et de me séparer d'eux, en a imaginé un nouveau, qui ne tend rien moins qu'à me compromettre et à compromettre toutes les dames que je connais.

>> Figurez-vous qu'elle a l'audace d'envoyer des gens dans les maisons où je suis connu ces gens s'y présentent de ma part, sous un prétexte quelconque, et demandent une réponse écrite.

>> Ces réponses sont portées directement à Mme de Nieul, qui ouvre sans scrupule les lettres à mon adresse. De cette manière, elle veut apprendre quelles peuvent être mes relations d'amitié ou de politesse avec les personnes que je connais, et je tremble chaque jour d'apprendre que l'on ait fait de telles impertinences à Mme Thiers, à Mme Montalivet, et autres qui ont le privilége de porter ombrage...

>> Jugez quelle serait ma confusion si, dans les maisons où je suis reçu avec bienveillance, on me demandait des explications sur les demandes qui auraient été faites en mon nom! Si l'on me faisait comprendre tout ce qu'il y a de malséant à faire demander une réponse écrite pour satisfaire à quelque question faite de vive voix par un commissionnaire. Oh! vraiment je serais tenté de me casser la tête.

>> Eh bien ! puisque cette maudite femme veut me déshonorer par les moyens les plus infâmes, qu'elle soit prise enfin dans les piéges qu'elle veut tendre.

» Elle a déjà mis en pratique envers M. F... la manœuvre dont il s'agit, car elle vient d'envoyer chez lui un de ses courriers et d'obtenir un billet à mon adresse.

>> Il est fort probable qu'elle se permettra d'envoyer aussi chez vous, et c'est là que je veux arrêter le cours de ses impertinens exploits.

>> Comme moi je ne prendrai jamais la liberté d'envoyer auprès de vous un domestique sans vous écrire, s'il s'en présente un chez vous qui n'ait pas une lettre de moi, vous serez certaine qué c'est un émissaire de Mme de Nieul, et alors, madame, je vous prie de paraître sa dupe, de lui donner une lettre pour moi, et d'écrire cette lettre en termes affectueux. pour que Mme de Nieuil y voie une semi-preuve d'intimité coupable entre nous mettez-y quelque expression équivoque, et ces mots élastiques dans leur interprétation que les dames trouvent si facilement sous leur plume.

>> Alors la jalousie furieuse de Mme de N... provoquera une scène qui sera la dernière; car, de ma vie, après une telle infamie à votre égard, je ne lui pardonnerai; d'ailleurs je crois qu'elle-même ne voudrait plus continuer nos liaisons quand elle croira que sa jalousie a un motif sérieux.

» Je serai donc, par ce moyen, débarrassé d'une véritable furie ; quel bonheur pour moi, pour ma pauvre famille, à qui je ferai savoir la reconnaissance que vous méritez; nous vous rendrons tous des actions de graces; ce sera, madame, un acte de charité.

>> Il faut que je connaisse toute votre bonté, toute votre indulgence pour oser vous demander un service de cette nature; mais quel inconvénient peut-il y avoir à me le rendre? Qu'importe que Me de Nieul ait une lettre de vous qui semble annoncer des sentimens trop tendres pour moi! Quel

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