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fraude (1). Ces arrêts ne sont pas motivés; ils supposent, comme une chose évidente, que la dette alimentaire est personnelle dans le sens de l'article 1166 Sans doute, elle l'est, puisqu'elle se fonde sur le lien du sang, sur l'affection; nous en avons déduit la conséquence qu'elle ne passe pas aux héritiers. Mais faut-il conclure de là que le droit d'en demander la réduction ou la décharge est aussi personnel? Une fois que la dette est fixée, elle devient une charge pécuniaire; si celui qui reçoit les aliments n'en a plus besoin, la charge cesse; que si, dans ce cas, le débiteur continue à servir la pension alimentaire, il fait une véritable libéralité; or, les donations tombent certes sous l'application de l'article 1166, en ce sens que les créanciers peuvent demander que leur débiteur cesse de payer une dette qui n'existe plus. On pourrait croire que c'est le cas d'appliquer l'article 1167, aux termes duquel les créanciers peuvent attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leur droit; telle a sans doute été la pensée de la cour de Paris dans l'arrêt que nous venons de citer. Nous croyons que c'est l'article 1166 qui doit être appliqué. Celui qui fournit les aliments a une action en réduction ou en décharge; il ne l'intente pas, ses créanciers peuvent agir en son nom. Il en serait de même si sa fortune diminuait, et s'il continuait à payer la pension alimentaire; il ne s'agit pas de fraude dans ce cas, mais d'un sentiment de piété qui est exagéré. Les créanciers n'en doivent pas souffrir. Dès lors nous ne voyons pas pourquoi ils n'auraient pas l'action en réduction ou en décharge. 76. La dette alimentaire cesse dans les deux cas prévus par l'article 206. D'abord quand la belle-mère convole en secondes noces, elle n'a plus le droit de demander des aliments à ses gendres et belles-filles. Il n'en est pas de même quand le beau-père se remarie, il conserve son droit. Quelle est la raison de cette différence? On dit que la belle-mère qui se remarie tombe sous puissance de son mari, que si donc la pension alimentaire lui était conti

(1) Arrêt de la cour de cassation du 30 mai 1820 (Dalloz, au mot Mariage, no 717). Arrêt de Paris du 27 décembre 1849 (Dalloz, Recueil pério dique, 1850, 5, 23).

nuée, c'est le mari qui en profiterait plutôt qu'elle. Mais, en fait, n'en sera-t-il pas de même quand le beau-père se remarie? On dit encore que la loi voit avec défaveur le mariage d'une belle-mère qui, ayant déjà des enfants mariés, convole en secondes noces. Mais le mariage du beau-père, qui lui aussi a des enfants mariés, mérite-t-il plus de faveur?

L'article 206 dit que l'obligation des gendres et bellesfilles cesse lorsque la belle-mère convole en secondes. noces. On demande si le droit aux aliments que les gendres et belles-filles ont contre la belle-mère cesse aussi. D'après le texte, il faut dire que leur droit subsiste. La dette alimentaire ne s'éteint que par les causes que la loi établit. Or, la loi dit bien que l'obligation des gendres et bellesfilles cesse, en cas de convol de la belle-mère; elle ne dit pas que l'obligation de la belle-mère cesse. Cela décide la question (1). On objecte l'article 207 qui porte : « Les obligations résultant de ces dispositions sont réciproques. On en conclut que quand l'obligation cesse à l'égard des gendres et belles-filles, elle cesse aussi à l'égard de la belle-mère. Mais l'article 207 ne dit pas cela; il établit la réciprocité pour la dette alimentaire créée par les articles 205 et 206; il ne dit pas que lorsque la belle-mère perd son droit aux aliments par son convol en secondes noces, elle cesse aussi d'être tenue à l'égard de ses gendres et belles-filles. Il n'y a donc pas de texte qui prononce l'extinction de l'obligation alimentaire; partant elle subsiste (2).

Il va sans dire que les enfants du premier lit restent tenus de la dette alimentaire à l'égard de leur mère qui se remarie. L'article 206 ne concerne que les alliés. Cela ne peut pas faire l'ombre d'un doute. Il y a cependant eu un débat judiciaire et un arrêt (3).

Il est également certain que l'obligation éteinte par le convol de la belle-mère ne revit point si le second mariage vient à se dissoudre. De même qu'il faut un texte pour

(1) Demolombe, t. IV, p. 30, no 27. Demante, Cours analytique, t. Ier, p. 409, no 288 bis II.

(2) Les auteurs sont divisés. Voyez Dalloz, au mot Mariage, no 633. (3) Arrêt de Colmar du 5 janvier 1810 (Dalloz, au mot Mariage, no 634.

éteindre une obligation légale, il faut aussi un texte pour faire revivre celle que la loi a déclarée éteinte (1).

77. Si la bru se remarie, la belle-mère et le beau père lui doivent-ils encore des aliments? Nous ne comprenons pas que la question soit discutée. Une obligation légale peut-elle s'éteindre sans texte? Poser la question, c'est la résoudre. Vainement dit-on qu'il y a même motif pour la bru que pour la belle-mère (2). L'analogie, en supposant qu'elle existe, ne suffit point; il faut un texte, et il n'y en a pas. Cela est décisif.

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78. L'obligation alimentaire cesse encore entre alliés lorsque celui des époux qui produisait l'affinité et les enfants issus de son union avec l'autre époux sont décédés (art. 206). » On dit que dans ce cas l'alliance est éteinte, et le texte même de l'article 206 semble le dire. Cependant la loi ne le dit pas d'une manière formelle, et il faudrait un texte pour que l'on pût admettre que le lien de l'alliance est détruit. Il est certain que, pour les empêchements au mariage, le lien subsiste. Si donc la loi déclare l'obligation alimentaire éteinte, c'est par des considérations de fait plutôt que par des motifs de droit (3).

Il s'est présenté une singulière difficulté dans l'applica tion de l'article 206, n° 2. Une veuve n'ayant pas d'enfants se déclare enceinte, il est nommé un curateur au ventre. Puis elle réclame des aliments, tant dans son intérêt que dans l'intérêt de l'enfant qu'elle porte. Le beau-père et la ble-mère opposent qu'il n'y a pas d'enfant issu du mariage, et que l'enfant conçu ne peut pas demander d'aliments tant qu'il n'est pas né viable. Nous croyons, avec le tribunal de Marseille, qu'il y avait lieu, dans l'espèce, d'accorder des aliments à la veuve (4). L'enfant conçu est censé né quand il s'agit de son intérêt; et qui pourrait nier qu'il soit intéressé à ce que sa mère reçoive des aliments? Ne vit-il point de la vie de sa mère? Or, dès qu'il est censé né, l'alliance subsiste, ainsi que la dette alimentaire.

(1) Arrêt de Rennes du 5 mai 1826 (Dalloz, au mot Mariage, no 636) (2) C'est l'opinion de Demolombe, t. IV, p. 30, no 28.

(3) Demante, Cours analytique, t. ler, p. 409, no 288 bis III.

(4) Jugement du 12 déc. 1862 (Dalloz, Recueil périodique, 1863, 5, 23).

§ VI. De la répétition des aliments.

79. Celui qui a fourni les aliments peut-il les répéter? Cette question donne lieu à de sérieuses difficultés. Un premier point est certain, c'est que celui qui a reçu les aliments ne peut pas être tenu à une restitution, dans le cas où il acquerrait quelque fortune. L'article 206 permet alors à celui qui fournit les aliments d'en demander la décharge ou la réduction; l'obligation cesse donc pour l'avenir, mais la loi ne permet pas de répéter ce qui a été payé; et, d'après les principes généraux, il ne peut pas être question de répétition; celui qni a fourni les aliments a payé ce qu'il devait, car les aliments sont une dette, donc celui à qui ils ont été fournis a reçu ce qui lui était dû; or, la répétition n'est admise que si une personne qui, par erreur, se croyait débitrice, a acquitté une dette (art. 1377) (1). Pour qu'il y eût lieu à répétition en fait d'aliments, il faudrait donc supposer qu'ils ont été fournis à celui qui n'était pas dans le besoin, alors que l'on croyait qu'il n'avait pas les moyens de pourvoir à sa subsistance. On appliquerait, dans ce cas, les principes qui régissent le payement indû.

80. Les aliments peuvent-ils être répétés par celui qui les a fournis, sans y être obligé, contre la personne à laquelle la loi impose cette obligation? Il y aurait lieu à répétition dans le cas où celui qui a payé la dette alimentaire l'a fait comme gérant d'affaires. Il faut donc que les conditions requises pour qu'il y ait gestion d'affaires existent. Une condition essentielle, c'est que les aliments n'aient pas été fournis dans un esprit de libéralité. L'ascendant qui élève son petit-fils, alors que le père vit, n'aura pas la répétition contre le père, s'il l'a fait à titre gratuit. Il pourrait agir s'il avait fourni les aliments avec

(1) Arrêt de la cour de Caen du 6 mai 1812 (Dalloz, au mot Mariage n° 613).

l'intention de les répéter. Les aliments ont-ils été fournis à titre gratuit ou à titre onéreux? C'est une question de fait, qui doit être décidée d'après les circonstances. Si les aliments ont été payés avec l'intention de les répéter, dans ce cas naît la question de savoir par quelle action la répétition se fera. On décide d'ordinaire qu'il y a dans ce cas gestion d'affaires. Cela est trop absolu. La gestion d'affaires est un quasi-contrat, elle suppose donc qu'il n'y a pas concours de consentement au moment où la gestion commence. Si le père sait que l'ascendant se charge de ses enfants, il y a mandat tacite plutôt que gestion d'affaires.

Une femme quitte le domicile conjugal avec son jeune enfant et se retire chez son père, dans l'intention de demander la séparation de corps. L'aïeul les reçoit chez lui, et pourvoit à l'entretien de l'enfant. Peut-il répéter les aliments contre le père? La cour de Douai a décidé que, dans l'espèce, tout prouvait que les aliments fournis par le grand-père n'étaient pas un acte de libéralité, que partant il avait une action en répétition contre le père, comme ayant payé la dette alimentaire en son lieu et place (1). Est-ce l'action de gestion d'affaires? Le père connaissait certainement le départ de sa femme; en laissant l'enfant chez son grand-père, il consentait tacitement à ce que celui-ci fournit les aliments; il y avait donc mandat et non gestion d'affaires.

La mère naturelle élève ses enfants au vu et au su du père. A-t-elle une action en répétition contre le père pour la part que celui-ci doit supporter dans la dette? La cour de Toulouse a jugé que la mère avait l'action de gestion d'affaires (2). Il est certain qu'en principe la mère a une action contre le père, puisque l'obligation alimentaire est commune au père et à la mère. Dans l'espèce, comme le dit trèsbien la cour, le père ne pouvait pas mettre à la charge de la mère une dette qui lui incombait, en délaissant les fruits malheureux d'un commerce dont il avait longtemps partagé la honte, et dont maintenant il répudiait l'onéreuse respon

(1) Arrêt du 22 août 1849 (Dalloz, Recueil périodique, 1850, 2, 66). (2) Arrêt du 25 juillet 1863 (Dalloz, Recueil périodique, 1863, 2, 140).

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