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sabilité. Mais y avait-il gestion d'affaires, comme le dit l'arrêt? Le père a beau délaisser la mère et les enfants, il n'en reste pas moins obligé; et s'il laisse payer cette dette par la mère, il y a consentement tacite de sa part à ce qu'elle acquitte la dette qui leur est commune, donc mandat.

Il s'est présenté des cas où il n'y a ni gestion d'affaires ni mandat. La mère d'un enfant naturel l'entretient pendant toute sa vie, mais sans le reconnaître. A la mort de l'enfant, l'Etat réclame un capital qui avait été légué à l'enfant. La cour de Paris admit la demande de l'Etat, mais elle adjugea le capital à la mère, à titre d'indemnité pour les frais de nourriture (1). C'est évidemment un arrêt de faveur, ce n'est pas une décision juridique. La mère avait-elle la moindre pensée de gérer l'affaire de l'enfant? Non, certes, elle remplissait un devoir. Vainement diraiton que ce devoir n'était pas légalement constaté. Cela est vrai, mais il n'en résulte pas que la mère ait été gérant d'affaires, et encore moins mandataire; donc elle était sans action.

Il n'y aurait pas davantage lieu à répétition des aliments s'ils avaient été fournis dans un esprit de libéralité. La cour de cassation l'a décidé ainsi pour les aliments fournis par un oncle à son neveu (2). Cette décision est très-juridique il ne peut résulter aucune action d'un acte de bienfaisance. Le contraire a été jugé par la cour de Metz. Un enfant est inscrit sous le nom de sa mère; il est recueilli par un tiers qui se charge volontairement de son entretien, sans aucune condition. Puis le père le reconnaît. Il est tenu à nourrir son enfant; un tiers a rempli cette obligation pour lui, il doit l'indemniser. La cour fonde cette singulière décision sur un argument plus singulier encore, sur l'article 1382 (3)! C'est une décision d'équité et, comme telle, nous y applaudissons. Mais l'équité ne donne pas d'action, ni la bienfaisance non plus.

(1) Arrêt de Paris du 26 avril 1852 (Dalloz, 1853, 2, 181) et la critique de Dalloz, au mot Paternité, no 681.

(2) Arrêt du 22 nivôse an XI (Dalloz, au mot Mariage, n° 728).

(3) Arrêt de Metz du 8 janvier 1833 (Dalloz, au mot Paternité, no 687).

Il en serait de même si les aliments étaient fournis, contre le gré de son père, à un enfant qui déserte la maison paternelle. La cour de Bruxelles a très-bien jugé que, dans ce cas, le père n'était pas tenu de payer les dettes que son fils avait faites, même pour sa subsistance (1).

81. La répétition peut-elle être exercée contre celui qui a reçu les aliments? Il y a de nombreux arrêts qui admettent l'action de l'instituteur contre ceux à qui il a fourni des aliments. Nous croyons avec Merlin qu'il faut distinguer. Il y a un cas dans lequel il n'y a aucun doute. Si le tiers qui a fourni les aliments l'a fait sans mandat, mais avec l'intention de les répéter contre ceux qui les reçoivent, il y a gestion d'affaires, dit Merlin; nous dirions plutôt qu'il y a action de in rem verso, c'est-à-dire que les aliments peuvent être répétés contre ceux à qui ils ont profité. Il n'y a pas de gestion d'affaires, parce que l'on ne peut pas dire que celui qui fournit les aliments aux enfants le fait à leur insu; il y aurait mandat s'ils étaient capables de consentir. En réalité, il n'y a ni mandat ni gestion d'affaires; il y a une action fondée sur cette maxime que personne ne peut s'enrichir aux dépens d'autrui; c'est ce qu'on appelle l'action de in rem verso, parce qu'elle est limitée au profit que le défendeur a retiré de dépenses faites dans son intérêt.

Il est rare que ce cas se présente pour l'instituteur. Les enfants lui sont confiés par le père, il y a donc mandat, et il va sans dire que l'instituteur a action contre le mandant. Mais a-t-il aussi une action contre les enfants? Merlin dit que non. Il est, en effet, de principe que le mandataire n'a pas d'action contre celui au profit duquel le mandat est contracté (2). Merlin n'admet d'action indirecte que dans un cas, lorsque le père lui-même peut répéter les aliments contre ses enfants; ce qui a lieu quand les enfants ont des biens personnels. L'instituteur agit alors en vertu de l'article 1166; il exerce contre l'enfant l'action qui appartien

(1) Arrêt du 19 janvier 1811 (Dalloz, au mot Mariage, no 663). (2) Pothier, Traité du mandat, nos 82 et 83.

au père. Hors ce cas, l'instituteur n'a pas d'action contre l'enfant (1). Il y a un arrêt en ce sens (2).

La jurisprudence, en général, est contraire; mais nous y avons vainement cherché des principes certains, nous n'avons trouvé que des considérations d'équité. Sans doute, l'équité proteste contre les enfants qui reçoivent l'éducation et qui refusent ensuite de payer les dépenses qui leur ont profité. Mais l'équité seule ne fonde ni droit ni obligation. D'où naissent les obligations? De la loi, des contrats, des quasi-contrats, des délits et des quasi-délits. Dans l'espèce, il y a un contrat, c'est le mandat intervenu entre. le père et l'instituteur. L'instituteur a donc action contre le mandant, et il ne peut avoir d'action que contre lui, sauf l'action indirecte dont nous venons de parler. On prétend qu'outre le mandat qui se contracte entre l'instituteur et le père, il se forme un quasi-contrat de gestion d'affaires entre l'instituteur et les enfants (3). Cela est difficile à admettre. De gestion d'affaires proprement dite, il n'y en a pas, comme nous l'avons déjà remarqué. Il n'y aurait donc lieu qu'à l'action de in rem verso; mais cette action suppose qu'il n'y a ni contrat ni quasi-contrat. Or, dans l'espèce, il y a un contrat. Peut-il y avoir, dans un seul et même fait juridique, un contrat et une espèce de quasi-contrat? Nous ne le croyons pas.

La cour de cassation a senti la difficulté, elle l'a éludée plutôt que résolue; elle n'invoque aucune loi, il n'y en a pas; elle dit seulement que les cours impériales, en donnant action à l'instituteur contre les enfants, se sont conformées à l'équité et n'ont contrevenu à aucune loi (4). Mais n'est-ce pas contrevenir à la loi que d'admettre une action contre celui qui n'est pas obligé en vertu de la loi?

(1) Merlin, Répertoire, au mot Aliments, § 1er, article ler, no 6 (t. Ier, p.316 et suiv.).

(2) Arrêt de Paris du 17 novembre 1838 (Dalloz, au mot Mariage, no 736). (3) Arrêt d'Aix du 11 août 1812 (Dalloz, au mot Mariage, no 736, 1o). Arrêt de Toulouse du 26 juin 1841 (ibid., p.371). Arrêt de Pau du 19 janvier 1852 (Dalloz, Recueil périodique, 1852, 2, 198). Comparez Demolombe, t. IV, p. 97, no 76.

(4) Arrêt du 17 mars 1857 (Dalloz, Recueil périodique, 1857, 1, 151). Comparez arrêt du 29 juin 1843 (Dalloz, au mot Mariage, no 736, p. 371).

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82. Le mariage est une société. Dans les sociétés ordinaires, les associés sont égaux; il n'en est pas de même de la société conjugale. En se mariant, la femme tombe sous la puissance du mari. Le code Napoléon ne prononce pas le mot de puissance maritale, mais il consacre la chose en disant que le mari doit protection à sa femme et la femme obéissance à son mari ». Le principe qui régit les rapports des époux est donc le principe de l'inégalité. Pothier le dit en termes formels : « La puissance du mari sur la personne de la femme consiste dans le droit qu'a le mari d'exiger d'elle tous les devoirs de soumission qui sont dus à un supérieur (1). » Il y a donc un supérieur et un inférieur dans le mariage, partant dépendance et inégalité. Pothier ajoute que cela est de droit naturel. Portalis va nous dire quelles sont les raisons, dites de droit naturel, qui justifient la puissance maritale.

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On a longtemps disputé, dit Portalis, sur la préférence ou l'égalité des deux sexes. Rien n'est plus vain que ces disputes. Nous ne partageons pas ce dédain des discussions philosophiques sur l'égalité. Ce sont les principes qui régissent le monde: et deux principes aussi différents que celui de l'égalité et de l'inégalité doivent avoir et ont réellement des conséquences bien différentes, en droit et même en morale. Ce n'est donc pas une vaine dispute de mots. Portalis continue et dit qu'il y a entre l'homme et la femme des rapports et des différences. Sans doute, il y a

(1) Pothier, Traité de la puissance du mari, no 1.

des différences, mais n'y en a-t-il pas entre les hommes aussi? Chaque individu est doué de facultés spéciales et a, par conséquent, une mission à lui: cela n'a pas empêché la révolution de 89 de proclamer leur égalité. Pourquoi n'en serait-il pas de même de l'homme et de la femme?

Portalis, au contraire, déduit de la différence qui existe dans leur être qu'il y a aussi une différence dans leurs droits et dans leurs devoirs. En parlant de droits différents, Portalis n'entend pas toucher la question des droits politiques; il se renferme dans le domaine du droit privé; son but est de justifier l'inégalité que la puissance maritale établit entre les époux. La différence qui existe entre l'homme et la femme n'est pas, comme il le dit, une différence dans leur être, c'est une différence de facultés. Cette différence est-elle de nature à justifier la supériorité de l'un et l'infériorité de l'autre? On le prétend: « La force et l'audace sont du côté de l'homme, dit Portalis, la timidité et la pudeur du côté de la femme. » Il en conclut que la femme a besoin de protection parce qu'elle est plus faible, que l'homme est plus libre parce qu'il est plus fort. Voilà une conséquence que nous ne saurions admettre. En disant que l'homme est le plus fort, entend-on qu'il ait plus de force d'intelligence et de caractère? Si telle était la pensée de Portalis, les faits lui donneraient certes un démenti. Il ne s'agit donc que de la force corporelle; en effet, l'orateur du gouvernement constate que l'homme et la femme. ne peuvent pas partager les mêmes travaux, supporter les mêmes fatigues (1). Ce serait donc parce que l'homme a une constitution plus forte qu'il aurait droit à la prééminence! Voilà un droit naturel contre lequel la conscience moderne proteste. Non, la force ne donne pas la puissance, elle impose des devoirs. Il y a aussi de ces inégalités entre les hommes, il y a des faibles, il y a des forts; qui oserait dire que le plus fort a le droit de dominer sur le plus faible? La force était la loi du monde ancien; l'humanité l'a remplacée par la loi de l'égalité et de la liberté. 83. Nous n'hésitons pas à affirmer que la puissance

(1) Portalis, Exposé des motifs, no 62 (Locré, t. II, p. 396).

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