Page images
PDF
EPUB

toute autre personne, sans autorisation aucune. Le principe est certain, mais l'application présente des difficultés. Aux termes de l'article 1370, il y a des engagements qui résultent de l'autorité seule de la loi : tels sont, dit le code, ceux des tuteurs et autres administrateurs qui ne peuvent refuser la fonction qui leur est déférée. On demande si la femme est valablement engagée quand elle gère une tutelle, sans qu'elle l'ait acceptée avec autorisation du mari. Duranton dit que la femme n'est obligée, comme tutrice, que si elle a accepté la tutelle avec autorisation. Zachariæ critique cette décision; il prétend que les obligations naissant de la tutelle découlent de la loi seule, indépendamment de toute acceptation. Cela est vrai, en général, mais cela n'est pas vrai de la femme; la mère tutrice peut refuser la tutelle, donc si elle ne la refuse pas, elle l'accepte par cela même; partant, les obligations qu'elle contracte procèdent d'un fait volontaire. Il y a donc lieu. d'appliquer la règle générale et non l'exception (1), bien entendu si la veuve se remarie. En serait-il de même, si une ascendante était nommée tutrice? La question présente d'autres difficultés. Nous y reviendrons au titre de la Tutelle.

Par application du même principe, la femme est tenue de ses délits et de ses quasi-délits. Cela ne fait aucun doute. La loi le dit du mineur (art. 1310); à plus forte raison en est-il de même de la femme.

101. Pothier applique aussi l'exception aux quasi-contrats, en ce sens que les engagements qui en naissent, sans concours de consentement, existent à l'égard de la femme, quoique non autorisée. Telle est la gestion d'affaire. Si c'est l'affaire de la femme qui est gérée, elle sera obligée, comme toute autre personne, par le fait du gérant. Mais peut-elle aussi gérer l'affaire d'autrui sans autorisation? Non, car ici il s'agit d'un fait personnel à la femme, et elle ne peut être obligée par son fait sans être autorisée (2). Il n'y a aucun doute quant aux obligations qu'elle contracterait envers des tiers comme gérant; elles seraient évidem

(1) Duranton, t. II, p. 449, no 500. Zachariæ, t. III, p. 327, note 18, § 472. (2) Pothier, Traité de la puissance du mari, no 50.

ment nulles. Mais la femme ne serait-elle pas tenue au moins envers le maître du dommage qu'elle lui cause par sa mauvaise gestion? Ici il y a un doute. La femme n'est pas obligée comme gérant, cela est certain, car elle ne peut être gérant sans autorisation. Mais ne sera-t-elle pas tenue en vertu d'un quasi-délit? La difficulté est de savoir si l'on peut lui appliquer l'article 1382, aux termes duquel tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (1). Il y a un motif de douter; le fait de gérer l'affaire d'autrui est prévu par l'article 1372, au chapitre des quasi-contrats; or, un seul et même fait peut-il être tout ensemble un quasi-contrat et un quasi-délit? Dès lors, ne faut-il pas dire qu'il y a lieu à appliquer les principes qui régissent les quasi-contrats, et non ceux qui régissent les quasi-délits? Non, car en réalité il n'y a pas de gestion d'affaires, puisque la femme ne peut être gérant. Il reste donc un fait volontaire de la femme qui cause un dommage, c'est-à-dire un quasi-délit.

La femme reçoit un payement indû. Est-elle obligée de restituer ce qui lui a été payé? Pothier pose comme règle que la femme est tenue des obligations que l'équité seule produit; il cite comme exemple le cas d'un prêt fait à la femme; elle doit restituer ce qu'elle a reçu en tant qu'elle s'en est enrichie, non en vertu du prêt, mais en vertu de cette maxime d'équité qui défend de s'enrichir aux dépens d'un autre (2). Il faut appliquer le même principe au payement indû; la femme à qui il a été fait sera tenue en tant qu'elle s'est enrichie. On demande si elle serait tenue de restituer tout ce qu'elle a reçu dans le cas où, étant séparée de biens, elle est capable de recevoir un payement (3). La question est mal posée. Il est de principe que celui qui reçoit un payement indú, fût-il capable, n'est tenu qu'en tant qu'il s'est enrichi, s'il est de bonne foi. Donc quand la femme séparée de biens reçoit de bonne foi ce qui ne lui

(1) Demolombe, t. IV, p. 217, n° 181. Mourlon, Répétitions, t. Ier, p. 393, note.

(2) Pothier, Traité de la puissance du mari, no 51.

(3) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 218, no 182.

est pas dû, elle ne doit restituer que ce dont elle s'est enrichie. Mais que faut-il décider si elle était de mauvaise foi? Doit-on lui appliquer le principe de droit commun, d'après lequel celui qui reçoit de mauvaise foi ce qui ne lui est pas dû, est tenu de réparer tout le préjudice qu'il cause? Il y a dol dans ce cas, et par conséquent délit civil plutôt que quasi-contrat. Or, la femme est tenue de ses délits et de ses quasi-délits.

N° 2. DES ACTES JUDICIAIRES.

I. Règle générale.

102. L'article 215 porte que la femme ne peut ester en jugement sans l'autorisation de son mari; ce qui veut dire qu'elle ne peut plaider ni comme demanderesse, ni comme défenderesse, sans y être autorisée. Cette incapacité est plus absolue que celle dont nous venons de parler. La femme séparée de biens peut faire les actes relatifs à son administration sans autorisation maritale; mais si à l'occasion de ces actes il s'élève un procès, elle ne peut pas ester en jugement. Pourquoi, étant capable d'administrer, est-elle incapable de soutenir les procès concernant son administration? En permettant à la femme d'administrer ses biens, le législateur devait, par cela même, lui permettre de faire les actes d'administration sans autorisation maritale, parce que ces actes sont de tous les jours et de tous les instants. La même nécessité n'existait pas pour les procès, qui heureusement sont une chose rare dans la vie. De plus, les procès sont des actes dangereux qui peuvent compromettre la fortune de la femme à raison des frais qu'ils entraînent, tandis que les actes d'administration lui sont toujours plus ou moins profitables. Voilà pourquoi la défense de plaider est absolue (1).

L'article 215 ajoute quand même elle serait marchande publique. » Quand la femme est marchande pu

(1) Arrêt de cassation du 13 ovembre 1844 (Dalloz, Recueil périodique, 1815, 1, 33).

blique, elle peut s'obliger et même hypothéquer et aliéner ses immeubles pour les besoins de son commerce. Sa capacité est donc plus grande que celle de la femme séparée de biens. Néanmoins, la loi la déclare incapable d'ester en jugement pour les procès concernant son commerce. Les raisons sont celles que nous venons d'exposer pour la femme séparée de biens. L'incapacité est identique, aussi absolue dans un cas que dans l'autre. Il est donc étonnant qu'une cour ait décidé le contraire. On a jugé que la femme autorisée par son mari à faire toutes opérations de commerce, et relativement à ces opérations, tous actes permis par la loi à la femme commerçante, peut, en vertu de cette autorisation, poursuivre une instance commerciale (1). C'est violer la loi dans son texte et dans son esprit. Quand la loi exige que la femme marchande soit autorisée pour ester en justice, elle veut une autorisation spéciale pour chaque instance commerciale; dès lors toute autorisation générale, et ne parlant pas même de procès, est inopérante.

L'expression ester en jugement est générale; elle s'applique au cas où la femme est défenderesse. En effet, la raison est la même; il peut être de son intérêt de ne pas se défendre. On admet même que la femme a besoin d'être autorisée pour se présenter devant le bureau de conciliation (2). Que la femme doive être autorisée, cela est certain; mais doit-elle l'être en vertu de la disposition qui lui défend d'ester en jugement? Non, car le préliminaire de la conciliation n'est pas une instance judiciaire : c'est, comme l'indique le mot, une tentative de concilier ceux qui vont engager un procès; donc il n'y a pas encore procès, et l'on ne peut pas dire que la femme este en jugement quand elle comparaît devant le juge de paix. Mais par cela même que le préliminaire de la conciliation peut aboutir à une transaction, la femme doit être autorisée; sinon, sa comparution devant le juge de paix n'aurait aucun but

(1) Arrêt de la cour d'Aix du 9 janvier 1866 (Dalloz, Recueil périodique, 1867, 5, 35).

(2) Voyez les auteurs cités par Dalloz, au mot Mariage, no 780.

103. Quand l'autorisation d'ester en jugement doit-elle être accordée à la femme? Il est de jurisprudence qu'elle ne doit pas être donnée avant le commencement de l'instance, qu'il suffit que la femme l'obtienne avant le jugement définitif. Ainsi, il a été jugé que l'autorisation peut être donnée par le mari à sa femme séparée de biens, pour la première fois à l'audience, et que, dans ce cas, elle valide toute la procédure antérieure (1). La cour de cassation est allée plus loin; elle a décidé que l'autorisation à l'effet d'appeler d'un jugement couvre la nullité du défaut d'autorisation pour procéder devant le premier juge (2). Par application de ce principe, il a été jugé que l'appel interjeté par une femme n'est pas nul, bien qu'elle l'ait fait sans autorisation de son mari, qu'il suffit que cette autorisation lui ait été donnée postérieurement (3). D'après la rigueur des principes, l'instance engagée par la femme non autorisée est nulle, de même que l'acte extrajudiciaire fait par elle sans autorisation est frappé de nullité. C'est au moment où un incapable agit qu'il doit être autorisé, sous peine de nullité de tout ce qu'il fait. Mais la nullité peut être couverte, comme le dit la cour de cassation; l'autorisation donnée après l'introduction de l'instance confirme ce qui a été fait irrégulièrement. La confirmation pourrait-elle encore être donnée après que l'instance est terminée par un jugement définitif? Nous examinerons cette question plus loin.

II. Exceptions.

a) En matière civile.

104. La cour de cassation pose comme principe, en cette matière, que l'on ne peut admettre d'autres exceptions que celles qui sont formellement établies par la loi (4). Il s'agis

(1) Arrêts de Poitiers du 14 mars 1828 et de Besançon du 1er octobre 1810 (Dalloz, au mot Mariage, n° 859, 4° et 5o).

(2) Arrêt du 5 décembre 1809 (Dalloz, au mot Culte, no 625).

(3) Voyez la jurisprudence dans Dalloz, au mot Mariage, nos 860 et 861. (4) Arrêt du 21 janvier 1845 (Dalloz, 1845, 1, 97).

« PreviousContinue »