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sait, dans l'espèce, de savoir si la femme qui demande la nullité de son mariage, pour vice de consentement, doit être autorisée de son mari. Nous avons enseigné l'affirmative (1), et, à notre avis, elle ne souffre aucun doute. La loi ne fait pas d'exception; dès lors on reste dans la règle générale, qui exige l'autorisation. C'est l'application du principe élémentaire qui régit les exceptions (2). La question serait tout autre, et la décision aussi serait différente, si la femme prétendait qu'il n'y a jamais eu de mariage. Elle n'agit pas alors comme femme mariée, partant elle n'a pas besoin d'autorisation. La cour de cassation a très-bien décidé que la femme qui s'inscrit en faux contre l'acte de célébration de son mariage ne doit pas être autorisée de son mari (3). Ce n'est pas une exception que l'on fait à la règle, c'est la règle qui ne reçoit pas d'application.

105. Y a-t-il lieu d'appliquer la règle quand la femme plaide contre son mari? Si c'est comme demanderesse, il est certain qu'elle doit être autorisée; nous verrons plus loin si c'est par le mari ou par les tribunaux. Si c'est comme défenderesse, on admet que l'autorisation ne lui est pas nécessaire. Ainsi formulée, la décision est inadmissible. Dès que la femme plaide, elle doit être autorisée; le texte et l'esprit de la loi l'exigent. Qu'importe que le mari soit demandeur? Il y a toujours à examiner si la femme est intéressée à se défendre. Il lui faut donc une autorisation. Logiquement la loi aurait dû exiger l'intervention de la justice, puisque le mari est partie en cause. Nous verrons que tel n'est pas le système du code. C'est le mari qui est appelé à autoriser. Mais faut-il, dans l'espèce, une autorisation expresse, ou le fait du mari d'intenter une action contre sa femme peut-il être considéré comme une autorisation tacite? Il est de principe que l'autorisation peut être tacite, quand il s'agit d'actions judiciaires aussi bien que quand il s'agit d'actes extrajudiciaires. L'autorisation est tacite quand le mari pose un

(1) Voyez le tome II de mes Principes, p. 557, no 436. (2) Voyez le tome Ier de mes Principes, p. 351, no 277.

(3) Arrêt du 31 août 1824 (Dalloz, 1824, 1, 336). Voyez mes Principes,

t. II, p. 570, no 446.

fait qui implique nécessairement la volonté d'autoriser. Tel est, sans doute aucun, le fait d'intenter une action contre sa femme. Que veut le mari demandeur? Il veut obtenir un jugement; or, pour cela, il faut que la femme puisse se défendre. Agir contre la femme, c'est donc l'autoriser à plaider (1).

106. La jurisprudence admet qu'il n'y a pas lieu d'autoriser la femme, lorsqu'une poursuite en expropriation est dirigée contre elle. D'abord, dit la cour d'Agen (2), l'action est plus particulièrement dirigée contre la chose que contre la personne. Ce premier argument prouve trop: n'en est-il pas de même de toutes les actions réelles? La saisie, dit-on, n'est pas une instance judiciaire. Elle a, il est vrai, ses caractères particuliers; mais cela n'empêche pas qu'elle n'aboutisse à un jugement. Aussi admet-on que l'adjudication, même préparatoire, ne peut être prononcée contre la femme sans autorisation (3). Cela décide la question, nous semble-t-il, pour les actes de procédure qui précèdent l'adjudication. Le principe dominant, en cette matière, est, en effet, que la femme ne peut figurer dans un acte juridique sans être autorisée. Peu importe donc que la procédure en expropriation soit judiciaire ou extrajudiciaire.

M. Demolombe dit que la question est décidée par le texte du code (4). L'article 2208 suppose, en effet, que la femme doit être autorisée. Mais il ne statue que sur le cas où la femme est débitrice. La femme peut être poursuivie comme détenant un immeuble hypothéqué pour la dette d'un tiers. Dans ce cas, on peut dire avec la cour d'Agen que ce n'est pas la femme qui est poursuivie, que c'est l'immeuble. Toutefois il y a alors une raison de plus pour exiger l'autorisation. Le tiers détenteur a des droits, il peut délaisser, il peut payer; or, dès qu'il s'agit de l'exercice d'un droit, le mari doit intervenir pour garantir les intérêts de la femme et ceux de la famille.

(1) C'est l'opinion unanime (Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 776). (2) Arrêt du 4 janvier 1844 (Dalloz, 1845, 4, 41).

(3) Voyez les arrêts cités par Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 799. (4) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, D. 153, no 134.

107. Il y a des cas où la femme n'a pas besoin d'autorisation; pour mieux dire, l'autorisation du mari est remplacée par l'intervention de la justice. La femme peut, sans autorisation préalable, intenter l'action en divorce pour cause déterminée. Aux termes des articles 240 et 241, la femme doit demander au tribunal la permission de citer son mari. Cette permission équivaut à une autorisation. On conçoit qu'à raison de la nature de l'action, la femme ne soit pas tenue de s'adresser à son mari, que l'on doit supposer coupable, et qui, en autorisant sa femme, avouerait en quelque sorte ses fautes ou ses crimes. Par la même raison, la femme peut former une demande en séparation de corps sans l'autorisation du mari. C'est le président du tribunal qui est appelé, dans ce cas, à l'autoriser (code de procédure, art. 875, 878). Par des raisons analogues, la femme qui demande la séparation de biens doit être autorisée non par le mari, mais par le président du tribunal (code de procédure, art. 865).

108. Faut-il admettre la même exception quand la femme demande l'interdiction de son mari? La cour de Toulouse a décidé que la femme n'avait pas besoin d'autorisation, en se fondant sur l'article 490 qui donne à chaque époux le droit de provoquer l'interdiction de son conjoint. Cette raison est loin d'être décisive. Dire que la femme a qualité pour agir, ce n'est pas l'autoriser à agir sans autorisation. La cour de Toulouse l'a senti. Elle remplace l'autorisation du mari par celle de justice: non que la femme soit tenue de demander au tribunal une autorisation formelle; le tribunal intervient pour nommer le conseil de famille et pour la signification à faire au défendeur en interdiction. Cela tient lieu d'autorisation, dit la cour. Elle invoque l'analogie qui existe entre l'action en interdiction et les actions en divorce, en séparation de corps et en séparation de biens (1). Est-il vrai qu'il y a analogie? Les trois dernières actions sont plus ou moins injurieuses, infamantes même, tandis que l'interdiction est demandée dans l'intérêt même du mari;

(1) Arrêt du 8 février 1823 (Dalloz, Répertoire, no 7778, 23).

mais elle ne doit pas être intentée à la légère. Il est bon qu'il y ait un concert entre les conjoints, si la chose est possible; que si le mari refuse, il est utile que la justice intervienne avant que l'on procède aux formalités préliminaires.

b) En matière criminelle.

109. L'article 216 porte: « L'autorisation du mari n'est pas nécessaire lorsque la femme est poursuivie en matière criminelle ou de police. » On voit que l'exception porte sur le cas où la femme est poursuivie; si c'est elle qui exerce une poursuite, on reste dans la règle; la femme a besoin d'autorisation, parce qu'il n'y avait aucune raison de l'en dispenser (2). Pourquoi ne doit-elle pas être autorisée quand elle est poursuivie? La femme doit avoir l'autorisation de son mari, en matière civile, alors même qu'elle est défenderesse. Quelle est la raison de différence entre les procès civils et les procès criminels? On donne parfois une mauvaise raison, en disant que la défense est de droit naturel, quand la femme est poursuivie en matière criminelle. La défense n'est-elle pas aussi de droit naturel en matière civile? La vraie raison est celle-ci. La femme défenderesse en matière civile peut avoir intérêt à ne pas se défendre, pour éviter des frais inutiles; il importe donc que le mari intervienne. En matière criminelle, le procès suit son cours, que la femme se défende ou qu'elle ne se défende pas; dès lors elle est toujours intéressée à se défendre; d'où suit que l'intervention du mari est inutile.

110. Que faut-il décider de l'action civile qui naît du délit? Si elle est intentée devant les tribunaux civils, c'est une action en dommages-intérêts, partant une action purement civile. Donc nous ne sommes pas dans le cas de l'exception établie par l'article 216 la femme n'est pas poursuivie en matière criminelle, et il peut être de son intérêt de ne pas se défendre. Nous rentrons dans la règle générale de l'article 215: la femme ne peut ester en juge

(1) Voyez la jurisprudence dans Dalloz, Répertoire, no 794.

ment sans être autorisée par son mari. Si l'action civile est portée devant les tribunaux criminels, il faut distinguer. Il y a une hypothèse sur laquelle tout le monde est d'accord. C'est le ministère public qui poursuit, la partie lésée se porte partie civile: la femme n'a pas besoin d'autorisation, car elle est poursuivie en matière criminelle. Il est vrai qu'il y a deux actions distinctes et régies par des principes différents, mais ces différences n'exercent aucune influence sur la décision de notre question. L'action civile est ici l'accessoire de l'action publique; la femme, en se défendant contre l'action publique, se défend par cela même contre l'action civile; or, elle peut se défendre, sans y être autorisée, contre l'action du ministère public, donc elle peut aussi se défendre contre la partie civile, sans autorisation. La question est plus difficile quand la partie lésée intente son action directement devant le tribunal correctionnel ou de police. Bien qu'intentée devant un tribunal criminel, l'action n'est pas criminelle, puisqu'elle tend à une condamnation à des dommages-intérêts. C'est donc une action civile; par conséquent nous sommes dans la règle, qui exige l'autorisation quand la femme est défenderesse au civil. Telle est l'opinion de Zachariæ, suivie par Marcadé (1). On objecte que l'action n'est pas purement civile, puisque le ministère public peut d'un instant à l'autre prendre des conclusions contre la femme, si la partie civile prouve l'existence d'un délit ou d'une contravention (2). L'objection ne nous paraît pas concluante. Pour qu'il y ait lieu à l'exception de l'article 216, il faut que la femme soit poursuivie en matière criminelle, c'est-à-dire comme coupable d'un délit ou d'une contravention. Or, on ne peut pas dire que la femme est poursuivie criminellement, quand l'action a pour objet unique des dommages-intérêts. Peu importe ce qui pourra arriver; la nature de l'action se détermine, non par ce que le ministère public fera peut-être, mais par ce que la partie lésée demande. Voilà quant au texte. Quant à l'esprit de la loi, il

(1) Zachariæ, t. III, § 472, p. 325 et note 13. Marcadé, t. Ier, p. 549, no 1, sur l'art. 216.

(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 157, no 143.

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