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actes restent dans le droit commun. C'est dire que l'autorisation sera valable, si elle a été donnée dans un intervalle lucide, et nulle, si, au moment où le mari a autorisé sa femme, il était en état de démence.

Reste à savoir comment la femme se fera autoriser, si son mari est aliéné sans être interdit. Les auteurs ne discutent pas la question. Ils semblent admettre que les tribunaux peuvent autoriser la femme. Cela nous paraît inadmissible. En principe, c'est le mari qui doit autoriser sa femme; le juge ne peut intervenir que dans les cas prévus par la loi, quand le mari est dans l'impossibilité de manifester sa volonté. La loi ne place la démence du mari parmi ces exceptions que si elle est légalement constatée par un jugement d'interdiction. D'après la rigueur des principes, il faudrait donc décider que la femme doit provoquer l'interdiction de son mari, à moins qu'elle ne se fasse autoriser par lui quand il se trouve dans un intervalle lucide.

131. Si la femme est nommée tutrice de son mari interdit, peut-elle faire en ce cas, sans autorisation de justice, les actes concernant la tutelle? L'affirmative ne souffre aucun doute. Pothier dit que sa nomination à la tutelle renferme nécessairement une autorisation pour administrer les biens de son mari (1). Cela est vrai; seulement au lieu d'autorisation, il faut dire mandat. La femine tutrice n'exerce pas des droits qui lui sont personnels, elle n'a donc pas besoin d'être autorisée; elle agit en vertu d'un mandat, et comme mandataire elle a le droit de faire tout ce qui est compris dans le mandat, peu importe de qui elle le tient, du mari, du conseil de famille ou du tribunal. Il va sans dire que si elle doit faire, comme tutrice, un acte qui dépasse le pouvoir d'administration, il lui faudra l'autorisation du conseil de famille et, s'il y a lieu, l'homologation du tribunal.

Quant aux biens personnels de la femme, Pothier dit aussi qu'elle peut faire, sans autorisation de justice, les actes qui les concernent, sa nomination à la tutelle lui tenant

(1) Pothier, Traité de la puissance du mari, no 26.

lieu d'autorisation. Cela est trop absolu. Il faut distinguer. Si la femme est séparée de biens, il va sans dire qu'elle peut administrer ses biens sans y être autorisée par le juge cela est de droit commun. Il y a cependant un acte que la femme séparée ne peut pas faire, quoique séparée de biens; elle ne peut ester en jugement, même pour une action mobilière, sans autorisation. On demande si elle le peut quand elle est tutrice de son mari interdit. La question est controversée. Nous n'hésitons pas à dire qu'elle ne le peut pas. Quoique tutrice, elle reste femme mariée, et incapable comme telle; elle doit donc être autorisée. On objecte que, comme tutrice, elle pourrait intenter une action mobilière concernant les biens de son mari; n'est-il pas absurde de la déclarer incapable de poursuivre en justice ses propres droits mobiliers (1)? La réponse est trèssimple; il y a une raison juridique de cette différence. Dans le cas de tutelle, la femme a un mandat et, comme mandataire, elle n'a jamais besoin d'autorisation. Si, au contraire, il s'agit des droits personnels de la femme, elle n'agit plus en qualité de tutrice, elle agit comme femme mariée et, comme telle, elle a besoin d'être autorisée.

Si les conjoints sont mariés sous un régime qui donne au mari l'administration des biens de la femme, dans ce cas, il faut dire avec Pothier que la femme tutrice peut administrer ses biens sans autorisation. La raison en est que la femme exerce alors un droit du mari; elle agit donc comme mandataire, quoiqu'il s'agisse de ses biens, et comme mandataire elle ne doit pas être autorisée (2).

132. La loi ne prévoit pas le cas où le mari est placé sous conseil judiciaire. En faut-il conclure avec Duranton que le mari, quoique étant incapable, peut autoriser sa femme pour toute espèce d'actes (3)? Qu'il le puisse pour les actes qu'il a le droit de faire sans l'assistance de son conseil, cela est certain, parce que cela est conforme aux principes. Celui qui est placé sous conseil est aussi сараble qu'un majeur pour tous les actes qui ne lui ont pas été

(1) Duranton, Cours de droit français, t. III, p. 693, no 754.
(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 275, no 227.
(3) Duranton, Cours de droit français, t. II, p. 454, no 506.

interdits. Capable lui-même, rien ne l'empêche d'autoriser sa femme. Mais quand il s'agit d'un acte que les tribunaux lui ont défendu de faire sans l'assistance de son conseil (art. 499 et 513), le mari ne peut plus donner d'autorisation. Il est vrai que la loi ne parle pas du mari placé sous conseil; est-ce à dire qu'elle le reconnaisse capable d'autoriser? Non, le contraire résulte de l'article 502, aux termes duquel tous actes passés par la personne placée sous conseil sans l'assistance de ce conseil sont nuls de droit. La loi assimile, sous ce rapport, la nomination d'un conseil judiciaire à linterdiction. Or, l'interdit est légalement présumé incapable de consentir, pour tout ce qui concerne son patrimoine; donc le mari placé sous conseil est frappé de la même incapacité: incapable de consentir, il est par cela même incapable d'autoriser. C'est l'opinion générale, et elle est consacrée par la jurisprudence (1).

Mais si le mari ne peut pas autoriser sa femme, comment l'autorisation sera-t-elle donnée? La jurisprudence est divisée sur cette question, ainsi que la doctrine. D'après les uns, c'est le mari assisté de son conseil qui doit autoriser; les autres disent que c'est la justice qui doit autoriser. Nous croyons que les tribunaux n'ont le droit d'autoriser la femme que dans les cas où la loi leur donne formellement ce pouvoir, car l'intervention du juge diminue, altère la puissance maritale; or, cette puissance est d'ordre public, le juge ne peut pas plus la modifier que les conventions des parties. Cela décide la question. On ne peut pas assimiler au mineur, même émancipé, la personne placée sous conseil, car elle est majeure et, en principe, capable. Bien moins encore peut-on dire que la loi comprend parmi les interdits la personne placée sous conseil; elle agit par elle-même, assistée, au besoin, de son conseil, tandis que l'interdit n'agit point. Il est vrai que le système du code est de faire intervenir la justice quand le mari est incapable, mais, dans l'espèce, le mari ne l'est pas; assisté de son conseil, il peut tout faire, pourquoi ne

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 875, 1o, 2o.

pourrait-il pas autoriser sa femme? L'opinioncontraire est plus généralement suivie (1).

IV. Condamnation judiciaire.

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133. L'article 221 porte : « Lorsque le mari est frappé d'une condamnation afflictive ou infamante, encore qu'elle n'ait été prononcée que par contumace, la femme, même majeure, ne peut, pendant la durée de la peine, ester en jugement, ni contracter, qu'après s'être fait autoriser par le juge, qui peut, en ce cas, donner l'autorisation sans que le mari ait été entendu ou appelé. » Cette incapacité est fondée sur l'indignité du mari; c'est une déchéance temporaire de la puissance maritale. Si la loi permet au juge de l'entendre, c'est pour qu'il puisse s'éclairer.

V. Du cas où le mari est intéressé.

134. Quand la femme traite avec son mari, ou quand elle contracte avec des tiers, dans l'intérêt du mari, a-t-elle besoin d'être autorisée par justice, ou l'autorisation du mari lui suffit-elle? Cette question est vivement controversée; on peut la réduire à des termes très-simples, comme Merlin l'a déjà fait. En principe, la femme ne peut faire aucun acte juridique sans y être autorisée par son mari; par exception, l'autorisation du mari est remplacée par celle du juge, dans les cas déterminés par la loi; toute exception est de stricte interprétation; par cela seul que la femme ne se trouve pas dans un des cas exceptés, elle reste dans la règle; donc l'autorisation maritale lui est nécessaire, mais aussi elle lui suffit. On objecte le vieil adage que personne ne peut autoriser dans son propre intérêt nemo potest esse auctor in rem suam. Merlin répond que ce principe, établi par les jurisconsultes 10mains en matière de tutelle, ne s'applique pas au mari. Il suppose que l'autorisation a pour seul but de garantir les

(1) C'est celle de Zachariæ, t. III, p. 331, note 33; de Demolombe, t. IV, p. 271, no 226. Voyez, dans le sens de notre opinion, Magnin, des Minorités, 909. La jurisprudence dans Dalloz, au mot Mariage, no 874.

intérêts de celui qui est autorisé : tel est le cas de la tutelle. L'autorisation maritale est exigée, avant tout, par un motif d'ordre public, comme une conséquence de la puissance maritale; sans doute, dans le droit moderne, c'est aussi une mesure de protection, mais ce n'est pas seulement pour protéger la femme que le mari intervient; il est appelé à sauvegarder les intérêts de la famille. Il n'y a donc pas lieu d'appliquer l'adage latin. D'ailleurs c'eût été au législateur à le faire; l'interprète ne peut pas créer une exception, quand il y aurait pour cela les meilleures raisons du monde (1).

Il y a un arrêt fortement motivé de la cour de Turin, en faveur de l'opinion contraire. La cour dit, et cela est incontestable, que l'autorisation du mari doit, ne fût-ce qu'en partie, garantir les intérêts de la femme et des enfants; où est la garantie quand le mari est personnellement intéressé? Si son intérêt est en opposition avec celui de la famille, ne pourra-t-il pas sacrifier à son intérêt celui de la femme et des enfants? Là où il y a conflit d'intérêts, n'importe-t-il pas que la justice impartiale intervienne (2)? Cela est vrai, mais toute cette argumentation s'adresse au législateur et non à l'interprète. La loi seule peut créer des exceptions, elle ne l'a pas fait dans l'espèce: cela décide la question.

No 3. DES CAS DANS LESQUELS LA JUSTICE NE PEUT PAS AUTORISER LA - FEMME.

135. Un arrêt récent de la cour de Paris (3) pose en principe que la disposition de l'article 219 est générale, qu'elle n'admet point d'exceptions et ne pouvait en admet

(1) Merlin, Questions de droit, au mot Puissance maritale, § 4 (t. XII, p. 244). Demolombe, t. IV, p. 282 et suiv., nos 232, 235 et 236. — La jurisprudence est divisée (voyez Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, nos 813 et 814. Ajoutez, dans le sens de notre opinion, arrêts de Grenoble du 11 mars 1851 (Dalloz, 1853, 2, 63), de Montpellier du 18 novembre 1853 (Dalloz, 1855, 2, 90) et de Bordeaux du 29 août 1856 (Dalloz, 1856, 2, 202).

(2) Arrêt du 17 décembre 1808 (Dalloz, au mot Mariage, no 814, 1o). Il y a un arrêt dans le même sens de la cour de Bruxelles du 1er juin 1857 (Pasicrisie, 1857, 2, 274).

(3) Arrêt du 3 janvier 1868 (Dalloz, 1868, 2, 29).

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