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Vainement objecte-t-on que les tiers n'ayant pas traité avec la femme, ils ne sont pas en faute (1). La considération de la faute est étrangère à la question. Il s'agit uniquement de savoir si la nullité est absolue ou si elle est relative; l'article 225 décide qu'elle est relative, et il indique les personnes dans l'intérêt desquelles elle est établie et qui, par suite, peuvent s'en prévaloir. Donc toute autre perso: ne ne le peut pas; ce qui exclut tous tiers. Il est vrai que l'article 1125 ne parle que des personnes qui ont contracté avec la femme mariée; mais qu'importe? C'est l'article 225 qui pose le principe; l'article 1125 n'a qu'un seul objet, c'est de dire que les personnes capables qui traitent avec un incapable ne peuvent se prévaloir de son incapacité; il ne dit pas que les tiers qui n'ont pas été parties au contrat le peuvent; l'article 225 décide qu'ils ne le peuvent pas.

156. Ces principes s'appliquent à la femme qui este en justice sans autorisation maritale. Si la femme intente une action sans y être autorisée, l'assignation est nulle, mais le défendeur ne peut pas opposer cette nullité. Est-ce à dire que le défendeur ne puisse pas demander que la position de la femme soit régularisée? Il le peut certainement, car il a intérêt à ne pas s'engager dans une procédure frustratoire. A quoi lui servirait-il de gagner son procès, puisque la femme pourrait lui opposer la nullité du jugement? Quelle voie doit-il prendre? Il peut ou mettre le mari en cause, ou opposer une exception dilatoire à la femme. Ce dernier point est controversé. A la rigueur, le défendeur ne peut pas plus opposer la nullité par voie d'exception que par voie d'action. L'opinion contraire prévaut cependant dans la doctrine et dans la jurisprudence (2). Nous n'insistons pas, puisque c'est une question de procédure.

Si la femme est défenderesse, l'assignation est nulle, par cela seul qu'elle est donnée contre la femme seule; par suite, toute la procédure ainsi que la sentence sont égale

(1) C'est l'opinion de Troplong, des Hypothèques, t. IV, no 955. (2 Merlin, Répertoire, au mot Autorisation maritale, section III, § 4. Demolombe, t. IV, p. 457, n° 351. Dalloz, au mot Mariage, no 949.

ment nulles. Pothier le décide ainsi, et la jurisprudence est dans le même sens (1). On objecte que cette jurisprudence est dure (2). Soit, il faut répondre avec les jurisconsultes romains: La loi est dure, mais c'est une loi. Permettre au juge d'invoquer l'équité contre la sévérité de la loi, c'est le mettre au-dessus du législateur.

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157. La nullité qui résulte du défaut d'autorisation est une nullité relative, comme toutes les nullités fondées sur l'incapacité. Aux termes de l'article 1125, « le mineur, l'interdit et la femme mariée ne peuvent attaquer, pour cause d'incapacité, leurs engagements que dans les cas prévus par la loi. Cette disposition est mal rédigée; elle met sur la même ligne toutes les nullités résultant de l'incapacité, tandis qu'il y a des différences considérables entre le mineur, d'une part, et la femme mariée et l'interdit, d'autre part.

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La question est de savoir si les actes passés par les incapables sont nuls de droit, en ce sens qu'il suffit que l'acte soit fait par un incapable pour qu'il doive être annulé. Il en est ainsi de l'interdit, d'après l'article 502, qui porte: Tous actes passés par l'interdit postérieurement au jugement portant interdiction seront nuls de droit. " On sait qu'il n'en est pas de même des actes passés par les mineurs; à eux on peut appliquer à la lettre l'article 1125; ils ne peuvent attaquer les actes qu'ils font que dans les cas prévus par la loi, et il faut ajouter, pour les causes qu'elle prévoit. Doit-on assimiler les femmes mariées aux mineurs ou aux interdits? Il faut dire d'elles ce que la loi dit des interdits : les actes qu'elles passent sans autorisation sont nuls de droit. Elles peuvent les attaquer par cela seul qu'elles n'ont pas été autorisées, et le tribunal devra prononcer la nullité. Elles n'ont pas besoin de prouver qu'elles ont été lésées. Pourquoi la loi n'exige-t-elle pas que les femmes prouvent la lésion, comme elle l'exige, en général, des mineurs? Parce que la nullité est fondée sur ce que la puissance maritale a été méconnue; cela n'a

(1) Pothier, De la puissance du mari, no 55. Dalloz, au mot Mariage, n° 860.

(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 459, no 352.

rien de commun avec la lésion. Il va sans dire que lans les cas où la femme n'a pas besoin d'autorisation, il ne peut être question de nullité.

No 2. QUI PEUT OPPOSER LA NULLITÉ.

I. Du mari.

158. L'action en nullité appartient au mari, d'après l'article 225. Tant que dure le mariage, son droit est incontestable; il peut attaquer l'acte fait par la femme sans y être autorisée, en se fondant sur le seul défaut d'autorisation. L'intérêt du mari est moral dans ce cas; il venge son autorité que la femme a méprisée. Notre texte le dit :

"

La nullité fondée sur le défaut d'autorisation. » Le mari peut-il encore attaquer l'acte après la dissolution du mariage? Il ne le peut plus au nom de la puissance maritale violée, puisqu'il n'y a plus de puissance à sauvegarder. Le peut-il s'il y a un intérêt pécuniaire? Oui; l'article 225 le prouve, puisqu'il donne l'action en nullité aux héritiers du mari; à plus forte raison, le mari doit-il l'avoir; mais comme il ne peut plus agir en vertu d'un intérêt moral, et qu'il n'y a pas d'action sans intérêt, il faut dire qu'il devra fonder son action sur un intérêt pécuniaire. Cela arrivera rarement, mais cela peut arriver. La femme a renoncé à une succession mobilière qui devait entrer en communauté; ses cohéritiers se sont emparés du mobilier héréditaire. Dans ce cas, le mari a certes intérêt à demander la nullité de la renonciation s'il ne l'a pas fait pendant le mariage, il pourra le faire après la dissolution du mariage. Ses créanciers mêmes le pourraient, parce que le droit du mari est purement pécuniaire; tandis qu'ils ne pourraient pas agir pendant le mariage, parce qu'alors le droit du mari est purement moral (1).

(1) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 567, article 225, no III. La cour de cassation a décidé que les créanciers peuvent agir même pendant le mariage, si le mari a un intérêt pécuniaire à l'annulation (arrêt du 14 août 1822, dans Dalloz, au mot Mariage, no 939). Nous reviendrons sur la question, au titre des Obligations.

II. De la femme.

159. La femme peut demander la nullité en se fondant sur le défaut d'autorisation. Elle le peut sans qu'elle soit tenue de prouver qu'elle a été lésée. La loi ne l'exige pas, et avec raison. Il n'y a pas à distinguer s'il s'agit d'un acte d'administration ou d'un acte de disposition. On fait cette distinction pour le mineur; on ne la fait pas pour la femme mariée, et il n'y avait pas lieu de la faire. La loi veut que la femme soit autorisée, pour sauvegarder nonseulement ses intérêts, mais ceux de toute la famille. Puisque l'autorisation est considérée comme nécessaire pour protéger la famille, la conséquence en doit être que par cela seul que la femme a agi sans être autorisée, ces intérêts sont présumés lésés. Donc la femme doit avoir le droit d'agir en nullité, par cela seul qu'elle n'a pas été autorisée.

160. La femme peut-elle demander la nullité si elle n'a pas déclaré, dans l'acte, qu'elle était mariée? ou si elle s'est déclarée fille ou veuve? ou si elle a employé des manoeuvres frauduleuses pour faire croire qu'elle n'était pas mariée? Nous croyons qu'il faut distinguer. Si la femme figure dans une instance judiciaire, ou dans un acte, comme fille, sans qu'elle ait fait de déclaration à cet égard, elle peut agir en nullité. Dans ce cas, il n'y a aucun doute et tout le monde est d'accord (1). On ne peut rien reprocher à la femme que son silence, mais ce n'est pas à elle à faire connaître sa qualité; c'est à celui qui traite avec elle à s'en informer. La question devient plus douteuse quand la femme s'est déclarée fille ou veuve. Si elle n'a pas employé de manoeuvres frauduleuses, il faut appliquer par analogie l'article 1307, qui porte : « La simple déclaration de majorité, faite par le mineur, ne fait point obstacle à sa restitution. » Pourquoi la loi permet-elle au mineur d'agir en nullité, quoiqu'il se soit dé

(1) Marcadé, t. Ier, p. 567, article 225, no II. Arrêt de la cour de cassation du 15 novembre 1836 (Dalloz, au mot Mariage, no 959, 3o).

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claré majeur? Si la simple déclaration de majorité suffisait pour valider l'acte fait par un mineur, la protection que la loi a voulu lui assurer serait le plus souvent illusoire; la déclaration de majorité deviendrait de style, et le mineur serait sans garantie. Ces motifs s'appliquent aussi à la femme mariée (1); il faut donc dire avec l'adage que là où il y a même raison de décider, il doit y avoir même décision. Les tiers diront-ils qu'ils ont été trompés? Cette considération n'a pas arrêté le législateur quand il s'agit des mineurs elle ne doit pas davantage nous arrêter quand il s'agit d'une femme mariée. C'est aux tiers à s'informer, et rien n'est plus facile, puisque les registres de l'état civil sont publics. Le principe est généralement admis par la doctrine et par la jurisprudence. Marcadé objecte qu'il y a une différence entre le mineur et la femme mariée; que l'on peut, au seul aspect de la figure d'un mineur, deviner ou soupçonner son âge; tandis que l'on ne peut pas lire, sur le visage d'une femme de trente ans, si elle est mariée, veuve ou fille. Singulier argument! Que faudrait-il donc décider si la femme avait vingt et un ans? Ce n'est pas la figure que les tiers doivent consulter, ce sont les actes de l'état civil.

La jurisprudence est, en général, en ce sens (2). Il y a cependant un arrêt contraire de la cour de cassation. Elle a jugé que si la femme se dit autorisée par son mari dans un acte d'appel, et si elle paraît sous le même titre dans les qualités de l'arrêt, elle ne peut pas agir en nullité; la cour se fonde sur l'authenticité des actes dans lesquels la femme a été dite autorisée; ces actes, dit-elle, font foi en justice, jusqu'à inscription de faux (3). Il y a là une singulière confusion d'idées. Qu'est-ce qui est prouvé jusqu'à inscription de faux par l'acte où la femme se déclare autorisée? C'est le fait matériel que la femme a fait cette déclaration; mais il ne prouve pas que cette déclaration soit vraie, il ne prouve pas que la femme est réellement auto

(1) Pothier, Traité de la puissance du mari, no 54.

(2) Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 959, et arrêt de Dijon du 1er juin 1854 (Dalloz, 1856, 2, 230).

(3) Arrêt du 24 février 1820 (Dalloz, au mot Mariage, no 959, p. 445).

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