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L'article 197 porte : « Si néanmoins il existe des enfants issus de deux individus qui ont vécu publiquement comme mari et femme, et qui soient tous deux décédés. » Que signifie le mot néanmoins? Il signale clairement une exception qui va modifier, en faveur des enfants, la règle en vertu de laquelle le mariage doit se prouver par la représentation de l'acte de célébration. Cette exception dépend de plusieurs conditions spécifiées avec soin, et l'une de ces conditions est que les père et mère soient tous deux décédés. Donc, si le père ou la mère vit encore au moment où il s'élève des contestations sur la légitimité des enfants, l'exception cesse, et les enfants rentrent dans la règle générale; par conséquent, ils ne peuvent prouver le mariage que par l'acte de célébration (1). Il y a deux arrêts en ce sens (2).

La question est douteuse. Nous préférons l'opinion contraire, enseignée par Duranton et suivie par M. Demolombe (3). On peut dire d'abord que la loi prévoit le cas qui se présente d'ordinaire, le décès des père et mère, mais sans entendre exclure les autres cas où il y aurait impossibilité pour l'enfant d'apprendre par ses père et mère le lieu où leur mariage a été célébré; mais cette raison ne répond pas suffisamment à l'argument de Merlin. Nous sommes dans une matière exceptionnelle, donc tout est de la plus rigoureuse interprétation. Cet adage est vrai, mais il ne faut pas l'outrer : il y a des cas où l'exception ellemême forme une espèce de règle, en ce sens qu'elle découle d'un principe général (4). Quel est le principe dont l'article 197 fait l'application au cas de décès? Quand l'enfant a ses père et mère, il doit produire l'acte de célébration de leur mariage, parce qu'il peut apprendre par eux où leur union a été célébrée. Cela suppose que les père et mère peuvent manifester leur volonté; mais s'ils sont

(1) Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, section I, § 2, question II (t. XVII, p. 357).

(2) Arrêts de Toulouse du 24 juin 1820 et de Paris du 23 février 1822 (Dalloz, au mot Paternité, nos 333 2o, et 312).

(3) Duranton, Cours de droit français, t. II, p. 211, no 255. Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 576, no 396.

(4) Voyez le tome Ier de mes Principes, no 277, p. 353.

absents ou aliénés, comment l'enfant apprendra-t-il par eux le lieu où ils se sont mariés? Il y a ici une impossibilité légale, aussi grande que celle qui résulte du décès. Donc l'enfant doit avoir le droit d'invoquer le bénéfice de la loi, en cas d'absence ou de démence aussi bien qu'en cas de décès. Ce n'est pas étendre l'exception, c'est l'appliquer. Au premier abord, on pourrait croire qu'il y a contradiction entre cette décision et celle que nous avons admise dans le cas où le survivant des père et mère est l'adversaire de l'enfant. Non, les deux cas diffèrent. Quand le père vit et qu'il est capable de manifester sa volonté, l'enfant ne peut plus dire qu'il est dans l'impossibilité légale de s'adresser à lui; tandis qu'il est dans cette impossibilité, quand le père est absent ou aliéné aussi bien que lorsque le père est décédé.

11. La seconde condition exigée par l'article 197, c'est que l'enfant soit issu de deux individus qui ont vécu publiquement comme mari et femme; c'est-à-dire que ceux dont il se prétend l'enfant légitime avaient la possession d'etat d'époux. C'est précisément en cela que consiste la faveur que la loi lui accorde. Quand y a-t-il possession d'etat d'époux? C'est une question de fait que les tribunaux décideront d'après les circonstances de la cause (1). Il faut de plus que l'enfant prouve que lui aussi a la possession d'état d'enfant légitime. Sur ce dernier point, il y a une légère difficulté de texte. «Toutes les fois, dit l'article 197, que cette légitimité est prouvée par une possession d'état qui n'est point contredite par l'acte de naissance. La loi ne dit pas formellement qu'il s'agit de la possession d'état de l'enfant; les termes une possession d'état pourraient à la rigueur recevoir leur application aux père et mère. Toutefois, il n'y a pas de doute que la loi n'exige une double possession d'état, d'abord celle des père et mère, ce qui est dit au commencement de l'article 197. puis celle de l'enfant, dont il est question à la fin de l'article. Merlin établit ce point avec un vrai luxe de science (2).

(1) Voyez les arrêts cités dans Dalloz, au mot Paternité, no 252.

2) Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, section I, § 2, question VIII (t. XVII, p. 375).

Il nous semble que le texte ne laisse aucun doute sérieux : une possession d'état qui peut être contredite par l'acte de naissance ne peut être que la possession d'état de l'enfant. La doctrine et la jurisprudence sont unanimes. Si Merlin n'avait agité la question, elle ne mériterait pas même d'être posée. On conçoit facilement pourquoi la loi se montre si rigoureuse. Elle se défie de la possession d'état des époux, parce qu'il arrive si souvent qu'elle est l'œuvre de la fraude; elle veut donc qu'elle soit confirmée par la possession d'état de l'enfant; si cette double preuve n'écarte pas le danger, elle le diminue du moins.

12. On demande comment l'enfant prouvera sa possession d'état. Au point de vue des principes, la question n'en est pas une. La possession d'état d'enfant légitime est définie par l'article 321; elle se compose d'un ensemble de faits dont la preuve doit être administrée par l'enfant : comme il s'agit de faits purs et simples, la preuve pourra se faire par témoins. A en croire Portalis, il suffirait que l'enfant produisît son acte de naissance, s'il y est qualifié d'enfant légitime. C'est une erreur évidente, mais il importe d'y insister, ne fût-ce que pour montrer que les travaux préparatoires du code ne sont pas un Evangile. « Il suffit, dit Portalis, que la possession d'état des père et mère soit énoncée dans l'acte de naissance des enfants; cet acte est leur titre. C'est dans le moment de cet acte que la patrie les a marqués du sceau de ses promesses; c'est sous la foi de cet acte qu'ils ont toujours existé dans le monde; c'est avec cet acte qu'ils peuvent se produire et se faire reconnaître; c'est cet acte qui constate leur nom, leur origine, leur famille; c'est cet acte qui leur donne une cité et qui les met sous la protection des lois de leur pays... Leur destinée est irrévocablement fixée par l'acte inscrit dans des registres que la loi elle-même a établis pour constater l'état des citoyens, et pour devenir, pour ainsi dire, dans l'ordre civil, le livre des destinées (2). » Merlin dit qu'il a de la peine à croire que Portalis ait

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 423.
(2) Exposé des motifs, no 55 (Locré, t. II, p. 394).

professé cette doctrine à la tribune du Corps législatif; il suppose qu'il y a une erreur qui s'expliquerait par la cécité presque complète de l'auteur. Mais la pensée est si développée, qu'il est difficile de l'attribuer à quelque méprise. Toujours est-il que l'opinion exprimée dans l'exposé des motifs est en opposition avec le texte de l'article 197 et avec les principes les plus élémentaires de droit. Le code exige impérieusement la preuve d'une double possession d'état, alors même qu'il y aurait un acte de naissance. Sans doute, l'acte de naissance est la preuve par excellence de la filiation des enfants légitimes; mais il faut pour cela que le mariage de leurs père et mère soit prouvé, et quand il ne l'est pas par l'acte de célébration, la loi veut qu'il le soit par une double possession d'état. La jurisprudence et la doctrine sont unanimes (1).

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13. L'article 197 exige encore une troisième condition. Il faut que la possession d'état ne soit point contredite par l'acte de naissance. On demande si l'enfant doit produire un acte de naissance. Le texte ne l'exige pas, et l'interprète ne peut pas établir, pour l'exercice d'un droit, des conditions que la loi ne prescrit point. Dans l'espèce, cela ne peut pas faire le moindre doute. Le projet portait : Toutes les fois qu'un acte de naissance, appuyé de la possession d'état, prouve la légitimité. » Ainsi les auteurs du code voulaient que l'enfant eût un acte de naissance, appuyé de la possession d'état; mais cette rédaction ne fut pas admise, elle fut remplacée par une rédaction qui veut seulement que la possession d'état ne soit pas contredite par l'acte de naissance. Le changement est radical. Il ne faut donc plus d'acte de naissance; il faut que l'acte, s'il y en a un, ne contredise pas la possession d'état. Cela est en harmonie avec l'esprit de la loi. Pourquoi dispenset-elle l'enfant de la représentation de l'acte de mariage? Parce qu'il peut ignorer le lieu où ses père et mère se sont mariés. Sait-il davantage le lieu où il est venu au monde? L'enfant n'est donc pas tenu de représenter son acte de

(1) Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, section I, § 2, question VI (t. XVII, p. 369). La jurisprudence est conforme. Voyez les arrêts cités dans balloz, au mot Paternité, no 320.

naissance, il en est dispensé par cela seul que ses père et mère sont morts. Si l'adversaire de l'enfant soutient que la possession d'état est contredite par l'acte de naissance, c'est à lui à le produire. Il y aurait contradiction si l'acte de naissance portait que l'enfant est un enfaut naturel. Il n'y aurait pas contradiction si l'acte se bornait à dire que l'enfant est né de père et mère inconnus (1).

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14. Quel sera l'effet de la preuve que l'enfant fera de la double possession d'état prescrite par l'article 197? La loi dit que sa légitimité ne pourra être contestée sous le seul prétexte du défaut de l'acte de célébration. » Merlin induit de là que l'enfant a pour lui une présomption de légitimité. Le mot est répété par M. Demolombe et par la jurisprudence (2). Est-il exact? La loi ne le prononce pas, et à vrai dire il ne peut pas s'agir d'une véritable présomption. Il y a présomption quand d'un fait connu la loi tire une conséquence à un fait inconnu (art. 1349). Dans l'espèce, le législateur ne procède pas par voie de raisonnement. Il admet l'enfant à faire preuve de sa légitimité par la possession d'état. Le résultat de la preuve est naturellement que la légitimité de l'enfant est établie. Serat-elle à l'abri de toute contestation? L'article 197 dit qu'elle peut être contestée, mais qu'elle ne peut l'être sous le seul prétexte du défaut de représentation de l'acte de célébration. C'est dire que la preuve par possession d'état tiendra lieu à l'enfant d'acte de mariage. Or, l'acte de mariage peut être combattu par toute preuve contraire; on peut soutenir que le mariage est nul ou inexistant.

On demande quelle preuve sera admise? Puisque la loi ne contient aucune disposition spéciale, il faut décider que la preuve se fera d'après les principes généraux. La possession d'état se prouve par témoins. D'après le droit commun, les présomptions sont admises quand la preuve testimoniale est admise. Il suit de là que l'adversaire de l'enfant sera reçu à proposer des présomptions graves,

(1) Valette sur Proudhon, Traité de l'état des personnes, t. II, p. 72, note. Zachariæ, traduction de Massé et Vergé, t. Ier, p. 187, note 12, et les auteurs cités par Dalloz, au mot Paternité, no 330.

(2) Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, section II, § 2, question IX (t. XVII, p. 380). Demolombe, t. III, p. 586, no 406.

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