Page images
PDF
EPUB

la consciencè qui considère cette cérémonie comme un devoir; mais depuis quand les scrupules religieux engerdrent-ils une obligation civile? Après tout, si la femme a ses scrupules, le mari a les siens. Que demande la femme au mari libre penseur? Qu'il fasse acte d'hypocrisie. Le mari n'a-t-il pas le devoir de se refuser à ce rôle odieux? Sans doute, il est coupable s'il a promis à sa femme de procéder au mariage religieux, plus coupable encore s'il a feint de partager des croyances qui ne sont pas les siennes. Mais cette faute est-elle une injure grave dans le sens de l'article 231? C'est un fait antérieur au mariage, c'est une espèce de dol qui a engagé la femme à consentir au mariage. Si la loi admettait le dol comme vice du consentement, il y aurait lieu, dans l'espèce, à agir en nullité. Mais le dol ne vicie pas le consentement en cette matière. Le mariage est donc valable; et comme aucune obligation civile résultant du mariage n'a été violée, il faut décider qu'il n'y a pas de cause de divorce.

No 4. CONDAMNATION A UNE PEINE INFAMANTE.

66

197. Aux termes de l'article 232, « la condamnation de l'un des époux à une peine infamante sera pour l'autre époux une cause de divorce. » Boulay motivait comme suit cette disposition (1): « On stipule ici pour l'époux honnête et délicat, contre l'époux coupable et flétri. Vouloir qu'ils vivent ensemble, c'est vouloir réunir un cadavre à un homme vivant. Cette cause de divorce doit être admise, sans doute, chez tous les peuples; mais surtout chez une nation dont l'honneur paraît être le sentiment spécial.

"

Cette cause de divorce existe-t-elle encore dans la législation belge? Nous ne le croyons pas. Pour que l'article 232 puisse être appliqué, il faut une condamnation à une peine infamante. Or, notre nouveau code pénal ne reproduit plus la qualification de peine infamante; l'arti

(1) Séance du conseil d'Etat du 24 vendémiaire an x (Locré, t. II, p. 487, n° 2).

cle 7 énumère les peines, il ne les qualifie pas. De là résulte qu'il n'y a plus d'infamie légale; or, c'est de l'infamie légale que procède la faculté de demander le divorce. En effet, le code civil a été discuté et publié sous l'empire du code de brumaire an IV. L'article 604 portait : < Toute peine afflictive est en même temps infamante. » Et l'article 603 énumérait les peines afflictives: c'étaient la mort, la déportation, les fers, la reclusion dans une maison de force, la gêne et la détention. Le code pénal de 1810 maintint le principe que toute peine afflictive est infamante, et il établit de plus des peines infamantes qui n'étaient pas afflictives, le carcan, le bannissement et la dégradation civique. Ces dernières peines ont entièrement disparu de notre nouveau code pénal. Quant à celles-ci, il ne peut pas y avoir de doute : il n'y a plus de condamnation à la dégradation civique, au bannissement, au carcan; il ne peut pas y avoir de cause de divorce résultant de peines qui n'existent plus. Restent les peines afflictives qui d'après le code de l'an Iv et le code de 1810 étaient aussi infamantes; le code pénal belge maintient la mort, les travaux forcés, la détention et la reclusion (art. 7), mais il ne les qualifie plus ni d'afflictives ni d'infamantes. Dès lors, la base sur laquelle repose l'article 232 du code Napoléon s'écroule. Le texte est certainement inapplicable, puisque nos cours d'assises ne prononcent plus de condamnation à une peine infamante. L'esprit de la loi s'oppose également à l'application de l'article 232; on ne peut plus dire que celui qui est condamné aux travaux forcés, à la mort, est un cadavre vivant, parce qu'il est frappé d'infamie, parce qu'il n'a plus l'honneur, qui est si cher à la race française. Il n'est pas infâme, donc son conjoint ne peut pas se plaindre qu'il est obligé de vivre avec un infâme.

Il y a cependant quelques raisons de douter. On peut dire que l'opinion publique attache l'infamie aux peines en matière criminelle; peu importe donc que le législateur qualifie ou non d'infamante la peine dont il est frappé. A cette objection, la réponse est facile. En parlant de peines infamantes, l'article 232 n'a pas entendu l'infamie

qui résulte de l'opinion, des mœurs, des préjugés; il s'en est référé au code de brumaire, à la qualification légale des peines, à l'infamie légale; or, celle-ci n'existe plus; quant à l'infamie que l'opinion publique inflige, sans que les lois la consacrent, les tribunaux n'en peuvent tenir aucun compte.

On peut dire encore que le code pénal belge maintenant les peines que le code de 1810 qualifiait d'afflictives et d'infamantes, l'article 232 peut recevoir son application aux crimes punis de l'une de ces peines. C'est, après tout, le crime qui est infamant plutôt que la peine. Cette objection s'adresse au législateur. C'est à lui à voir s'il veut maintenir la cause de divorce en l'attachant au crime, au lieu de l'attacher à la peine. Mais l'interprète ne peut pas faire la loi ni la modifier, car la modifier, c'est la faire. Or, la modification serait évidente, puisque aux mots condamnation à une peine infamante, on substituerait ceuxci: condamnation pour crime. L'article 232 ne parle pas du fait punissable, il parle de la peine; la peine n'existe plus, donc la disposition devient inapplicable, sauf au législateur à modifier la loi.

Enfin l'on dira qu'il résulte de notre interprétation qu'il y a lacune dans le code civil. Il est vrai qu'il y a abrogation de l'une des causes déterminées du divorce. Est-ce une lacune? C'est au législateur à la combler. L'abrogation nous paraît peu regrettable. Sous l'empire de la législation française, le condamné était réputé infâme après qu'il avait subi sa peine; comment aurait-il trouvé une place dans la société, alors que son conjoint même le repoussait du domicile conjugal? Le mariage a pour objet le perfectionnement des époux; si l'un d'eux tombe, l'autre doit lui tendre la main pour le relever, bien loin de le fuir comme un impur. Si le préjugé contraire existe dans nos mœurs, c'est un préjugé funeste, car c'est un obstacle presque invincible à l'amendement des condamnés libérés. Est-ce au législateur à nourrir les préjugés, ou son devoir est-il de les combattre?

No 5. DU CAS DE L'ARTICLE 310.

198. Lorsque la séparation de corps prononcée pour toute autre cause que l'adultère de la femme a duré trois ans, l'époux qui était originairement défendeur peut demander le divorce, et le tribunal doit l'admettre si le demandeur originaire, présent ou dûment appelé, ne consent pas immédiatement à faire cesser la séparation (art. 310). Treilhard expose, comme suit, les motifs de cette disposition. L'époux qui a demandé et obtenu la séparation de corps, a choisi la voie de la séparation comme la plus conforme à sa croyance. Doit-il avoir le droit de la maintenir pour toujours? Cela ne serait pas juste dans le cas où l'époux contre lequel la séparation de corps a été prononcée ne partage pas les croyances religieuses de son conjoint. En effet, ce serait l'obliger à un célibat forcé pendant toute la vie de l'autre époux. Une pareille interdiction serait contraire à la liberté, que tout citoyen tient de la constitution, de contracter mariage. Celui qui a obtenu la séparation de corps ne peut pas se plaindre si on le force à divorcer, car il n'y est pas contraint, puisqu'il dépend de lui de rétablir la vie commune, et ce n'est que sur son refus que le divorce est prononcé (1).

Ces raisons ne sont que des sophismes, auxquels on a répondu d'avance au sein du conseil d'Etat. Pourquoi le législateur a-t-il admis la séparation de corps? Uniquement par respect pour les scrupules de conscience de l'époux lésé. Sa religion lui défend le divorce, elle lui permet la séparation de corps. Il use du droit que la religion et la loi lui accordent. Après trois ans, l'époux coupable vient le sommer de rétablir la vie commune, et si le conjoint innocent s'y refuse, le divorce sera prononcé malgré ses scrupules religieux. N'est-ce pas mettre l'innocent à la merci du coupable? Il y a plus. Le législateur ne se contredit-il pas lui-même en autorisant la séparation de corps par respect pour la liberté de conscience, et en

(1) Exposé des motifs, no 15 (Locré, t. II, p. 567).

remplaçant ensuite la séparation par le divorce, au mépris de cette liberté (1)?

On dit qu'il dépend de l'époux qui a obtenu la séparation d'éviter le divorce, en reprenant la vie commune. A vrai dire, c'est là une nouvelle iniquité. C'est presque toujours la femme qui demande la séparation de corps par scrupule de conscience. Nous supposons qu'elle l'ait obtenu pour adultère du mari. Le mari continue à tenir sa concubine chez lui; puis il somme sa femme de venir partager ce domicile conjugal souillé par la présence d'une créature perdue. Et on dira que la femme a tort de ne pas consentir au rétablissement de la vie commune! N'est-ce pas pour échapper à cet enfer qu'elle a demandé la séparation? Et la voilà placée dans cette terrible alternative, ou de reprendre une vie commune rendue impossible par l'infamie de son mari, ou de subir le divorce malgré le cri de sa conscience!

199. La loi n'admet pas cette cause de divorce, lorsque la séparation de corps a été prononcée pour adultère de la femme (art. 310). Rien de plus moral; il ne faut pas que la femme trouve dans le divorce le moyen de légitimer sa coupable passion. Mais le mari aussi peut être adultère, et il se peut qu'il ait ajouté l'outrage à l'infidélité. Cependant, après trois ans de séparation, il viendra demander le divorce contre sa femme. Quelle est la raison de cette différence entre les deux époux? Nous la cherchons vainement. Si la faculté refusée à la femme est morale, par contre la faculté accordée au mari est immorale, car c'est favoriser le libertinage de l'homme, c'est dire qu'il est bon que la femme ait des mœurs, mais que le mari, à la rigueur, peut se vautrer dans la débauche. Voilà certes une inégalité que rien ne justifie.

200. La loi ne donne ce droit qu'à l'époux originairement défendeur; elle ne l'accorde pas à celui qui était demandeur, et il n'y avait pas de raison de le lui donner. Il avait le choix, il a choisi la séparation de corps, il ne

(1) Séance du conseil d'Etat du 24 vendémiaire an x, no 19 (observations de Boulay et du ministre de la justice, dans Locré, t. II, p. 494 et suiv.).

« PreviousContinue »