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l'interdit; et quand le conjoint est tuteur, on accorde ce droit au subrogé tuteur (1). Nous n'hésitons pas à rejeter cette opinion, comme contraire au texte et à l'esprit de la loi. Il n'y a pas d'action plus personnelle que celle en divorce; elle a pour objet la dissolution du mariage; la loi ne la donne qu'à regret; c'est à l'époux lésé seul à voir s'il lui convient de l'intenter. Sa conscience peut s'y opposer. De quel droit un tiers ferait-il au nom de l'interdit ce que l'interdit peut-être ne voudrait pas faire? Les causes du divorce sont tellement personnelles, que l'on ne conçoit pas l'intervention du tuteur: c'est une injure, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus personnel au monde; l'injure s'efface par le pardon; or, qui sait si l'interdit n'a pas pardonné? La procédure exige à chaque pas la présence du demandeur, d'une part afin de s'assurer de sa volonté persistante, d'autre part afin de l'amener à une conciliation. Est-ce que le tuteur peut représenter l'interdit dans ce qu'il a de plus intime, sa volonté?

On dit que le tuteur est donné à la personne, et qu'il doit prendre soin de la personne de l'interdit (art. 509 et 450). Mais s'agit-il, en matière de divorce, de la personne de l'interdit? Il s'agit de rompre le mariage, fondement de la société; il s'agit du conjoint et des enfants nés du mariage, il s'agit de l'honneur de la famille est-ce là la mission d'un tuteur? Vainement invoque-t-on la morale et la malheureuse position de l'interdit, misérable jouet d'un conjoint déhonté ou cruel. Ces considérations s'adressent au législateur; l'interprète n'a pas à s'en préoccuper. A vrai dire, dans l'opinion générale, on fait la loi. Comme l'action en divorce est chose grave, M. Demolombe veut que le conseil de famille l'autorise. Où est le texte qui l'exige? Et le tuteur peut-il être soumis à demander une autorisation sans un texte de loi (2)?

(1) Demolombe, t. IV, p. 535, no 428. Arrêts de Colmar du 16 février 1832 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 89, 1°) et de Paris du 21 août 1841 (Dalloz, au mot Minorité, no 237, 3").

(2) Willequet, Du divorce, p. 117, n° 3. Arntz, t. Ier, p. 212, no 407. — ́ La cour de cassation de Belgique a consacré cette opinion par un arrêt du 11 novembre 1869, rendu sur les conclusions de M. Faider, avocat général. Le réquisitoire et l'arrêt sont remarquables.

Ne pourrait-on pas soutenir que l'action appartient à l'interdit, s'il a des intervalles lucides? Si l'on admet, comme nous l'avons enseigné, que l'interdit peut se marier (1), on doit aussi lui reconnaître le droit d'agir en divorce. Les contrats se dissolvent d'après les mêmes principes qui président à leur formation. Celui qui est capable de former un contrat a, par cela même, capacité de le dissoudre. Les objections ne manquent pas contre notre opinion; nous y avons répondu d'avance. D'après nos textes, l'action en divorce appartient à l'époux. Pourquoi la refuserait-on à l'époux interdit? Est-ce parce qu'il est en état de démence? Nous supposons qu'il agit dans un intervalle lucide. Est-ce parce que l'interdiction le prive de l'exercice de ses droits civils? La loi ne dit pas cela; en réalité, l'interdiction n'a qu'un seul objet, c'est de sauvegarder les intérêts pécuniaires de celui qui est en état de démence. Si cet état lui laisse des intervalles lucides, pourquoi ne lui permettrait-on pas de rompre des liens. qu'on lui permet de former dans ces mêmes intervalles? Il n'y a pas de texte qui s'y oppose, et la justice ainsi que la morale y trouveraient satisfaction,

217. Il est certain que les héritiers ne peuvent intenter l'action et qu'elle ne peut être intentée contre eux. Ce serait chose absurde de demander la dissolution d'un mariage que la mort a dissous. On demande si l'action intentée peut être poursuivie par les héritiers et contre eux. Dans l'ancien droit, la jurisprudence avait consacré l'affirmative, et cette opinion a encore trouvé des partisans sous l'empire du code. Il s'agit naturellement des intérêts civils engagés dans le débat, et ils peuvent être considérables. L'époux contre lequel le divorce est prononcé pour cause déterminée perd les avantages que son conjoint lui avait faits. Si la mort de l'un des époux empêche la prononciation du divorce, pourquoi empêcherait-eile de régler les intérêts civils qui dérivent du divorce? Il est vrai que l'action en divorce est personnelle, mais les actions personnelles passent aux héritiers quand elles sont intentées.

(1) Voyez le tome II de mes Principes, p. 365, no 288.

Cela ne décide-t-il pas la question? Non, l'action intentée est l'action en divorce, et celle-là s'éteint par la mort de l'un des époux. Dès cet instant, l'action tombe, le tribunal est dessaisi. Il s'agit donc non pas de continuer une action, mais d'en intenter une nouvelle. Or, il est impossible que les héritiers du demandeur intentent une action en divorce, et tout aussi impossible que le demandeur agisse en divorce contre les héritiers du défendeur. La raison ne le conçoit pas et les principes de droit s'y opposent. Il n'y a pas deux actions en divorce, l'une tendant à la dissolution du mariage, l'autre ayant pour objet de priver l'époux coupable des avantages qui lui ont été faits par son conjoint; il n'y en a qu'une, et son but essentiel est de rompre le mariage. Quant à la perte des avantages, c'est un effet du divorce prononcé conçoit-on qu'il y ait un effet du divorce, alors qu'il n'y a pas de divorce? Sans doute, la justice et la morale demanderaient que la mort ne profitât pas à l'époux coupable et à ses héritiers. Mais pour qu'ils pussent être privés des avantages matrimoniaux, il faudrait que le législateur organisât une action spéciale et principale, en dérogeant à l'article 959, aux termes duquel les donations en faveur de mariage ne sont pas révocables pour cause d'ingratitude. Quant aux donations faites pendant le mariage, il n'est pas besoin d'une action en révocation, puisqu'elles sont toujours révocables (article 1096) (1). Nous reviendrons sur la révocation pour cause d'ingratitude, en traitant de la séparation de corps.

N° 2. COMPÉTENCE.

218. L'action en divorce, étant une action civile, doit naturellement être portée devant les tribunaux civils. Mais que faut-il décider quand les faits sur lesquels elle se fonde constituent un délit? L'article 234 répond à notre question: « Quelle que soit la nature des faits ou des dé lits qui donneront lieu à la demande en divorce pour cause

(1) C'est l'opinion assez généralement suivie (Demolombe, t. IV, p. 536, nos 429-431).

III.

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déterminée, cette demande ne pourra être formée qu'au tribunal de l'arrondissement dans lequel les époux auront leur domicile. » Est-ce que cette disposition déroge aux principes qui régisssent l'action civile naissant d'un délit? On sait que cette action peut être portée devant le tribunal qui connaît du délit; et, à première vue, on pourrait croire que l'action en divorce fondée sur un délit est une action civile naissant du délit. Non, l'action civile qui naît d'un délit est une action en dommages et intérêts, par conséquent essentiellement pécuniaire; rien ne s'oppose à ce que les tribunaux criminels la décident. Tandis que l'action en divorce n'a pas pour objet de réparer le dommage que le délit cause à l'époux offensé; elle tend à la dissolution du mariage; cette dissolution, loin d'être favorable aux intérêts pécuniaires du demandeur, peut lui être défavorable. Il y a un plus grand intérêt en cause qu'un intérêt d'argent, l'union conjugale. C'est donc une question d'état que le juge est appelé à décider; dès lors elle doit être portée devant les tribunaux civils. En réalité, l'action en divorce, quoique fondée sur un fait qui constitue un délit, ne dérive pas du délit comme tel, elle dérive de la violation d'un devoir conjugal; voilà pourquoi les tribunaux civils seuls en peuvent connaître.

219. Quel est le tribunal compétent? C'est, d'après l'article 234, le tribunal de l'arrondissement dans lequel les époux ont leur domicile. La femme ayant pour domicile légal celui de son mari, c'est devant le tribunal de ce domicile qu'elle doit porter son action. Peu importe que le mari ait changé depuis peu de domicile. Il en a le droit, et quand le changement est constant, la femme ne peut plus intenter son action à l'ancien domicile (1). Si le mari change de domicile après que l'instance est engagée, il va sans dire que ce fait ne changera pas la compétence. Reste seulement à déterminer le moment précis où le procès commence. Il a été jugé, et avec raison, que la requête présentée au président du tribunal est le premier

(1) Arrêt de Colmar du 12 décembre 1816 (Dalloz, au mot Séparation ds corps, no 229).

acte de procédure, et que cette requête répondue par une ordonnance lie l'instance; dès lors elle doit continuer devant le tribunal dont le président est membre (1).

La règle établie par l'article 234 souffre exception dans le cas prévu par l'article 310. Quand les époux sont séparés de corps, ils n'ont plus de domicile commun, puisqu'il n'y a plus de vie commune (2). On rentre donc dans les principes généraux, d'après lesquels le domicile du défendeur détermine la compétence. C'est l'opinion de Proudhon (3).

220. Si le fait pour lequel le divorce est demandé constitue un crime ou un délit, le ministère public peut certes poursuivre l'époux coupable; son action est absolument indépendante de la demande en divorce; il agit dans l'intérêt social, son droit ne peut être limité par une action civile fondée sur le crime ou le délit. L'article 235 suppose que le ministère public intente une poursuite criminelle contre l'époux coupable, et il décide que, dans ce cas, l'action en divorce restera suspendue jusqu'après l'arrêt de la cour de justice criminelle. C'est une application du principe que le criminel tient le civil en état. A la rigueur, l'action en divorce aurait pu continuer, puisqu'elle ne naît réellement pas du délit, mais il en serait résulté une contrariété de décisions judiciaires, si le tribunal civil avait rejeté la demande en divorce à raison d'un fait que le tribunal criminel aurait admis comme constant.

Quelle sera l'influence du jugement criminel sur l'instance en divorce? Si l'époux est acquitté, l'influence est nulle; il peut ne pas y avoir délit et néanmoins cause déterminée de divorce; le procès civil reprendra alors son cours. Si l'époux est condamné, le jugement de condamnation servira de preuve au demandeur en divorce. Décidé par la cour de Liége que le jugement correctionnel qui condamne l'époux pour injures et coups envers son conjoint, est une justification suffisante de la cause déter

(1) Voyez les arrêts dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 91. (2) Voyez le tome II de mes Principes, p. 115, no 85.

(3) Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. ler, p. 489.

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